NUTRITION ET DIÉTÉTIQUE DU PATIENT ILÉOSTOMISÉ - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Pauline Luere  

diététicienne au Centre de soins infirmiers ADN Santé, à Bordeaux (Gironde)

INTRODUCTION

ILÉOSTOMIE… QUÈSACO ?

L’iléostomie consiste en l’abouchement chirurgical de la partie terminale de l’intestin grêle, l’iléon, à la surface de l’abdomen. Ce geste chirurgical vise, dans 70 % des cas, à enlever une tumeur du côlon sigmoïde, du rectum. Dans les autres cas, elle est indiquée en cas de perforation intestinale, d’anastomose digestive dans le cadre d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (Mici), d’une endométriose envahissante, etc.

L’iléostomie est majoritairement provisoire, dite « de décharge » ou « de protection », en ce qu’elle permet de dériver temporairement le transit pour mettre au repos la zone opérée et ainsi en faciliter sa cicatrisation. La continuité digestive sera rétablie lors d’une autre intervention. En revanche, l’iléostomie est définitive lorsque le sphincter anal est retiré. Dans les deux cas, le contenu intestinal est éliminé dans une poche de recueil.

LES CONSÉQUENCES PHYSIOLOGIQUES

Ce montage chirurgical, qui « court-circuite » totalement le côlon, entraîne un défaut de réabsorption de l’eau, des électrolytes et des sels biliaires. Les selles éliminées via l’iléostomie, en amont du côlon, sont donc plutôt liquides et corrosives.

Autre conséquence, ce transit « accéléré » nuit fortement à l’absorption efficace des nutriments et génère bien souvent une perte de poids dans les semaines qui suivent l’intervention. Par conséquent, les points de contrôle majeurs sont les suivants : le transit (consistance des selles et débit), l’hydratation et le poids.

UNE CONSULTATION DIÉTÉTIQUE AU PLUS TÔT

En postopératoire, la consultation diététique, essentielle, doit être précoce. En effet, sauf complication ou retard de transit, l’hospitalisation ne dure que quelques jours. Il faut donc intervenir au plus tôt après la chirurgie. Cela permet d’interroger le patient sur ses croyances, de reprendre avec lui les notions physiologiques, de lui expliquer l’impact de la chirurgie sur son transit et de l’accompagner dans sa réalimentation. Le patient doit être acteur de sa prise en charge afin d’appréhender au mieux son nouveau quotidien et ne pas s’imposer des régimes restrictifs et anorexigènes par manque de connaissances. Car faute de prise en charge diététique, trop de personnes se retrouvent en errance alimentaire. Sans cet accompagnement, les conséquences sont souvent terribles et difficiles à rattraper : déshydratation sévère, insuffisance rénale aiguë, dénutrition, anorexie, dépression, isolement social, entre autres.

UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE

L’approche psychologique est primordiale après ce type de chirurgie, l’intégrité physique se trouvant fortement altérée. Bien souvent, la stomie est une « contrainte » de plus dans un parcours médical déjà long et complexe (Mici, protocoles thérapeutiques lourds comme la chimiothérapie et la radiothérapie, etc.). Chez certains patients, il s’agira de rationaliser les peurs.

Dans ce cadre, la prise en charge pluridisciplinaire prend alors tout son sens. Il est important que l’ensemble de l’équipe, tant médicale que paramédicale, ouvre un espace d’échanges et de parole suffisant dans lequel la famille s’intégrera aussi très volontiers. Car n’oublions pas que manger est un acte de vie, de plaisir et de partage. La phase d’accompagnement postopératoire doit donc se faire avec écoute, empathie, soutien, douceur et bienveillance, gage d’une prise en charge de qualité. Le patient doit rentrer chez lui le plus sereinement et autonome possible.

MISE EN ŒUVRE

LES OBJECTIFS NUTRITIONNELS

Ils sont de plusieurs ordres :

– compenser les pertes dues à la malabsorption ;

– ralentir et réguler le transit intestinal ;

– pallier un état de dénutrition et anticiper les pertes de poids ;

L’ACCOMPAGNEMENT ET L’ÉDUCATION NUTRITIONNELLE

L’alimentation est un soin. L’objectif est d’amener le patient vers une alimentation la plus équilibrée et diversifiée possible. Le rôle du diététicien et des soignants va d’abord être de démystifier l’alimentation du patient stomisé et lutter contre l’idée reçue selon laquelle elle doit être sans résidus. Bien au contraire ! Tout régime restrictif, quel qu’il soit, est synonyme de carences alimentaires et d’absence de plaisir. Et s’il perdure trop longtemps, il crée un risque accru d’anorexie et de dénutrition.

UNE REPRISE ALIMENTAIRE PAR ÉTAPES

En l’absence de complications postopératoires, la reprise alimentaire doit se faire à J+1 car la capacité de fonctionnement de la paroi intestinale décroît avec l’inactivité. Il y a donc tout intérêt à réalimenter le patient au plus tôt, mais par étapes, en réintroduisant un seul nouvel aliment par repas et en limitant l’apport d’aliments contenant des fibres (voir le tableau ci-contre). Ceci permet de tester la tolérance intestinale au fur et à mesure et d’ajuster les menus au quotidien.

Une portion de féculents devra figurer à chaque repas. Au départ, on optera pour des féculents raffinés, c’est-à-dire « blancs » (non complets ou semi-complets). À noter que les aliments froids (jambon, fromage, desserts) et lisses (potages, purées, laitages, compotes) sont souvent mieux acceptés par le patient en début de réalimentation. Les aliments difficiles à mastiquer ou à odeur et goût forts sont à proscrire, de même que ceux favorisant les gaz (lire l’encadré « Des aliments “incommodants” » ci-contre).

Idéalement, et surtout en début de réalimentation, les potages, les purées et les laitages doivent être enrichis pour majorer l’apport en protéines et en calories en ajoutant du beurre et du fromage râpé ou de la poudre de protéines. De même, l’alimentation doit être bien pourvue en potassium et en sodium pour compenser les pertes. Rappelons que le potassium intervient dans des fonctions métaboliques majeures : impulsions nerveuses, contractions musculaires, régulation du rythme cardiaque. Avec son cousin le sodium, il participe à l’équilibre acido-basique de l’organisme.

Sauf indication médicale, aucun régime réduit en sel ne doit être mis en place chez le patient iléostomisé. Il est même conseillé de saler davantage les aliments. Il convient d’inciter la personne à consommer régulièrement des aliments riches en potassium comme la pomme de terre, la sardine ou encore la banane. Car il en va de l’équilibre global de l’organisme.

CONSEILS HYGIÉNO-DIÉTÉTIQUES

• Manger de petits morceaux et bien mastiquer.

• S’hydrater en dehors des repas pour éviter de « diluer » les enzymes digestives et distendre l’estomac.

• Éviter les aliments et boissons glacés.

• Éviter les fibres dures/longues difficiles à cuire et à mastiquer (vert de poireau, asperges et haricots verts filandreux/ligneux, etc.).

• L’excès de fibres, surtout crues, induisant une majoration du volume et du débit des selles, les quantités consommées sont toujours à modérer (par exemple, éviter l’association d’une crudité et d’un fruit cru dans le même repas) (lire l’encadré « Quelques mots sur les fibres » p. 34).

• Intégrer une portion de féculents à chaque repas (exemples : salade de riz, riz créole, riz au lait).

• Privilégier les aliments assurant un confort digestif et non laxatifs.

• Éviter les sodas et boissons très sucrées car leur forte osmolarité peut provoquer des diarrhées.

Ces bonnes pratiques ont pour objectif d’améliorer la tolérance digestive et l’absorption des aliments et nutriments. Mais des adaptations sont parfois nécessaires : certaines personnes peuvent, par exemple, développer une sensibilité ou une intolérance au lactose. On peut alors les orienter vers des produits à faible teneur en lactose. Les fromages à pâte pressée (emmental, gouda, parmesan, comté, etc.) sont très bien tolérés car ils sont quasiment dépourvus de lactose. Ils peuvent d’ailleurs être allègrement utilisés pour enrichir les préparations. De même, il conviendra d’écarter les excitants (café, thé noir, etc.) chez les patients qui ont une sensibilité particulière à ces produits.

Plus globalement et sur le long terme, certains aliments sont à éviter car ils majorent la diarrhée : fritures et préparations culinaires très grasses, fibres longues et dures, jus de fruits, épices fortes, aliments et boissons glacés.

DES RISQUES À PRENDRE EN COMPTE

ILÉOSTOMIE ET DÉNUTRITION

Comme évoqué précédemment, les risques de malabsorption et donc de dénutrition sont accrus chez les patients porteurs d’une iléostomie. Pour l’éviter ou la traiter, les apports protéiques et lipidiques doivent donc être valorisés.

Si le patient présente un dégoût pour la viande, on peut conseiller des alternatives protidiques comme le poisson ou les œufs, mais également des enrichissements avec des œufs, de la poudre de lait ou de protéines, du fromage. Les calories peuvent quant à elles être apportées avec la crème fraîche, le beurre, les huiles, le fromage, les biscuits, etc.

Si l’alimentation conventionnelle s’avère insuffisante, ou si la dénutrition est avérée, on peut alors proposer des compléments nutritionnels oraux en sus (boissons lactées, crèmes, biscuits et jus de fruits hyperprotéinés et hypercaloriques).

L’appétit du patient étant souvent altéré, il faut l’encourager à fractionner ses repas. Soigner la présentation des plats et respecter les envies et les goûts de la personne peuvent aider à stimuler un appétit défaillant.

OBJECTIFS HYDRIQUES ET DÉSHYDRATATION

Le risque de déshydratation est majeur chez les patients iléostomisés du fait de la non-réabsorption hydrique et électrolytique (côlon court-circuité). Idéalement, et a minima, le patient doit boire 1,5 litre de plus que le débit de sa stomie, avec une vigilance accrue dans certains cas : haut débit (> 1 l/24 h), fièvre, canicule, traitements diurétiques, démence, pathologies neurologiques (adipsie), etc.

En pratique, il est souvent difficile d’atteindre ces objectifs hydriques, tout particulièrement chez les personnes âgées. Il faut donc penser à stimuler très fréquemment les patients et diversifier autant que possible les sources pour éviter la monotonie et stimuler les papilles (tisanes, thés légers, sirops à l’eau, eaux aromatisées, etc.).

Les eaux riches en sodium améliorent la réhydratation. Celles de Vichy et de St-Yorre sont particulièrement recommandées car elles sont fortement dosées en bicarbonates. Elles facilitent la digestion et jouent un rôle important en tamponnant l’acidité du contenu grêlique.

Presque systématiquement, en complément d’une alimentation adaptée, des traitements comme le lopéramide et la diosmectite sont utilisés afin d’épaissir les selles et ralentir le transit, et obtenir des selles de consistance « compote ».

SITUATIONS PARTICULIÈRES ET POINTS DE VIGILANCE

• Stomie à haut débit : éviter les boissons hypotoniques et privilégier les eaux type Vichy ou St-Yorre.

• Constipation : aucune constipation ne devrait apparaître avec une iléostomie. Y a-t-il présence de gaz ? L’abdomen est-il météorisé ? Suspecter une occlusion.

• En cas d’insuffisance du pancréas exocrine, un traitement substitutif d’enzymes pancréatiques s’avère indispensable pour ne pas aggraver les malabsorptions et les diarrhées.

Pour conclure, aucun aliment ne doit être exclu. L’alimentation doit être la plus variée et équilibrée possible. Chaque patient stomisé doit tester sa propre tolérance. Et si toutefois un aliment est mal supporté, il doit être retesté ultérieurement. De même, les conseils diététiques doivent toujours être ajustés au contexte de chaque patient et à sa tolérance. Vous l’aurez donc bien compris, simplement remettre un document généraliste au patient s’avérera insuffisant !

RÉFÉRENCES

• Afa, L’essentiel, fiche #04 « Stomies digestives : adapter son alimentation ». En ligne sur : bit.ly/3s4AyfG

• Hôpitaux universitaires de Genève, « Conseils aux personnes colostomisées », mars 2016. En ligne sur : bit.ly/3AVTLUX

• Institut régional du cancer de Montpellier, « Guide pratique pour m’aider à gérer ma stomie (colostomie gauche) » et « Gérer ma stomie digestive droite ». En ligne sur : bit.ly/3uj920K

À savoir

DES ALIMENTS « INCOMMODANTS »

• Aliments pouvant augmenter les odeurs : poires, ail, oignon, asperge, choux, chou-fleur, poisson, œuf, brocoli.

• Aliments et boissons pouvant augmenter la production de gaz : boissons gazeuses, fèves, haricots, chou-fleur, maïs, champignons, épinards, brocoli, bière, concombre.

Quelques mots sur les fibres

Il existe plusieurs types de fibres : solubles et insolubles. Les fibres solubles, comme la pectine, absorbent l’eau et aident donc à réguler le transit. A contrario, la cellulose, fibre insoluble, n’est pas dégradée par les enzymes ou acides digestifs. La seule façon d’améliorer la digestibilité est de bien cuire les aliments concernés (petits pois, maïs, fibres longues, fruits secs et oléagineux, pépins, champignons, légumineuses, etc.) et de bien les mastiquer. Ces aliments sont déconseillés en consommation régulière car ils sont mal digérés et mal absorbés (ils arrivent souvent intacts dans la poche de recueil) chez les patients iléostomisés.

Mais il ne faut pas stigmatiser les fibres et les supprimer totalement. C’est la quantité, la cuisson et leur répartition sur la journée qui sont déterminantes. L’apport systématique de féculents est un allié de taille pour pouvoir remanger des fruits et des légumes en toute sérénité.