OBJECTIF SOINS n° 0283 du 14/10/2021

 

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Claire Pourprix  

Durant la pandémie de Covid-19, le Dr Christine Janin a ouvert les portes de sa maison À Chacun son Everest ! aux soignants pour des stages de trois jours. Ces sas de décompression, reposant sur des soins du corps et de l’esprit, ont permis à quelque 300 professionnels de recharger leurs batteries épuisées par des mois de crise sanitaire.

C’est de manière spontanée que l’initiative a pris vie. Comme un cri du cœur. Christine Janin, médecin alpiniste, est connue pour avoir été la première Française à gravir l’Everest en 1990 et la première femme au monde à avoir atteint le pôle Nord sans moyens mécaniques ni chiens de traîneau en 1997. Elle est à la tête de À Chacun son Everest !, une association qu’elle a créée en 1994 pour accueillir et accompagner les enfants et jeunes adultes atteints d’un cancer, et qui propose aussi des séjours pour les femmes en rémission d’un cancer du sein depuis 2011. « Avec
l
épidémie de Covid, j’ai dû fermer la maison, annuler les séjours, mettre le personnel de l’association à mi-temps… Un soir, en discutant avec un médecin qui me demandait ce que j’allais faire, l’idée m’est venue, de manière intuitive, car en tant que médecin je ressentais le besoin de prendre part à l’effort collectif : “Si je ne peux rien faire, je ferai des séjours pour les soignants !” »

Ce sera sa contribution de soignante pour aider à traverser cette crise sanitaire : accompagner les personnels hospitaliers qui, depuis des mois, étaient sur le front pour faire face à la prise en charge de patients Covid, à la déprogrammation-reprogrammation de rendez-vous médicaux, à la gestion des plannings pour gérer l’absentéisme et les changements d’affectation de service au jour le jour…

Un modèle d’accompagnement éprouvé

Une fois le projet acté, restait à trouver le mode d’emploi. « Je n’avais pas reçu de demandes précises, je ne savais même pas si ce serait possible, avec qui… J’avais pensé accueillir des soignants de Paris et de l’est de la France, des régions très touchées par l’épidémie. Mais, en discutant avec une oncologue du centre hospitalier Annecy-Genevois qui m’a confié que tout le monde était à bout, je me suis rendu compte que la maison pourrait accueillir des soignants situés à proximité. Ils avaient eu les premiers cas de Covid, et cela réglerait le problème du voyage qui était complexe en pleine épidémie », explique Christine Janin. Les ressources humaines de l’hôpital ont lancé un appel à volontaires et le premier stage expérimental, mené en juin 2020, a tout de suite fait le plein. Au total, durant l’été 2020, 124 personnels hospitaliers des CH Annecy-Genevois et du GHT Léman-Mont-Blanc en bénéficieront – des aides-soignants, infirmiers, cadres de santé, médecins, administratifs… essentiellement des femmes (seuls six hommes se sont inscrits). Financés grâce au soutien du conseil départemental de la Haute-Savoie et aux sponsors privés de l’association, les stages ont aussi bénéficié de l’aide de l’ARS. « La préfecture et la mairie m’ont donné leur accord car je dispose déjà du lieu, une vaste maison de 1 200 m², aérée, et d’une reconnaissance car la méthode éprouvée avec les enfants et les femmes fonctionne bien », précise Christine Janin.

Au programme de ces trois journées ? Un agenda très chargé, alliant séances de groupes de parole, consultation individuelle avec une psychologue, yoga, méditation, bains sonores, qi gong, marche, escalade… Du temps pour prendre soin de soi, se vider la tête, partager sa souffrance avec le groupe et retrouver l’énergie et l’envie de reprendre le chemin du travail sans avoir la boule au ventre. « J’ai été impressionnée de constater à quel point les soignants accueillis étaient transformés en un si court séjour, confie Christine Janin. Être reconnu dans sa difficulté, sa problématique, accepter que l’on prenne soin de soi et comprendre que l’on n’est pas seul dans la souffrance au sein d’un groupe rassemblant plusieurs métiers de l’hôpital a été bénéfique à chacun d’entre eux. »

Une écoute sans jugement

« C’est une collègue qui m’a incitée à porter ma candidature pour un stage », témoigne Catherine Dechavanne, cadre de santé au CH Annecy-Genevois sur les sites d’Annecy (nutrition) et de Saint-Julien (brancardage, laboratoire et nutrition). « N’étant pas au quotidien avec les patients, je ne pensais pas être légitime pour m’inscrire. Je travaillais sur un gros projet institutionnel et à la fin d’une réunion cette consœur m’a vue m’effondrer en larmes… Il est vrai que je pleurais beaucoup, j’étais mal au travail mais comme j’étais prise dans le tumulte, le tourbillon, je ne mesurais pas à quel point j’étais fatiguée, stressée. »

Catherine Dechavanne a participé à un stage organisé par À Chacun son Everest ! sans s’y préparer. Elle reconnaît d’ailleurs qu’elle n’y serait peut-être pas allée si elle avait lu le programme dans le détail avant de partir, car la pratique du sport l’aurait sans doute freinée. « J’ai été surprise. Je me suis immergée avec une poignée de femmes que je ne connaissais pas, nous avons été accueillies comme si on était dans une famille par Christine et son équipe. Très rapidement elles ont su briser la glace, nous étions comme dans une bulle. Le stage est très court mais très dense, j’ai eu l’impression d’être partie quinze jours ! Ce cocon de plénitude permet de faire ressortir toutes les émotions : on les cherche, on essaye de comprendre, dans un esprit de bienveillance, de chaleur, de confiance. Très vite on sent qu’il y a une écoute, pas de jugement quand on se présente. J’ai pleuré au bout de trois phrases… Et tout au long du séjour, plus ça coule plus on se sent apaisé. L’esprit du groupe vous porte, vous soulage, on trouve des pistes, des réponses – tout seul finalement, et on se demande pourquoi on ne l’a pas fait avant ? Cela m’a reboostée pendant au moins six mois. Je ne me laisse plus emporter comme un tsunami par l’angoisse du travail, je sais lever le pied, j’arrive à faire des coupures pour me ressourcer. Ce stage donne des clés pour travailler sur soi, mais il faudrait un temps dédié annuel pour les cadres ou un espace pour pouvoir vider son sac sans jugement, avec de la bienveillance autour de soi. »

Prendre soin des soignants au sein des hôpitaux

Entre février et juin, près de 90 personnels du CH Annecy-Genevois ont participé aux stages de À Chacun son Everest ! Une enquête a révélé que 100 % des participants étaient satisfaits, ce qui a motivé la direction de l’établissement à poursuivre cette démarche. « Nous sommes en contact avec l’ARS et l’OPCA/ANFH pour soutenir des séjours de rupture, de récupération, même si cela ne rentre pas entièrement dans un cahier des charges de formation. De plus, d’autres projets convergent autour du prendre-soin grâce aux dons reçus de la part de la population lors de la première vague de Covid. Cela nous a permis de créer des aires de pique-nique et un projet de salles de détente est en cours pour accueillir des séances de sophrologie, de yoga et de massages », explique Michèle Coiron, chargée de projets d'amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail à la DRH du CH Annecy-Genevois, qui a elle-même participé à un séjour.

Si elle doute de la durabilité des stages sur l’état de bien-être des participants, elle reconnaît que cela a ouvert de nouvelles pistes de réflexion pour améliorer la qualité de vie au travail des personnels soignants. « Le Covid a été un déclencheur, un détonateur pour franchir le pas et prendre en compte la nécessité de prendre soin des soignants. Nous avons la chance de nous appuyer sur un groupe de pilotage de 14 personnes qui, j’espère, resteront actives et mobilisées pour faire vivre ces projets. Car pour que cela fonctionne sur la durée il faut que les soignants s’autorisent à aller dans la salle de détente pour lâcher prise – il y a une véritable éducation à faire autour de cela ! »

Des relais pour la suite ?

En juillet, l’équipe de À Chacun son Everest ! a refermé cette parenthèse d’accompagnement des soignants pour reprendre son activité d’accueil d’enfants et de femmes. Christine Janin gardera sans doute longtemps le souvenir de ces séjours et porte un regard révolté sur le manque de considération des soignants. « Je n’imaginais pas à quel point les soignants étaient mal, et cela plus ils sont élevés dans l’administration et l’organisation de l’hôpital, témoigne-t-elle. On parle souvent du problème du salaire des soignants mais, eux, ce n’est pas d’argent dont ils ont parlé pendant les stages. Ils sont maltraités, basculés d’un service à l’autre, avec des changements de rythme auxquels ils ne sont pas adaptés ; à force de fatigue, ils en deviennent parfois maltraitants… Certains ont eu peur de transmettre le Covid à leur famille, ils ont été rejetés par leurs voisins et ont dû loger à l’hôtel à leurs frais. Des aides-soignantes ont été traumatisées par les décès auxquels elles ont assisté, la violence de devoir écarter la famille… Je reste choquée que l’on ait distribué beaucoup d’argent à droite et à gauche et que si peu ait été fait pour les soignants. »

Son espoir ? Que cette expérience puisse servir d’exemple et se reproduire. Christine est d’ailleurs prête à aider quiconque souhaiterait développer des stages pour les soignants.