DES ÉQUIPES D’HYGIÈNE TRÈS OPÉRATIONNELLES - Ma revue n° 005 du 01/02/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 005 du 01/02/2021

 

CRISE SANITAIRE

JE DÉCRYPTE

PROFESSION

Laure Martin  

Ces spécialistes jouent un rôle transversal au sein des établissements de santé. Mais avec la crise sanitaire actuelle, leurs missions ont sensiblement évolué, et la formation des soignants a pris une large place.

Classiquement, le rôle des infirmiers hygiénistes est d’assurer la surveillance du risque infectieux chez les patients et les équipes soignantes. Ils interviennent auprès du personnel pour l’aider à gérer des situations épidémiques et éviter que les malades soient contaminés. Au sein des structures hospitalières, ils font partie d’une équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) ou d’une unité de gestion du risque infectieux (Ugri), qui couvre tout l’établissement et intervient aussi bien auprès des personnels médicaux que paramédicaux. Mais depuis le début de la pandémie, les priorités ont quelque peu été réorientées. « Si avant la formation aux règles d’hygiène n’était pas toujours la priorité des équipes soignantes dans leur travail au quotidien, avec la crise sanitaire, un vent de panique a déferlé et nos missions ont totalement changé, constate Éric Tricot, hygiéniste au sein du centre hospitalier (CH) du Mans. Avant la crise, nous pouvions avoir quelques difficultés à convaincre les soignants de l’intérêt d’actualiser leurs connaissances dans le domaine de l’hygiène. Mais depuis la première vague, nous avons dû former tout le personnel en même temps pour garantir sa sécurité et celle des patients. »

FORMATION EN URGENCE AU CŒUR DES SERVICES

Dès le début de la crise sanitaire, le rôle des équipes opérationnelles d’hygiène a été d’éviter les contaminations et la diffusion de la Covid19 en mettant en place des protocoles. Dans ce cadre, l’objectif a été de maîtriser au maximum le risque que représentent les patients malades arrivant à l’hôpital et de veiller à ce que le personnel ne soit pas un vecteur de transmission. Les EOH ont donc dû réagir vite car « le virus se transmet très rapidement et a contaminé de nombreuses personnes », rappelle Céline Poulain, cadre supérieure de santé hygiéniste au sein du Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Pays de la Loire. « Dans la méthodologie de travail, il a fallu chercher à devancer l’épidémie pour l’enrayer. Aujourd’hui, l’objectif est de ne rien lâcher tant que le nombre de contaminations n’a pas diminué. »

Les EOH ont donc pour mission d’identifier et d’évaluer le risque épidémique, et de former les personnels à maîtriser la diffusion du virus et la contamination. Pour y parvenir, un seul moyen : la formation et la sensibilisation, lesquelles se traduisent par un rappel des mesures d’hygiène de base au plus grand nombre de soignants possible, pour une application rigoureuse et rapide. Car au début de l’épidémie, les tests de dépistage faisaient défaut. Ensuite, avec la Covid19, des précautions complémentaires « contact » et « gouttelettes » ont été mises en œuvre en sus de celles standards.

Habituellement, les équipes opérationnelles disposent de référents dans les services qu’elles forment régulièrement tout au long de l’année afin qu’ils puissent ensuite transmettre l’information aux autres soignants. Mais avec la crise sanitaire, ce sont les équipes opérationnelles d’hygiène qui sont intervenues directement dans les services pour expliquer aux professionnels de santé l’habillage et le déshabillage avec les équipements de protection individuelle (EPI) adaptés pour éviter toute contamination et toute transmission du virus lors des soins. Elles ont en outre profité de ces déplacements, au moment des transmissions entre équipes pour avoir un impact sur le plus de soignants possible, pour effectuer un rappel des recommandations. « Entre mars et mai, nous avons organisé des sessions de formation en salle et dans les unités de soins, trois à quatre fois par jour, pour les équipes de jour comme de nuit, indique Éric Tricot. Nous avons pu former plus de 2 000 personnes en l’espace de deux mois. » Mais les EOH ont aussi un rôle d’éducation à remplir auprès des représentants des usagers, véritables relais de l’information aux patients et à leurs visiteurs.

L’ÉCRITURE DE PROTOCOLES

Les formations dispensées aux équipes soignantes ont généralement été accompagnées de protocoles de prises en charge à respecter, diffusés, dans le cas du centre hospitalier du Mans, par le biais de la cellule de crise. « L’une des nouveautés pendant cette période a été de travailler sous la direction de cette cellule, rapporte l’hygiéniste. En général, les EOH sont autonomes, mais pendant la première vague, nous ne pouvions rien publier ou diffuser sans que les infor mations ne soient préalablement validées par la cellule. » Et de poursuivre : « Ce mode de fonctionnement avec un seul canal de validation et de diffusion a permis de légitimer les messages que nous souhaitions diffuser. En revanche, il nous a fallu parfois produire des documents en urgence et pas toujours sous la forme que nous aurions souhaitée. » Un canal de diffusion unique d’autant plus légitime quand les consignes sont nombreuses et que la situation sanitaire évolue rapidement. Pour transmettre des informations fiables et vérifiées, les hygiénistes doivent en permanence consulter les publications officielles et les recommandations de sociétés savantes. Mais les nombreux textes ont parfois pu rendre les informations à disposition des équipes soignantes quelque peu confuses. « En cas de problème lié à la transmission des recommandations, nous travaillons étroitement avec les praticiens hygiénistes de l’unité, soit pour réajuster, soit pour communiquer la bonne information », souligne Éric Tricot.

UN TRAVAIL D’ENQUÊTE

Avec l’évolution de l’épidémie, les missions des équipes opérationnelles d’hygiène n’ont cessé d’évoluer. « Aujour d’hui, nous effectuons beaucoup de contact tracing », fait savoir Céline Poulain. Par exemple, lorsqu’un patient est pris en charge à l’hôpital, que le test RTPCR est négatif mais qu’après huit jours d’hospitalisation, il est testé positif, la découverte de la contamination est considérée comme fortuite. « Il faut donc tracer les personnes pour les contacter, les tester, puis les isoler », explique la cadre supérieure de santé hygiéniste. Et de déterminer si le patient était en phase d’incubation, ce qui pourrait expliquer le résultat négatif, ou s’il a été contaminé à l’hôpital. Les EOH doivent alors enquêter. Si la contamination a eu lieu au sein de l’établissement de santé, il s’agit alors d’une infection associée aux soins. Le rôle des hygiénistes va donc d’être de veiller à la protection des autres malades et des personnels en rappelant à ces derniers les bonnes pratiques. Un travail d’investigation mené aussi du côté des soignants lorsque l’un d’eux est positif. L’équipe opérationnelle doit alors s’assurer que le professionnel n’a pas transmis le virus à un patient. « Une enquête est alors menée concernant le soignant, plus précisément pour déterminer s’il a été observant dans ses pratiques professionnelles, rapporte l’hygiéniste. Mais nous devons aussi démarcher tous les collègues avec lesquels il a été en contact. »

UNE PARENTHÈSE DANS LES MISSIONS DE BASE

Sans grande surprise, la crise sanitaire a eu un impact sur les surveillances habituelles réalisées par les équipes opérationnelles d’hygiène. Depuis mars, une grande partie de leur travail courant est mise entre parenthèses. « Le quotidien de notre équipe avant la crise sanitaire consistait essentiellement à faire de l’information, de la communication et de la mise à jour de protocoles en lien avec des procédures de soins, indique Éric Tricot. Nous faisions aussi de nombreuses interventions dans les écoles paramédicales, pour les modules de base en hygiène, et nous assurions également des missions de surveillance diverses. » Durant la crise, les équipes ont bien entendu continué de surveiller la survenue de bactéries multirésistantes. Cependant, au sein du CH du Mans, « depuis septembre, nous avons juste repris l’activité de formation des étudiants en soins infirmiers et des aides-soignants, poursuit l’hygiéniste. Nous n’avons pas eu de renfort car, pour nous prêter main-forte, les soignants doivent avoir des connaissances en hygiène. Nous avons donc dû faire beaucoup d’heures supplémentaires car il y a très peu de ressources. » Pour exercer en tant qu’infirmier hygiéniste, il faut être titulaire d’un diplôme universitaire (DU) en hygiène hospitalière et infections associées aux soins. Nombreux sont ceux qui l’associent à un DU Qualité et gestion des risques en établissements sanitaires et médicosociaux ou à un master 2 Gestion des risques associés aux soins.

Mais la crise a aussi eu des effets positifs. Elle a notamment permis d’avoir plus d’échanges directs entre les équipes d’hygiène et les soignants. « Ces derniers sont aujourd’hui beaucoup plus demandeurs, se félicite Éric Tricot. Depuis le début de l’épidémie, nous nous sentons davantage reconnus dans notre rôle. Les personnels ont compris l’intérêt des hygiénistes. Nous avons pu faire redécouvrir les règles d’hygiène de base aux équipes, qui ne les appliquaient pas toujours correctement. »

RÉFÉRENCES

• Le site de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) : www.sf2h.net

• Fiche de poste de l’infirmier hygiéniste dans la fonction publique hospitalière : bit.ly/384yZnZ

Les Cpias, un soutien aux équipes à l’échelle régionale

Le réseau des Centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) représente un ensemble de 17 structures publiques hébergées dans les CHU. Elles sont chargées, par le ministère de la Santé et les agences régionales de santé (ARS), de mettre en œuvre la politique nationale de prévention des infections associées aux soins (IAS). Les Cpias ont plusieurs types de mission comme le conseil, l’expertise ou encore l’appui aux professionnels de santé, quels que soient leur lieu et mode d’exercice, que ce soit en établissement sanitaire et médicosocial ou en ville. Ils assurent la coordination et l’animation de réseaux de soignants participant à la prévention des IAS, en uniformisant les recommandations pour toute la région, par exemple. Ou encore par l’investigation, le suivi des déclarations et l’appui à la gestion à la demande des professionnels de santé concernés ou de l’ARS. Enfin, comme les établissements médicosociaux n’ont pas d’obligation à avoir des équipes opérationnelles d’hygiène, ce sont fréquemment les équipes des Cpias qui viennent en soutien.

Site Internet du réseau Cpias : www.cpias.fr

TÉMOIGNAGE

“La mise en avant des précautions standards est le socle de notre travail”

Valérie Salaun, infirmière hygiéniste à la clinique Jules Vernes (établissement de médecine-chirurgie-obstétrique), à Nantes (Loire-Atlantique)

« Je suis la seule infirmière hygiéniste de la clinique. Mais deux fois par semaine, un praticien hygiéniste vient apporter son expertise. Outre les missions d’hygiène que je mène, depuis février s’est ajoutée la crise sanitaire dont l’ampleur nous a surpris. En Pays de la Loire, nous avons tout de même été privilégiés car nous avons été dans le creux de la vague et nous avons eu le temps de nous préparer. Il a néanmoins fallu mettre en place des procédures, parfois avant même l’existence de recommandations nationales sur l’habillage et le déshabillage du personnel et les circuits de prise en charge des patients, car les services de chirurgie, d’urgences, de cancérologie et la maternité ont continué de fonctionner. Avec la cellule de crise du plan blanc, nous avons aussi rédigé les protocoles et assuré la gestion des équipements, et j’ai également fait de l’accompagnement des équipes sur le terrain. Nous avons eu la chance de bénéficier du pilotage du CHU de Nantes, un travail territorial d’un grand secours. Aujourd’hui, même si nous avons encore des patients Covid, nous avons repris nos activités. Mon rôle est de revoir les circuits, avec les cadres de secteur, de m’assurer que nous disposons de la bonne quantité d’équipements de protection individuelle et que les protocoles sont à jour. Nous avons aussi été chargés d’organiser les salles de pause, les temps de repas et les vestiaires pour éviter la contamination entre soignants. J’assure par ailleurs le contact tracing des professionnels de santé. Lorsque l’un d’eux craint d’être positif à la Covid-19, je vais rechercher les cas contacts, je l’appelle pour échanger avec lui sur la manière de se comporter au travail et à son domicile. La mise en avant des précautions standards est le socle de notre travail. Avec la crise, les soignants qui étaient déjà sensibles aux consignes d’hygiène le sont restés, et ceux qui l’étaient moins le sont devenus. »