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L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

VILLE-HÔPITAL

DOSSIER

Pathologie de ville davantage qu’hospitalière, le Covid-19 a obligé à repenser le lien entre le monde libéral et les établissements, avec plus ou moins de succès selon les territoires.

c’est un vrai paradoxe. L’épidémie du Covid-19 a provoqué une forte tension du système hospitalier et une saturation des services de réanimation en Île-de-France et dans le Grand Est, alors même qu’il s’agit d’une pathologie très majoritairement prise en charge en ville, puisque plus de 85% des patients touchés ne présentent aucune complication majeure. Selon une estimation du syndicat des médecins généralistes MG France, près de 1,6 million de patients présentant des symptômes probables ou avérés ont été pris en charge dans les cabinets de ville entre le 17 mars et le 3 avril, c’est-à-dire au plus haut de la vague. En effet, lors des stades 1 et 2 de l’épidémie, toutes les prises en charge sont restées hospitalières, même pour les patients sans complications, dans la mesure où la stratégie consistait alors à freiner la propagation du virus. « À ce moment-là, lorsque nous avions un patient susceptible d’être atteint par le coronavirus, nous devions l’isoler et appeler le centre 15 pour le faire conduire à l’hôpital, raconte le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. De fait, les médecins généralistes ont ainsi été écartés de la prise en charge et surtout de la préparation de la riposte à l’épidémie qui s’est gérée à l’hôpital. »

Une plateforme Ville-Hôp

Certains établissements ont néanmoins fait en sorte de maintenir le lien avec la médecine de ville, c’est notamment le cas du CHU de Bordeaux. L’établissement a ouvert dès la mi-mars une plateforme Ville-Hôp, afin de permettre aux médecins et aux paramédicaux libéraux d’avoir un contact direct avec les praticiens du CHU par l’identification de lignes téléphoniques dédiées. « En deux jours, nous avons réussi à mettre en place une organisation avec des objectifs définis, en lien avec les services techniques, et un planning de ressources humaines avec des professionnels dédiés, raconte Anne-Cécile Grangé, IDE chargée de mission projet. Il a fallu former tout le monde très rapidement de manière pluridisciplinaire, en mode gestion de crise, afin de travailler les bonnes recommandations et les manières homogènes de faire passer les messages. » Sur la plateforme, 12 postes sont destinés à répondre aux médecins généralistes et quatre aux paramédicaux dont les Idel, qui sont nombreuses à appeler. Des internes de recherche et de pharmacie sont chargés de rédiger et d’actualiser des synthèses des recommandations qui sont validées par des médecins seniors. Les répondants sont des internes, des paramédicaux et des étudiants en soins infirmiers. « La plupart du temps, on peut ainsi répondre directement à la question du professionnel de ville, explique Isabelle Barcos, cadre de santé qui assure la coordination opérationnelle de la plateforme. Mais pour des situations cliniques spécifiques, on peut également rappeler la personne dans l’heure pour lui apporter la réponse la plus individualisée et contextualisée possible. » Dans les premiers jours, les questions ont surtout porté sur l’organisation des circuits à domicile, l’approvisionnement en matériel de protection et les traitements. « Puis, la plateforme a pris de plus en plus un rôle de coordination et de suivi, en lien avec les différents dispositifs proposés par l’hôpital », indique Anne-Cécile Grangé. Le CHU de Bordeaux, comme d’autres établissements, a mis en place un suivi des patients à domicile.

Des jalons pour l’avenir ?

L’AP-HP a été un des premiers à mettre en place ce type d’outils via l’application Covidom, permettant aux patients porteurs ou suspectés du Covid-19 sans signe de gravité de bénéficier d’un télésuivi à domicile, par des questionnaires médicaux proposés une ou plusieurs fois par jour. Ces expériences ont pourtant été diversement appréciées par les médecins libéraux. « Il est légitime que l’hôpital se préoccupe de ce que deviennent les patients qu’il laisse sortir, commente le Dr Battistoni qui exerce dans le Calvados. Mais il doit aussi tenir compte des médecins de ville en n’organisant pas des circuits de prise en charge différents. »

À Bordeaux, les IDE de la plateforme Ville-Hôp sont plus positives. « On est parfois plus cloisonné qu’on le croit, estime Isabelle Barcos. On espère que l’expérience que nous avons mise en place va ouvrir de nouvelles collaborations entre la ville et l’hôpital dans des situations moins critiques que celle d’aujourd’hui. »