LA PRÉVENTION, CŒUR DE MÉTIER DES INFIRMIÈRES - Ma revue n° 024 du 01/09/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 024 du 01/09/2022

 

SANTÉ PUBLIQUE

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Les autorités sanitaires semblent de plus en plus vouloir s’appuyer sur la notion de prévention. Une opportunité pour les infirmières qui l’ont, depuis toujours, placée au centre de leur activité. Et elles le prouvent.

La maladie la plus facile (et la moins chère) à traiter est celle qu’on évite d’attraper. Il semblerait que cette lapalissade vienne tout juste d’être (re)découverte par le gouvernement. À tel point que le ministère des Solidarités et de la Santé a, au printemps dernier, été rebaptisé ministère de la Santé et de la Prévention. « Être en meilleure santé, cela passe aussi, à long terme, par de la prévention, a même déclaré le nouveau ministre, François Braun, lors d’un discours à ses agents prononcé le 28 juillet dernier. Nous allons intensifier nos efforts pour développer une véritable culture de prévention. » Il faut dire qu’à l’heure où la surchauffe semble gagner chaque recoin du système, la quête de solutions permettant de diminuer la demande de soins est devenue vitale. Le problème, c’est que pour l’instant, ce virage préventif semble avant tout concerner les éléments de langage. Or qui, mieux que les infirmières, pourrait aider les autorités sanitaires à lui donner un contenu tangible ?

« La prévention est inscrite dans les compétences infirmières de manière très concrète », notait Pedro Conches, infirmier de santé publique et inspecteur de l’Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté, dans un article paru il y a quelques années sur le sujet (1). Et ce spécialiste de souligner que l’article R4311-1 du code de la santé publique liste, parmi les activités de la profession infirmière, « la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé ». L’article R4311-15, quant à lui, précise que « selon le secteur d’activité où il exerce, […] et en fonction des besoins de santé identifiés, l’infirmier ou l’infirmière propose des actions, les organise ou y participe dans les domaines suivants : […] formation, éducation, prévention et dépistage, notamment dans le domaine des soins de santé primaires et communautaires ». Qu’on se le dise, la prévention est donc une prérogative infirmière par excellence. Même si cela n’a pas l’air d’être une évidence pour tout le monde.

« Quand j’ai entendu que l’ex-ministre de la Santé voulait créer le métier de préventologue, j’ai failli m’étrangler, se souvient Brigitte Lecointre, Idel et présidente de l’Association nationale française des infirmiers et infirmières diplômés et étudiants (Anfiide). La mission des infirmières, c’est justement de travailler à la prévention des maladies et aux moyens de conserver la santé. » Pour être juste avec Olivier Véran, qui a notamment évoqué ce nouveau métier lors d’un colloque organisé en janvier par l’Ordre national des infirmiers (ONI), celui-ci avait précisé que selon lui, la profession de préventologue devrait être accessible à partir de différentes qualifications, dont celle d’infirmière. Il n’en reste pas moins que, bien au-delà des articles du code de la santé publique ou des déclarations de principe des représentants associatifs, la prévention fait déjà partie du quotidien de nombreuses infirmières.

L’EXPÉRIENCE, PROPICE À LA PRÉVENTION

Exemple avec Hélène Valentin, infirmière Asalée qui, en plus d’exercer dans deux structures du Tarn, assume la coordination des nouveaux projets Asalée dans la région Occitanie. « Dans ma carrière, avant d’être infirmière Asalée, j’ai fait beaucoup de choses : de la réanimation, de la dialyse, des urgences, de la diabétologie, etc., énumère-t-elle. Je réalise aujourd’hui que ce que j’ai soigné pendant toutes ces années, ces accidents de la vie qu’on aurait pu au moins en partie éviter si on avait pu mieux éduquer les patients, je m’applique maintenant à le prévenir. » Et la soignante de prendre l’exemple des patients à risque cardiovasculaire, auxquels elle prend le temps d’enseigner les signes cliniques d’un infarctus. « Si on ne fait pas ce travail avec eux et avec leurs aidants, ils arrivent trop tard aux urgences », note-t-elle. Autre situation : en évaluant une personne âgée, il arrive à Hélène de réaliser « à de petits signes » qu’un jour malheureusement pas très lointain, « ce patient ne va pas savoir revenir à la maison ». Il est alors temps de mettre en route tout ce qui peut aider à prévenir les conséquences d’une telle évolution : « géolocalisation, téléassistance, mais aussi des questions telles que l’information sur l’aidant qui a la clé, sur les dates de vacances des enfants, la personne qui peut prendre le relais, etc. »

Changement de décor, avec un autre pan de la profession infirmière particulièrement investi dans la prévention : les infirmières travaillant dans le domaine de la santé au travail. Qui d’autre, mieux qu’elles, pourrait illustrer le rôle primordial de la profession pour empêcher les pathologies de survenir ou les détecter de manière précoce ? « Les missions principales des infirmières en santé au travail tournent autour de la prévention, souligne Nadine Rauch, présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT). Le plus important, c’est la prévention primaire : le travail collectif, en amont, avec les entreprises, pour discuter des outils de travail, des organisations, des stratégies… Malheureusement, nous ne parvenons pas suffisamment à agir sur la prévention primaire, et sommes trop souvent contraints d’intervenir une fois que les incidents ou les accidents sont là, en prévention secondaire, voire tertiaire. » Ce qui, reconnaît l’infirmière, reste de la prévention, même si c’est moins satisfaisant.

Au-delà des exemples d’Asalée ou de la santé au travail, qui portent avec quelques autres (notamment les infirmières scolaires) le rôle préventif de l’infirmière à son paroxysme, la prévention est présente dans tous les secteurs de la profession : en libéral, en hospitalisation, au bloc… oui, même au bloc. C’est du moins ce que soutient Brigitte Lecointre. « Nos collègues des blocs font, en amont des interventions, des consultations au cours desquelles elles peuvent délivrer des messages, par exemple sur la prévention des thromboses, rappelle la présidente de l’Anfiide. On constate qu’il y en a besoin quand, en libéral, nous voyons des patients qui trouvent que les bas de contention sont trop serrés ou trop chers, et qu’ils ne les mettent pas. » D’ailleurs, souligne Brigitte Lecointre, les infirmières font de la prévention à chaque fois qu’elles posent les questions les plus simples : « Avez-vous fait votre vaccin contre la grippe ? », « Vos médicaments vous satisfont-ils ? » ou encore « Est-ce que vous vous assurez bien, quand il fait chaud, d’avoir assez bu quand vous sortez ? »

EXTENSION DU DOMAINE DE LA PRÉVENTION

C’est donc entendu : si le nouveau ministère de la Santé et de la Prévention cherche des préventologues, ceux-ci sont tout trouvés, et ils sont volontaires. « On pourrait faire mieux si on nous donnait plus de temps et plus de moyens, c’est évident », avance Brigitte Lecointre. Reste à savoir si les moyens en question sont mobilisables. Car, quand on se penche sur le mode d’exercice des infirmières Asalée - qui font figure de pionnières en matière de prévention -, on se rend compte qu’il se distingue assez fortement de celui de l’ensemble de la profession. « L’un de nos points forts, c’est le temps accordé au patient, souligne Hélène Valentin. Nous pouvons avoir des consultations de 60 minutes, au cours desquelles on aborde tous les aspects de la vie du patient, de la manière dont il mange, dort ou bouge aux traumatismes qu’il a rencontrés, en passant par ses angoisses face à la mort, etc. »

Cette libération de la contrainte de temps permet à Hélène de développer des activités qui sortent de l’ordinaire, et dont on imagine mal qu’elles puissent devenir le quotidien de la majorité des infirmières, du moins dans le système actuel. « J’ai un groupe de marche avec mes patients. Le lundi, nous allons tous ensemble nous promener dans les environs, et cela leur permet d’échanger sur leurs médicaments, sur la manière dont ils s’adaptent à leur maladie », relate la soignante. Une manière pour celle-ci « d’assister à ce qui se joue » et de détecter d’éventuels besoins de prévention. De telles activités, insiste l’infirmière, ne sont possibles que parce qu’il n’y a « pas d’enjeu financier entre le patient et nous ». Et la soignante de souligner qu’elle répète aux patients que sa démarche consiste à « miser sur eux : s’ils sont plus autonomes, ils auront moins d’hospitalisations, de passages aux urgences, et c’est ce qui autofinance mon salaire ».

Reste qu’on pourrait imaginer des réformes permettant aux infirmières de faire davantage d’activités du type de celles présentées par Hélène Valentin. Problème : les évolutions en cours dans le système de santé n’incitent pas à l’optimisme sur ce point. C’est en tout cas ce qu’illustre l’expérience des infirmières en santé au travail. « Au lieu d’être orientée sur les interventions en milieu de travail, sur le terrain, l’activité des infirmières en santé au travail est de plus en plus centrée sur les visites, regrette Nadine Rauch. Nous avons une nouvelle loi dont les décrets d’application viennent de sortir : ils prévoient de nouvelles délégations de tâches qui nous cantonnent de plus en plus à la visite. » Car la situation sanitaire est têtue : « Il y a une pénurie de médecins du travail, et il faut continuer à assurer le suivi de millions de salariés », regrette la présidente du GIT. Bien sûr, les visites ne sont pas inutiles en termes de prévention, mais « ce n’est pas là que le rôle préventif des infirmières est le mieux utilisé », estime-t-elle. Un exemple qui symbolise à lui seul les injonctions contradictoires dont la profession infirmière dans son ensemble est l’objet : se concentrer sur son rôle propre, qui inclut la prévention, tout en apportant des solutions à la crise de la démographie médicale et en assumant toujours plus de nouvelles tâches… qui sont presque toujours d’ordre curatif et non préventif.

RÉFÉRENCES

Note

1. Conches P., « Agir en prévention, positionnement et actions du professionnel de santé », in Soins n° 832, janvier-février 2019

Et aussi

• Hasendahl S., « Asalée : du positif à long terme », L’infirmière Libérale Magazine n° 357 du 01/04/2019. En ligne sur : bit.ly/3T0Woxk

• Coq-Chodorge C. « Infirmières asalée. Pionnières vers l’autonomie », L’infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019. En ligne sur : bit.ly/3K74tfR

ÉCLAIRAGE

“Nous allons vraiment très loin dans les questions”

Corinne Knaff, cadre supérieure et responsable santé du département de l’Essonne qui organise dans ses centres de santé depuis dix ans des consultations infirmières de prévention pour les publics vulnérables.

Quand et comment est née la consultation infirmière de prévention de l’Essonne ?

Elle est née dans les années 2010 : nous nous rendions compte que certains bénéficiaires du RSA, ou certains jeunes suivis par les missions locales, étaient tellement absorbés par leurs démarches pour trouver un emploi que leur santé était laissée pour compte. Ils n’avaient pour la plupart pas de médecin traitant, et nous avons commencé par évaluer avec eux des problématiques telles que l’hygiène, le sommeil, les addictions… En 2012, nos infirmiers ont eu l’autorisation, dans le cadre d’un protocole de coopération, d’effectuer des sérologies VIH et hépatite, de prescrire et de réaliser les vaccinations du calendrier vaccinal…

Quel avantage y a-t-il à ce que ces consultations soient effectuées par des infirmières ?

L’infirmière peut prendre un temps dont le médecin ne dispose pas. La première consultation balaie tout : la prévention et l’information sur la contraception, l’hygiène alimentaire, les dépistages, l’état de bien-être, le risque suicidaire… Nous allons vraiment très loin dans les questions.

Quel est le bilan chiffré du dispositif ?

Au fil des ans, le dispositif a été de plus en plus connu, nous avons eu plus de patients, d’autant plus que nous avons développé des partenariats avec différentes institutions, par exemple les CCAS [Centres communaux d’action sociale, ndlr]. 12 infirmières ont signé un protocole de coopération et travaillent dans quatre structures. 2021 est une année où, du fait de la pandémie, nous avons connu une baisse d’activité, mais nous avons tout de même reçu 487 personnes et effectué 964 consultations. Celles-ci ont donné lieu à la vaccination de 254 personnes et à la réalisation de 339 dépistages.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

La plus importante est de trouver des spécialistes quand nos efforts de prévention détectent un problème de santé. En santé mentale, en ophtalmologie, en gynécologie, en odontologie, il n’est vraiment pas facile de trouver un professionnel qui prend de nouveaux patients.

Quelles sont les perspectives d’évolution ?

L’offre va s’agrandir avec un nouveau protocole national de coopération qui permet aux infirmières de nos structures de faire davantage de dépistages, de prescrire la contraception d’urgence, etc.