Objectif Soins n° 260 du 01/12/2017

 

GESTION DES RISQUES

Dossier

Anne-Lise Favier  

Alors que l’on soigne de mieux en mieux à l’hôpital, le personnel, lui, flirte de plus en plus avec la crise de nerf : harcèlement, sexisme, erreurs médicales, manque de personnels sont autant de difficultés qui pèsent sur le moral des soignants. Pourtant, la qualité de vie au travail est primordiale pour prodiguer un soin de qualité aux patients. Existe-t-il des leviers pour retrouver le bien-être ?

Il y a un an tout juste, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, lançait une mission nationale de prévention du stress en milieu hospitalier. Une urgence après les différents épisodes de tension que subissait le personnel hospitalier. Une démarche qui arrivait au moment où tous les indicateurs étaient au rouge : absentéisme record, démissions, burn-out, suicides des professionnels de santé, la coupe était pleine. Et ce malgré l’engagement sans faille du personnel hospitalier pour la prise en charge des patients. Pourtant cette dernière pourrait souffrir d’un ras-le-bol général mettant en péril les qualités du système de soins.

SE SENTIR BIEN AU TRAVAIL

Car pour bien soigner, il faut se sentir bien dans son cadre de travail. Une évidence. Une vérité d’autant plus prégnante que l’hôpital est le lieu par excellence du « prendre soin ». Marisol Touraine proposait alors « la mise en place d’un Observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux des professionnels de santé ». Un an après l’annonce, cela commence à bouger du côté des instances : « Cela se prépare pour début 2018 », annonce Olivier Liaroutzos, responsable du département « Expérimentations, développement, outils et méthodes » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), qui sera l’opérateur technique.

L’HOPITAL EN ATTENTE

Si ses missions ne sont pas complètement figées, cet observatoire devrait s’intéresser « à tous les professionnels du secteur de la santé et sera porté conjointement par la DGOS et l’ANACT », précise Magali Eymery, de la mission « Qualité de vie au travail des professionnels de santé » à la DGOS. Un travail sera aussi accompli pour observer comment cela fonctionne à l’étranger. L’observatoire sera par ailleurs connecté avec d’autres observatoires, notamment ceux relatifs aux violences en milieux de santé ou en lien avec le développement durable pour une intégration globale de la notion de bien-être et de qualité de vie au travail.

UNE QVT DETERIOREE

En attendant, il faut rappeler que cette dimension de la qualité de vie au travail (QVT) est un critère qui figure dans le manuel de certification de la Haute Autorité de santé (HAS) : la QVT « désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises, d’autant plus quand leurs organisations se transforment ». Un modèle qui se veut, selon la HAS, plus « intégratif », c’est-à-dire qui vise à renouveler le management et soutenir davantage l’implication des professionnels. Un vœu pieux selon certains professionnels qui étouffent, à l’image de Fanny, aide-soignante en maison d’accueil spécialisée dans l’Eure : « Je trouve la qualité de vie au travail inexistante, et les conditions déplorables, surtout depuis ces dernières années. Dans nos métiers à l’hôpital, on nous demande d’être des acteurs du bien-être, mais on ne nous donne pas l’occasion de nous sentir bien, ni physiquement ni psychologiquement. Depuis tout récemment, les services sont managés comme des unités commerciales, et nous comme des employés qui auraient des performances à atteindre, avec toujours plus de pression. Auparavant, nous y arrivions car nous étions en plus grand nombre… Aujourd’hui, après de longues années à nous demander comment nous pouvions faire pour atteindre nos objectifs alors qu’on nous enlevait du personnel, nous baissons souvent les bras. Nous avons longtemps « compensé » le travail, remplacé sur nos repos, fait plus que ce qu’on attendait de nous, mais aujourd’hui nous faisons tout juste le strict minimum, et c’est triste. La qualité de vie au travail est aussi dégradée par l’image que nos patrons ont de nous : nous sommes protestataires et nous refusons de travailler. Les cadres ont aussi des objectifs à tenir et nous donnent des tâches de plus en plus absurdes voire du dépassement de tâches. Si quelqu’un a un besoin de changement de planning – décès d’un proche ou rendez-vous médical –, on nous demande de « voir entre nous ». Nous avons le sentiment d’être seuls. » Un témoignage qui résume peut-être à lui seul l’immense détresse des personnels hospitaliers sous pression.

L’HOPITAL EN ATTENTE D’UN BOL D’AIR

En grande partie du fait d’un manque de personnel qui induit des difficultés dans les services, une fatigue et une mise à l’épreuve permanente, « tous les experts sont unanimes pour dire que le système est en dysfonctionnement et que les violences se sont aggravées avec le tournant gestionnaire qu’a pris l’hôpital, qui privilégie la rentabilité au détriment de la qualité des soins », explique le Dr Valérie Auslender, auteur du documentaire Omerta à l’hôpital (voir l’interview ci-après). N’y a-t-il pas de soignants heureux ? L’enquête Presst-Next* parue en 2004 sous la coordination de Madeleine Estryn-Béhar, médecin du travail, pointait déjà une forte tendance au « ras-le-bol » hospitalier. Avec pourtant déjà à l’époque des pistes d’amélioration, comme le tutorat revisité ou le management intergénérationnel qui permet à chacun de trouver sa place. L’heure est aujourd’hui à la parole et au management bienveillant, comme l’exprime Hombeline Sarton du Jonchay, cadre de santé à la Fondation Adolphe de Rothschild (Paris 19e) : « Nous nous attachons à fournir de bonnes conditions de travail, à respecter les repos de chacun et surtout nous formons beaucoup pour le développement des compétences. En échange, les professionnels, reconnus, donnent le meilleur d’eux-mêmes. » Pour autant, la tâche reste immense : « Aux urgences, la pression est partout, explique H., infirmière dans un centre hospitalier près de Lille. Dès l’administratif avec la tenue des dossiers, la saisie des actes, le budget. On nous demande de consigner tous les événements indésirables, mais au final, ces déclarations ne sont parfois pas suivies, alors pourquoi y consacrer du temps ? On finit par un épuisement professionnel. » Pourtant, des solutions existent et reposent en grande partie sur le management : travailler en équipe, écouter, se former. Des bases qui reposent la question de l’organisation actuelle de l’hôpital : « On est sans doute à un tournant de ce système même si cela perdure depuis des années, mais cette pression administrative faite aux soignants qui ont choisi ce métier pour prendre soin des autres ne peut plus durer », explique cette infirmière, qui appelle de ses vœux une vaste réforme. Un début de réponse début 2018, avec la mise en place de l’Observatoire national de la QVT chez les professionnels de santé ? Une chose est sûre, l’hôpital a besoin d’une perfusion d’urgence !

Des enquêtes édifiantes… pour avancer ?

Il y a d’abord eu l’enquête sur la santé mentale des jeunes et futurs médecins, menée à l’initiative de l’INSI avec quatre syndicats, en mai 2017, puis celle relative au bien-être des étudiants en soins infirmiers, éditée par la FNESI en septembre. Et les langues continuent de se délier. Dernière enquête en date : celle de l’INSI sur le sexisme, parue mi-novembre. Initiée bien avant les affaires de harcèlement qui ont secoué l’actualité (affaire Weinstein en tête), cette enquête montre que 85 % des répondants (sur un échantillon de 3 300 internes qui ont répondu à l’enquête) ont déjà été confrontés au sexisme. Que ce soit au bloc, en salle de garde ou dans les relations entre professionnels, gestes, paroles voire chantages ont été vécus par une majorité de femmes qui ne s’identifient pas toujours comme victimes. L’objectif de cette étude ? « Annoncer très rapidement dix propositions à l’adresse des ministres Agnès Buzyn, Frédérique Vidal et Marlène Schiappa », a expliqué Olivier Le Pennetier lors de la conférence de presse donnée pour l’occasion.