DÉCISIONS DE JURISPRUDENCE - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

JE ME FORME

JURIDIQUE

Gilles Devers  

avocat à la Cour de Lyon

Accident de service et choc psychologique, décès en raison de fautes lors d’une surveillance postopératoire, preuve d’une information préalable du patient bien délivrée. Voici trois décisions de jurisprudence à méditer*.

CHOC PSYCHOLOGIQUE IMPUTABLE AU SERVICE

L’annonce d’un changement de poste d’office en raison de la réorganisation du service, dans un contexte de dégradation des conditions de travail depuis plusieurs années, a provoqué chez un infirmier une aggravation de son état de santé avec l’apparition d’une amnésie soudaine et des séquelles psychiatriques. Le choc généré par cette annonce doit être regardé comme un accident de service (CAA de Douai, 30 novembre 2021, n° 20DA00686).

Ce que dit la jurisprudence

Constitue un accident de service tout événement ou série d’événements survenus à des dates certaines, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci, sauf si des circonstances particulières ou une faute personnelle du fonctionnaire détachent cet événement du service.

Faits

L’affaire concerne un IDE exerçant ses fonctions en tant que cadre de santé aux urgences. Le 24 mai 2016, dans le cadre d’un projet de réorganisation du service, la direction a informé cet agent de son changement d’affectation. Le 27 mai, il a été revu par trois membres de la direction pour évoquer ses souhaits d’évolution professionnelle et une nouvelle rencontre était prévue le 3 juin. Le 2 juin, l’agent ne s’est pas présenté au rendez-vous de la médecine du travail et a laissé le centre hospitalier et ses proches sans nouvelles pendant près de deux jours avant d’être retrouvé par les forces de police en état de choc avec une amnésie transitoire dans un établissement de santé. Le 4 juin, il a rédigé une déclaration d’accident expliquant avoir été pris d’une « bouffée d’angoisse » avec des idées suicidaires sur le parking de l’hôpital en voyant ses anciens collègues et en se remémorant un entretien avec le directeur du centre hospitalier. L’agent est resté hospitalisé en psychiatrie, avec des congés maladie puis de longue maladie.

Analyse

La disparition de cet infirmier trouve son origine dans les entretiens des 24 et 27 mai 2016 devant aboutir à son changement d’affectation. Il résulte des deux expertises médicales diligentées par le centre hospitalier, et des deux avis de la commission de réforme faisant suite à ces deux expertises, que les troubles anxiodépressifs dont l’agent souffre ne peuvent être imputés à un état antérieur ou facteur extérieur personnel, mais qu’ils sont en lien direct avec le service. Ainsi, l’annonce de son changement de poste d’office en raison de la réorganisation décidée du service, intervenue dans un contexte de dégradation des conditions de travail depuis plusieurs années, dont l’intéressé s’est remémorée avant de se rendre à une consultation à la médecine du travail, a provoqué une brusque aggravation de son état de santé. Dans ces conditions, le choc survenu le 2 juin 2016 doit être regardé comme constituant un accident de service.

INITIATIVES MÉDICALES FAUTIVES DES INFIRMIÈRES

Un décès survenu en postopératoire n’est pas lié à la réalisation de l’acte chirurgical, mais à deux fautes commises dans la surveillance postopératoire par la non-réalisation d’examens et l’administration d’un traitement non prescrit par le médecin (CAA de Versailles, 17 décembre 2021, n° 18VE01453).

Faits

Le 20 février 2006, une patiente de 39 ans a subi une hystérectomie au sein d’un centre hospitalier. Le lendemain, elle a fait un arrêt cardiaque à 13 h 40 et est décédée des suites d’un choc hémorragique résultant d’une hémorragie intra-abdominale postopératoire qui s’est constituée progressivement.

Analyse

Les rapports d’expertise n’ont relevé aucune faute dans la réalisation de l’acte chirurgical, mais deux au stade de la surveillance postopératoire. En raison d’une instabilité de la pression artérielle et d’une baisse du taux d’hémoglobine peu après l’intervention, le médecin anesthésiste a prescrit deux NFS, une pour le jour même de l’intervention, à 18 h, et une autre pour le lendemain matin. Or, ces examens n’ont jamais été réalisés alors que l’état de la patiente l’imposait. Le chirurgien qui a opéré a décidé d’annuler les deux numérations malgré les signes évocateurs d’une hémorragie et l’aggravation de la patiente au cours de la nuit précédente. Selon les experts, si le « contrôle de la numération de la formule sanguine dans les heures suivant une hystérectomie sans difficulté technique, ou le lendemain, n’est pas systématique, il l’était en l’espèce, en raison des baisses de la pression artérielle en salle de surveillance postinterventionnelle ; a fortiori, durant la soirée et la nuit, pour la même raison ». Ensuite, durant la nuit ayant précédé le décès, les infirmières n’ont pas alerté le médecin de garde malgré plusieurs chutes de la pression artérielle et une tachycardie, et ont administré, sans precription médicale, trois perfusions de Voluven pour restaurer le volume sanguin en cas de perte de sang. Selon les experts, le défaut de surveillance et d’organisation du service est à l’origine d’une perte de chance d’éviter le décès : « Si les infirmières avaient informé le médecin de garde des anomalies de surveillance clinique, ce dernier aurait examiné la patiente, prescrit un bilan sanguin montrant la déglobulisation et des examens complémentaires (échographie, voire scanner abdominal) confirmant l’hémorragie interne, et l’urgence de réintervenir, ce qui lui aurait sauvé la vie. » La mortalité d’une telle intervention sur un état hémodynamique stable étant inférieure à 5 %, il faut déduire que le décès résulte exclusivement des fautes commises.

PREUVE DE L’INFORMATION PRÉALABLE DU PATIENT

Un document écrit signé par le patient n’est pas suffisant pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve de la délivrance de l’information. C’est à l’établissement d’établir qu’un entretien préalable, nécessaire à la délivrance d’une information conforme aux dispositions, a eu lieu et que tous les moyens ont été mis en œuvre pour s’assurer d’un consentement éclairé à l’acte de soins (CAA de Nantes, 3 décembre 2021, n° 20NT02708).

Faits

Un homme né en 1956 a présenté, en octobre 2005, une surdité droite brutale avec vertiges alors qu’il était atteint d’algies faciales anciennes qui correspondaient à des céphalées frontotemporales droites à type de lancements. En janvier 2006, une IRM réalisée dans un CHU a révélé la présence d’un petit neurinome intracanalaire au niveau du méat acoustique droit, surveillé par IRM. En juin 2008, il a été constaté une augmentation du neurinome, une amplification des acouphènes et une baisse de l’acuité auditive droite. En juillet, le patient s’est vu proposer une irradiation stéréostaxique cérébrale qui a été réalisée le 10 octobre. Dans les suites de l’intervention, le neurinome a légèrement regressé, mais le patient est resté atteint d’une cophose droite, d’acouphènes, de troubles de l’équilibre du côté droit, d’un larmoiement de l’œil droit et de sensations de chaleur de l’hémiface et de l’hémicrâne droits, avec une hypoesthésie de l’hémiface et de l’hémilangue droites, le tout associé à un syndrome dépressif. Deux expertises ont écarté la faute médicale au profit d’un aléa thérapeutique.

Manquement à l’obligation d’information

Le patient allègue ne pas avoir signé de document attestant avoir reçu les informations afférentes aux risques de l’intervention, de sorte que le CHU n’apporte pas la preuve de l’avoir informé sur ces risques, selon l’article L 1111-2 du Code de la santé publique. La production d’un document écrit signé par le patient n’est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve de la délivrance de l’information. Il appartient à l’établissement d’établir qu’un entretien préalable, nécessaire à la délivrance d’une information conforme à ces dispositions, a eu lieu, et de démontrer que le destinataire de l’information a été mis en position de donner un consentement éclairé à l’acte auquel il s’est volontairement soumis.

Analyse

Il résulte des comptes-rendus de consultation que lors de la consultation du 2 juin 2008, le chef du service de neurochirurgie a proposé une irradiation multifaisceaux que le patient a acceptée, et un rendez-vous a été fixé le 3 juillet avec deux autres médecins spécialistes. Dans leur compte-rendu de consultation, ces derniers indiquent avoir expliqué les principes et les effets secondaires de l’acte, et que le patient a donné son accord. Le courrier du 8 juillet 2008 adressé au médecin traitant par l’un de ces spécialistes mentionne également que ces informations ont bien été portées à la connaissance du patient. Le CHU apporte ainsi, par ces éléments, la preuve que le patient a reçu toute l’information nécessaire sur l’objectif, les conséquences et les risques prévisibles de cette intervention.

* Source : Objectif Soins & Management, n° 285, février-mars 2022