FIN DE VIE : CE QUE LA BELGIQUE PEUT NOUS DIRE - Ma revue n° 043 du 01/04/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 043 du 01/04/2024

 

ACTUALITÉS

PROJET DE LOI

Adrien Renaud  

Alors que le président de la République a annoncé le 10 mars un projet de loisur la fin de vie pour le mois d’avril, il est intéressant de se pencher sur les chiffresvenus de Belgique, où l’euthanasie est légale depuis vingt ans.

Une loi de fraternité. » C’est ce qu’a promis Emmanuel Macron lors de l’interview qu’il a accordée le 10 mars dernier aux quotidiens Libération et La Croix pour présenter le futur texte sur la fin de vie. Ce dernier n’introduit dans notre droit ni une « euthanasie » ni un « suicide assisté » mais une « aide à mourir », a précisé le président de la République pour lequel « les mots ont de l’importance ». « Le nouveau cadre propose un chemin possible, dans une situation déterminée, avec des critères précis, où la décision médicale a son rôle à jouer », a-t-il ajouté. Ces critères concernent l’âge du patient, son état cognitif, ou encore son pronostic vital : autant d’éléments pour lesquels des exemples étrangers peuvent s’avérer intéressants. La Belgique, notamment, qui a légalisé l’euthanasie en 2003, vient de publier des chiffres pouvant éclairer plusieurs points du futur projet de loi.

Pour rappel, la loi belge autorise l’euthanasie sous des conditions elles aussi très strictes. « Il faut être atteint d’une affection incurable, qui provoque chez la personne une souffrance répétée, durable, irréversible », détaille le Pr Didier Giet, président du département de médecine générale à l’université de Liège et membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE). Des mots qui font écho aux « souffrances réfractaires » évoquées par Emmanuel Macron dans son interview. Le président de la République précisait que ces souffrances peuvent être « physiques ou psychologiques », remarquant que « les deux vont souvent ensemble ». De fait, dans son rapport sur les euthanasies pratiquées en 2023, la CFCEE notait que dans plus de trois quarts des cas, plusieurs types de souffrances tant physiques que psychiques ont été constatés simultanément.

Peu de mineurs et de patients psychiatriques

Mais si sur le plan des souffrances, le souhait du président de la République semble correspondre à ce qui existe dans le droit belge, ce n’est pas le cas de plusieurs autres points qu’il a mentionnés dans son interview. L’aide à mourir doit en effet selon lui être « réservée aux personnes majeures » mais aussi à des personnes « capables d’un discernement plein et entier », ce qui exclut les porteurs de maladies psychiatriques ou neurodégénératives. Or en Belgique, les mineurs, les patients psychiatriques ou ceux atteints de la maladie d’Alzheimer peuvent recourir à l’euthanasie, même si cette possibilité est très rarement mise en pratique.

« Le nombre de mineurs se compte sur les doigts d’une main depuis que la loi est sortie, et l’euthanasie est dans ces cas beaucoup plus encadrée », précise Didier Giet. De fait, en 2023, la CFCEE n’a enregistré en Belgique qu’un seul décès de mineur par euthanasie. De même, les affections psychiatriques et les troubles cognitifs de type Alzheimer n’ont représenté l’année dernière conjointement que 2,6 % des euthanasies pratiquées. L’immense majorité des patients euthanasiés souffraient de cancers (55,5 %) ou de polypathologies (23,2 %). « Ceux qui veulent critiquer l’euthanasie parlent toujours des mineurs, des pathologies psychiatriques ou neurodégénératives, mais cela reste marginal », commente Didier Giet.

Autre point de divergence entre la future loi française et la loi belge : en France, l’aide à mourir concernera les patients atteints d’une « maladie incurable avec un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme », selon les propos du chef de l’État. L’appréciation du court et du moyen terme n’est pas encore précisée, et c’est un point des annonces présidentielles qui a été aussitôt critiqué, l’ancien député Jean Leonetti s’inquiétant par exemple dès le lendemain sur France Culture d’un moyen terme qui pourrait avoir tendance à s’étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années. En Belgique, en tout cas, dans une très grande majorité des situations (79,2 %), le décès du patient était attendu « à brève échéance ». « Et dans les cas où le décès n’est pas attendu à brève échéance, souligne Didier Giet, il doit y avoir en plus du deuxième avis médical toujours requis, l’avis d’un troisième médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie, et on doit attendre un mois supplémentaire. »

Au total, note la commission, 3 423 patients ont été euthanasiés en Belgique en 2023, ce qui représente 3,1 % des décès enregistrés dans le royaume. Le chiffre est en augmentation de 15 % par rapport à 2022, ce qui s’explique selon Didier Giet par le fait que patients et médecins sont « de plus en plus au courant » des possibilités offertes par la loi. Mais un autre chiffre peut être souligné : l’année dernière, 101 Français se sont rendus en Belgique pour y bénéficier de l’euthanasie (un chiffre considéré comme un minimum, le lieu de résidence des patients n’étant pas toujours renseigné dans les certificats). « Je trouve cela extrêmement triste, commente Didier Giet. Nous voyons l’euthanasie comme un dernier service rendu à nos patients, et les Français qui ont fait la démarche de venir en Belgique, d’établir un lien thérapeutique suffisamment durable avec un médecin, etc., sont évidemment uniquement ceux qui avaient la capacité financière de le faire. »

Pas de procédure accélérée

Même sentiment du côté de Jonathan Denis, président en France de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). « C’est un chiffre qui a doublé par rapport à l’année précédente, ce qui prouve bien que la législation chez nous ne suffit pas, souligne le militant. Il faut que la loi évolue, et je regrette qu’on ait perdu autant de temps. » Jonathan Denis et les autres militants de l’euthanasie vont d’ailleurs devoir encore patienter : Emmanuel Macron a bien précisé qu’il entendait laisser au travail parlementaire le temps de se déployer. « Sur un texte qui emporte de tels enjeux, on ne demande pas l’urgence, il n’y aura pas de procédure accélérée », a-t-il estimé, ajoutant vouloir veiller au « parfait respect du temps parlementaire. »

Un projet qui suscite la colère des soignants

Le 11 mars au matin, en réaction à l’annonce par le président de la République du projet de loi sur la fin de vie, les organisations soignantes ont publié un communiqué pour crier leur indignation. Quinze associations et sociétés savantes dont, côté infirmier, l’Association nationale française des IPA (Anfipa) et le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), y dénonçaient « une grande violence » de la part de l’exécutif. Les signataires remettaient en cause aussi bien la forme du projet, regrettant un manque de consultation des soignants et un « calendrier indécent », que le fond, critiquant « un système bien éloigné des besoins des patients et des réalités quotidiennes des soignants ». Le modèle choisi est décrit dans ce communiqué comme « ultra-permissif » et empruntant « à toutes les dérives constatées à travers le monde », et ses modalités y sont sévèrement critiquées. Le délai de deux jours évoqué par le chef de l’État pour s’assurer que la décision du patient est mûrement réfléchie est notamment considéré comme une preuve de la « méconnaissance de l’ambivalence du désir de mort ». Les organisations soignantes relèvent que le futur texte dénote un « manque de considération des personnes vulnérables et âgées, qui seraient les premières concernées par ce dispositif », et ce, alors même que la loi « grand âge est abandonnée ». Elles accusent par ailleurs le président de la République de minimiser l’impact du choix de ses mots. Il « retient le terme “d’aide à mourir”, en n’assumant pas que les options retenues relèvent de l’euthanasie et du suicide assisté », dénoncent-ils.