Christelle Galvez, le management par l’immersion - Objectif Soins & Management n° 0285 du 10/02/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0285 du 10/02/2022

 

PORTRAIT

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Claire Pourprix

  

Christelle Galvez a fait ses premiers pas à l’hôpital comme aide-soignante. De manière intuitive, son parcours a évolué, passant du métier d’infirmière au management, jusqu’à prendre la Direction des soins infirmiers du Centre Léon-Bérard à Lyon. Retour sur la carrière atypique de cette soignante nommée Femme de santé 2021.

« Tout est possible, si on a envie on y arrive, il ne faut rien lâcher, ne pas se laisser submerger par le quotidien. Je ne me suis pas dit un matin : je vais devenir infirmière, puis cadre, puis directrice des soins. Mon parcours s’est organisé naturellement. C’est une suite de belles rencontres de personnes qui m’ont fait confiance et qui m’ont donné confiance. »

Dès le départ, Christelle Galvez voulait soigner. Elle a fait fonction d’aide-soignante de nuit pendant 4 ans, et a continué pendant ses études infirmières. « Aujourd’hui encore, je suis très attachée à reconnaître les AS, souligne-t-elle. Elles ont un salaire que je connais, et des charges qui ne vont pas en diminuant. Il s’agit souvent de mères de famille très engagées, dont la mission primordiale auprès des patients est méconnue et devrait être mieux valorisée… »

GÉRER L’ANGOISSE FACE AUX RESPONSABILITÉS

En 2002, une fois son diplôme d’infirmière obtenu, Christelle Galvez prend conscience des responsabilités afférentes au métier. « Je me suis cachée dans le placard à linge et j’ai dit à l’agence d’intérim que j’arrêtais. Je trouvais cette situation trop "challengeante" et je voulais redevenir aide-soignante. » En fait, ce n’est pas tant vis-à-vis du patient qu’elle éprouve des difficultés. Elle ressent une forte pression de la part des professionnels de santé du service : « Je sentais des attendus de performance, de rapidité, je me sentais seule responsable… », confie-t-elle. Un souvenir pénible qui la conduira, des années plus tard, une fois Directrice des soins, à mettre en place un « parcours professionnalisant pour les nouveaux embauchés, rassurant, impliquant les plus anciens et permettant, par du compagnonnage et un suivi personnalisé, l’acquisition des compétences en cancérologie ».

En poste à la Clinique Turin, à Paris, Christelle Gavez travaille en service de soins puis en salle de réveil du bloc opératoire, ainsi qu’au sein des plateaux techniques. « J’ai appris à prendre en charge le patient dans sa globalité, grâce à des professionnels de santé pluridisciplinaires qui m’ont formée. Quand on rentre dans une chambre, c’est une rencontre humaine, on doit tout voir et cela, bien au-delà du patient. » Dès 2005, elle évolue sur des fonctions de manager. « Au bloc opératoire, je pensais trouver un univers bien réglé, mais ce n’est pas ce que j’ai découvert. J’ai fantasmé le métier de manager en pensant qu’on était là pour tout faire, pour permettre d’éviter les erreurs de ses collaborateurs. Mais en fait, travailler avec l’humain, c’est accepter nos failles, les erreurs, apprendre à gérer le fait que mon équipe soit à la fois performante et perfectible. »

De 2008 à 2010, elle suit un mastère en alternance à l’ESC de Toulouse en management d’établissement de santé. Cela la conduit à prendre un poste de Directrice des soins, toujours au sein de la Clinique Turin, de 2010 à 2012. « J’avais tout juste 30 ans et j’avais l’impression que j’étais responsable du bonheur des gens dont j’avais la charge, se souvient-elle. En fait, je m’étais donné la mission de prendre soin d’eux, et je me suis confrontée à la fatigue des professionnels de santé, à leur usure. Certains, qui étaient des mentors, pouvaient avoir une approche maltraitante. J’ai pris conscience que des questions n’étaient pas résolues et j’ai préféré arrêter pour aller voir dans d’autres domaines comment les managers avaient répondu à ces questions. Sinon, je serais devenue manager dans la supervision, le contrôle, plutôt que dans l’accompagnement et la mobilisation de l’esprit d’équipe. »

PROMOUVOIR LA NOTION D’ÉQUIPE

Confrontée à une "période d’errance", Christelle Galvez réalise qu’il lui manque un axe de compréhension de la place du facteur humain dans les organisations de soins. « J’ai eu la chance d’être accueillie et de m’immerger dans des centres de formation et simulation en santé aux États-Unis, au sein des Universités de Stanford et San Francisco ainsi qu’au sein de l’Armée de l’air et de leurs formations "Crew Ressources Management" pour les pilotes, contrôleurs aériens, mécaniciens, issues des travaux de l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées (l’IRBA). »

Ces immersions lui ouvrent les yeux sur la manière de promouvoir l’esprit d’équipe à travers des notions simples comme la manière de prendre une décision ensemble, communiquer, gérer la surcharge… « C’est devenu une évidence : je voulais promouvoir, en France, au sein de nos organisations de soins, le besoin vital d’esprit d’équipe, en formant les soignants de différents environnements (bloc, accueil, service, brancardier) qui constituent une équipe pour les patients. » Dès 2011, elle crée, avec un médecin, un centre de formation et de simulation, inspiré de ses immersions et dédié à la promotion du travail en équipe médico-soignante-administrative. « Caméra embarquée, j’ai travaillé à montrer ce que le patient voit à chaque étape de son parcours, pour mettre en lumière le besoin de coordination, de communication… »

Quand, en 2013, le Centre Léon-Bérard, à Lyon, spécialisé dans la prise en charge du cancer, lui propose un poste de Directrice des soins, Christelle Galvez n’hésite pas : « Je me suis dit : c’est pour moi. J’étais très jeune, avec une culture du privé, formée à l’école de commerce et non à l’école des cadres ou à l’EHESP de Rennes… J’étais une entrepreneuse. Il nous a fallu quelque temps pour trouver nos marques, s’apprivoiser, se faire confiance mutuellement pour avancer ensemble. J’ai dû m’adapter à l’équipe de cadres, et eux à moi. Nous avons appris à nous connaître, et moi à me connaître. »

FAVORISER LA MONTÉE EN COMPÉTENCE DES SOIGNANTS

Après sa prise de fonction, Christelle Galvez passe 3 mois en immersion dans les services. Et renouvelle l’expérience plus tard, pour découvrir le travail réalisé par l’hospitalisation à domicile (HAD). « 14 000 infirmiers libéraux de la région prennent en charge nos patients. Il est donc essentiel de promouvoir une culture commune, car la prise en charge des patients ne s’arrête pas à la porte de l’hôpital. » Un plan d’action est d’ailleurs en cours d’élaboration dans le cadre de l’Article 51 qui permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé. Cela permet au patient sous immunothérapie d’être suivi à domicile dès lors que lui et son infirmier, au Centre comme en libéral, sont formés au traitement d’immunothérapie et à ses effets secondaires. « Ils peuvent s’organiser ensemble, ainsi une nouvelle équipe se forme dont le patient fait partie. »

Dans cet établissement, Christelle Galvez promeut la mobilité interne pour proposer un parcours professionnel diversifié et constructif aux professionnels de santé. Elle les incite aussi à monter en compétences et invite les cadres à entreprendre des masters. « Le cancer est une pathologie multifacettes et il y a de nombreuses évolutions professionnelles possibles. Nous avons des pratiques médico-soignantes innovantes qui rayonnent sur le Centre, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le niveau national, et cela donne de la puissance à la dynamique collective. »

La charge et la qualité de travail sont des critères évalués lors des entretiens annuels, et des "fiches d’ambiance" ont été mises en place en plus des fiches d’incidents. Pour Christelle Galvez, « Cela permet d’échanger une fois par mois sur les situations qui ont été notifiées, de manière anonyme ou pas : cela peut aller des remerciements sur la qualité de vie au travail, l’esprit d’équipe, à des situations de manque de respect, de mise en difficulté, d’irritants au quotidien. Mon objectif est d’améliorer en continu les situations qui mettent les équipes en tension. Les personnels savent qu’on n’a pas de baguette magique, mais le dialogue et les plans d’actions mis en œuvre permettent d’améliorer les choses à plus ou moins long terme. »

Par exemple, pendant l’été 2021, les équipes soignantes ont éprouvé une période de grande tension, en raison du manque d’effectifs dû aux congés et aux difficultés de recrutement. « Plutôt que de se plaindre de leurs conditions de travail, les équipes ont exprimé le besoin de mieux communiquer avec les médecins, de mieux connaître les internes pour améliorer la collaboration. Cette capacité à s’exprimer est d’autant plus intéressante qu’ici, il y a de l’écoute et l’envie de faire mieux ensemble : nous savons que nous avons tous besoin les uns des autres. Le directeur du Centre est un professeur oncologue chercheur, mon responsable est le directeur médical adjoint et chirurgien, on se voit tous les jours, on partage tous les projets et on se répartit les missions et plans de communication. Ce fonctionnement en binôme médico-soignant est fondamental au Centre Léon Bérard. Chaque secteur, service est organisé en binôme soignant-médecin, tout projet ne peut être que médico-soignant ou administratif. Les soignants sont accompagnés à développer des compétences de gestion de projet, à grandir en confiance en eux et à apprendre à communiquer pour faire entendre leurs propositions d’amélioration, dans une connaissance des compétences/métiers possibles et dans un respect mutuel de tous. »

ACCOMPAGNER L’ENTRÉE DANS LA PROFESSION

Marquée par ses premiers pas comme infirmière, Christelle Galvez, son adjointe, des collègues des ressources humaines et une équipe de soignants, ont mis en place en 2019 un parcours d’accompagnement des nouveaux arrivants sur trois ans. Ceux-ci bénéficient d’un compagnonnage par des référents, dont la mission est rémunérée. « L’enjeu est d’adoucir l’entrée en fonction, de donner la mesure de l’exigence de ces postes sans que cela soit stressant ou angoissant. Des nouveaux embauchés bien accueillis et formés sauront vivre dans un univers si peu prévisible, explique-t-elle. Je m’appuie sur mon expérience pour imaginer mieux ensemble. Les soignants ont rapidement la charge en soins, mais on ne peut pas faire peser sur les nouveaux un niveau d’exigence, avec le même niveau de connaissances que quelqu’un qui a de l’expérience, et nous devons nous organiser pour sécuriser cela afin que personne ne se sente démuni ou en surcharge. L’objectif est que la montée en compétences ne mette pas en difficulté le patient, ni l’équipe soignante, ni la continuité des soins. » Pour mettre en place ce dispositif, des experts – infirmiers en hygiène, douleur, soins palliatifs – ont été questionnés pour connaître leurs attentes vis-à-vis des nouveaux embauchés. Celles-ci étant nombreuses, des ateliers ont permis d’établir une liste d’attendus de connaissances avant et après l’intégration du nouvel embauché, pour suivre son évolution et faire en sorte que toute l’équipe l’aide et participe à ce processus d’entraînement.

Ainsi, 24 référents soignants de jour et 12 de nuit ont été formés par les experts pour compagnonner les nouveaux embauchés. Chacun remplit cette mission pendant un an renouvelable. En outre, deux responsables pédagogiques interviennent pour fédérer et suivre les parcours professionnalisants. « Cette initiative a été déployée en pleine crise sanitaire. Lors des entretiens d’embauche, je pense que c’est clairement un argument différentiant. Est-ce que cela aura un impact sur le turn-over ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais en tout cas cela valorise les référents, soulage les managers et rassure les nouveaux. Et c’est déjà beaucoup ! », confie Christelle Galvez.

Autre projet porté par le Centre Léon-Bérard, et auquel elle participe : l’ouverture d’un bâtiment de prévention en 2023, ouvert sur l’extérieur, pour contribuer à développer une culture de santé publique, en s’associant aux associations de patients et aux professionnels de santé, dans un esprit citoyen.

PORTER LES VALEURS SOIGNANTES AU NIVEAU NATIONAL

Huit ans après son arrivée au Centre Léon-Bérard, Christelle Galvez intensifie la diversification de ses fonctions. Depuis avril dernier, elle consacre 20 % de son temps au Conseil scientifique en investissement en santé, au sein du ministère des Solidarités et de la Santé. Celui-ci réunit 20 experts chargés de définir des référentiels pour les projets habilités à recevoir un financement du Ségur de la Santé. « Je découvre un nouveau domaine mais je me suis rapidement sentie légitime pour représenter les soignants, qui ont tout à fait leur place auprès de toutes ces personnalités qualifiées réunies dans cette instance ! En participant à ce type de commission, je souhaite porter les valeurs de l’équipe médico-soignante encore plus haut. »

Christelle Galvez est par ailleurs membre du Collège des personnalités qualifiées de l’Institut Santé, un groupe de réflexion « pour refondre notre système de santé » présidé par l’économiste Frédéric Bizard. « Mon rôle en tant que référente pour la région Auvergne-Rhône-Alpes est de communiquer les idées de ce groupe au plus grand nombre. L’objectif est de contribuer au renouveau de notre système de santé, valoriser ce qui fonctionne, redonner du sens au territoire de santé, répondre aux besoins de la population, passer d’un système de santé centré sur l’offre de soins aux malades à un système qui promeut la bonne santé de ses concitoyens, source de bien-être, et se coordonner efficacement sur un territoire pour répondre aux besoins de soins en cas de maladie », détaille-t-elle.

Christelle Galvez est consciente d’avoir la chance que son établissement lui fasse confiance et lui laisse une grande autonomie pour travailler sur des sujets importants à ses yeux. Elle assume son choix professionnel : « J’aurais pu poursuivre ma carrière en tant que directrice d’établissement, mais j’ai préféré la direction des soins car j’ai besoin de construire aujourd’hui et demain avec l’équipe soignante. Je travaille à faire en sorte que le quotidien des soignants ait le plus de sens possible chaque jour, chaque nuit, en pleine pandémie et après. »