Objectif Soins n° 262 du 01/04/2018

 

MANAGEMENT DES SOINS

Dossier

Aude Maréchal  

Le regroupement de centres hospitaliers publics en GHT (groupement hospitalier de territoire) va modifier les missions des cadres de santé. Quel impact pourrait avoir le regroupement d’établissements de santé en GHT sur les missions des cadres de santé ? Comment le cadre de santé peut-il s’impliquer dans cette réforme ?

La loi de modernisation du système de santé, promulguée le 26 janvier 2016, prévoit la création de GHT. Ces groupements ont pour objectif de favoriser l’accès aux soins en améliorant la coopération entre les différents hôpitaux publics d’un même territoire. Il en émerge la notion de “pôles interétablissements”, puis de “filières interétablissements”, sans précision sur les fonctions transversales. Cette collaboration étroite entre deux centres hospitaliers implique de renforcer la communication. Le rapport écrit par Hubert et Martineau précise : « Nous ne proposons pas des plateaux techniques uniques mais bien une organisation commune, garantissant une homogénéité de pratiques.? »(1) Les GHT, véritables héritiers des CHT (communautés hospitalières de territoires), sont plus contraignants que ces dernières : projet médical unique, désignation d’un établissement support, obligation d’adhésion pour les établissements publics de santé. La législation ne se contente pas d’amener les hôpitaux publics à collaborer en GHT, elle encadre cette collaboration de manière très stricte sur certains points, et reste plus souple sur d’autres. L’obligation de conclure une convention constitutive, détaillant les modalités de la collaboration, les délégations ou transferts d’activités, ainsi que le projet médical partagé sont des éléments incontournables du GHT. Le projet médical partagé détaille entre autres les collaborations entre les équipes médicales et définit des pôles interétablissements : il devient le fil rouge de la collaboration entre les différents établissements.

Le GHT apparaît à la fois comme une réforme, limitée dans un cadre législatif strict, et comme un mystère dans sa mise en application auprès des équipes. Il y a un cadre réglementaire sans cadre pratique : les missions des cadres de santé ne sont pas clairement définies. Le document de travail publié par le ministère des Affaires sociales et de la Santé précise : « Dans certaines modalités d’exercice, le cadre de santé peut également être chargé d’un projet ou d’une mission donnée qui, dans le cadre d’un réseau, peut être commun à plusieurs structures. »(2) L’exercice du cadre de santé entre donc dans le champ des GHT. Mais le sociologue Mispelblom Beyer va plus loin : « Les GHT vont accélérer la mutation des missions de l’encadrement hospitalier, surtout pour les cadres de santé. À l’encadrement de plusieurs équipes à la fois, de missions de réorganisation et de conduite de projets multiples, vont s’ajouter des fonctions dans la création de cohérence dans les filières de soins. »(3)

Plusieurs questions se posent : quel impact pourrait avoir le regroupement d’établissements de santé en GHT sur les missions des cadres de santé ? Comment le cadre de santé peut-il s’impliquer dans cette réforme ?

ENQUÊTE DANS 4 GHT

Dans le cadre d’un mémoire professionnel soutenu à l’IFCS-TL en juin 2017, une enquête a été réalisée auprès de 4 coordonnateurs généraux des soins de 4 GHT différents, par le moyen d’entretiens semi-directifs. Les entretiens évaluaient :

• l’impact du GHT sur les équipes de soins ;

• l’impact du GHT sur les missions des cadres de santé ;

• la concordance entre l’impact prévu par les directeurs des soins et celui attendu par les cadres de santé.

Cette concordance était mesurée au moyen d’un questionnaire en miroir, réalisé auprès de 39 cadres de santé dans plusieurs GHT. Ce questionnaire comportait des questions dichotomiques, quantitatives, et des questions ouvertes, qualitatives.

LE CADRE DE SANTÉ DANS LE GHT

Au cours de cette enquête, trois constats ont été mis en évidence.

Le premier est que l’implication des cadres de santé par la direction est nécessaire afin de garantir une coordination de qualité, bien que certains directeurs des soins ne souhaitent pas impliquer les cadres. En effet, certains coordonnateurs généraux des soins ont fait le choix de ne composer la CSIRMT (commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques) de territoire que de directeurs, et d’en exclure les cadres ; 79 % des cadres de santé interrogés estiment d’ailleurs qu’ils n’ont pas été informés des modifications inhérentes au GHT (Tab. 1), alors même que 46 % d’entre eux pensent que le GHT aura un impact sur leurs missions (Tab. 2). Les coordonnateurs généraux des soins ont souvent peu communiqué avec les cadres, par manque d’informations à transmettre. En outre, 33 % des cadres interrogés ne connaissent pas le nom de leur GHT, proposé dans les réponses à choix multiples. Cela met en exergue un manque d’implication dans le GHT, et un manque d’assimilation des informations transmises. Cette méconnaissance des modalités de mise en place du GHT est majorée par une méconnaissance de leurs futures missions. En effet, le constat fait dans les GHT les plus avancés est que les cadres de santé sont davantage concernés et ont une idée plus précise des missions qui leur seront confiées ainsi qu’à leurs équipes. Nous observons que les missions pressenties par les cadres de santé correspondent aux missions que les directeurs des soins envisagent de proposer. Il en découle que l’implication des cadres de santé dans le GHT n’est pas uniquement la conséquence de leur volonté de s’investir, mais bien de la place que leur laisse le directeur des soins dans ce projet. C’est donc dans la relation hiérarchique que se joue une partie de la mission confiée aux cadres.

Le deuxième constat révèle que les missions pressenties par les cadres de santé correspondent aux missions que les directeurs des soins envisagent de proposer. Cette vision commune des projets et missions des cadres de santé nous amène à constater une profonde association dans le but de favoriser l’accès aux soins du patient et proposer les meilleures conditions de prise en charge tout en garantissant la qualité et la sécurité des soins. Les cadres mettent en avant comme motivation d’avoir une vision globale de l’offre de soins dans le territoire. Ils citent plusieurs axes de travail induits par le GHT : la conjugaison des compétences, l’harmonisation des pratiques, la collaboration avec les autres unités et la coordination du parcours patient. (Tab. 3)

Le troisième constat est que la coordination du parcours patient, spontanément citée par 9 cadres interrogés, est l’élément incontournable des missions du cadre de santé dans le GHT. En effet, tous les directeurs des soins interrogés l’évoquent comme un élément essentiel du GHT, et 17 cadres de santé citent l’importance de la coordination, sous la forme d’uniformisation des pratiques, des relations entre les services, du dossier de soins commun ou du parcours patient. Afin de favoriser l’échange entre les établissements, la fluidité des mutations, la qualité des soins, le cadre de santé doit impérativement s’impliquer dans la gestion de ce parcours. Il peut le faire au niveau de son service en tant que cadre de proximité, et au niveau de l’établissement ou du GHT lors de missions transversales.

LE PARCOURS PATIENT

Afin de favoriser la fluidité du parcours patient, l’harmonisation des pratiques est nécessaire, avec pour objectif de travailler mieux ensemble. Cependant, l’harmonisation n’implique pas l’uniformisation. Il est vrai qu’elle conduit à la création d’outils communs, de pratiques identiques et de protocoles de territoire ; pour autant, si l’uniformisation de certains outils semble indispensable, elle ne doit pas être généralisée. Elle doit respecter les individualités de chaque établissement, afin d’éviter les résistances et les dysfonctionnements. Cela nécessite de maintenir l’équilibre entre l’uniformisation et l’individualisation des pratiques. Si elle est indispensable, l’uniformisation des pratiques doit être mesurée et s’adapter à chaque service dans le respect de l’individualité des patients et des unités de soins. L’harmonisation implique l’échange, la communication, le partage d’expériences. Il est donc bien question d’harmonisation dans l’amélioration des transmissions des dossiers patients d’un établissement à un autre, ou dans les réunions de CSIRMT (commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques) de territoire.

Le cadre de santé, pour favoriser le parcours patient, peut s’appuyer sur des outils existants : les CSIRMT de territoire, le projet de soins partagé, le dossier de soins partagé sont autant de moyens pour le cadre de santé d’impulser une dynamique territoriale. Le projet de soins commun est présenté comme le pilier de l’harmonisation des pratiques, découlant du projet médical. Le sociologue Mispelblom Beyer, qui a beaucoup étudié les milieux hospitaliers, en particulier le parcours patient, évoque la richesse pour une équipe de collaborer à la création d’un dossier patient informatisé. Ce projet a permis de corriger des pratiques défaillantes, de réinvestir et revaloriser l’ensemble des professionnels, à condition que le nouvel outil corresponde « au chemin de pensée de chaque professionnel »(4). Cette dynamique implique, pour les différents acteurs, des notions de collaboration et de coopération. Le projet de soins partagé peut être considéré comme un objectif commun, la CSIRMT de territoire comme une plateforme de rencontres et de communication, et le dossier de soins partagé comme un moyen d’harmonisation des pratiques et de transmission de l’information relative au patient. Un travail conséquent sur les systèmes d’information est en cours de réalisation : les directions s’attèlent à harmoniser les outils, afin de permettre une prise en charge plus complète.

Dans certains domaines, l’uniformisation est impulsée par une instance supérieure. C’est le cas de la certification, parfait exemple de l’uniformisation des pratiques. Les établissements membres d’un GHT ont l’obligation de se soumettre à une certification commune dès 2020. Dans le domaine du management de la qualité et de la sécurité des soins, les établissements membres d’un GHT devront répondre aux mêmes critères. Les cadres de santé, garants de la qualité des soins, auront pour objectif de faire adhérer leurs équipes aux contraintes de la certification commune.

Mais c’est au cadre de santé que revient la mission d’adapter les objectifs afin qu’ils soient cohérents pour une équipe et partagés par tous ses membres. Pour ce faire, le cadre de santé gagnerait à impliquer l’ensemble des acteurs et à tenir compte des limites techniques et humaines. Il peut accompagner les équipes au changement, et leur permettre d’avoir une vision systémique du territoire. C’est en affinant les relations entre les différents établissements que le cadre pourra favoriser l’adhésion des équipes et une dynamique territoriale.

CONCLUSION

Le rôle et les missions du cadre de santé ne sont pas clairement définis dans le contexte de regroupement en GHT. Cependant, l’enquête menée semble indiquer que leur implication serait nécessaire afin de garantir une coordination de qualité. La coordination du parcours patient semble être l’un des éléments essentiels des missions du cadre de santé. L’uniformisation des pratiques pourrait contribuer, dans une certaine mesure, à la fluidité du parcours patient, et se faire dans le respect des individualités. De plus, le cadre de santé serait un moteur de la dynamique territoriale, et pourrait s’appuyer sur des outils existants. Pour ce faire, l’implication des acteurs dans une vision globale du territoire serait bénéfique. Le cadre de santé, à proximité des équipes au quotidien, semble être le partenaire idéal pour promouvoir la dynamique territoriale. Le dossier informatisé du patient pourra constituer un élément clé de transmission de l’information relative au patient, et nécessitera le travail des cadres de santé en collaboration avec les systèmes d’information.

NOTES

(1) Jacqueline Hubert, Frédéric Martineau, Mission Groupements hospitaliers de territoire : rapport intermédiaire, Paris, ministère des Affaires sociales et de la Santé, mai 2015.

(2) Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Diplôme de cadre de santé : référentiel d’activités et de compétences (http://www.ancim.fr/referen tiel-activite-competence.html).

(3) Frederik Mispelblom Beyer, « Les défis de la coopération », Soins Cadres, 2016, 25 (99), p. 21-25.

(4) Frederik Mispelblom Beyer, Encadrer les parcours de soins : vers des alliances thérapeutiques élargies, Paris, Dunod, 2015.

BIBLIOGRAPHIE

Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, JO n° 0022 du 27 janvier 2016.

Aude Maréchal, En route vers le GHT : l’impact du groupement hospitalier de territoire sur le rôle du cadre de santé, Mémoire d’IFCS, Bron, IFCS-TL, 2017.