À l’heure du confinement, vigilance et créativité - L'Infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

AIDE À L’ENFANCE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

MARIE-CAPUCINE DISS  

En cette période de crise sanitaire, maintenir au mieux l’équilibre de vie des enfants et des adultes accueillis dans les structures d’aide à l’enfance est une gageure. Illustration dans deux structures de l’établissement public départemental pour soutenir, accompagner, éduquer (EPDSAE), situé dans la métropole lilloise.

La période de confinement peut renforcer des fragilités déjà existantes, mais elle est aussi l’occasion, pour les personnes accueillies dans les structures d’aide à l’enfance, de vivre des expériences inédites et de renouveler leurs relations avec les personnes qui les encadrent, ainsi qu’avec leur famille. Démonstration.

À la Maison de l’enfance, le confinement rime avec aventure

À la Maison de l’enfance et de la famille (Mef) de Lille, la vie a changé de rythme depuis que les treize enfants accueillis dans ce foyer y séjournent en permanence. La matinée est consacrée au temps scolaire, grâce aux supports fournis par les enseignants et le soutien de bénévoles. La salle habituellement dédiée aux devoirs de fin de journée, ainsi que des bureaux isolés par des paravents dans le grand salon, ont été aménagés en espaces de travail. Les enfants, qui ont entre 6 et 12 ans, s’y regroupent par tranches d’âge et de niveau scolaire. C’est également l’endroit où sont laissés cartables, trousses, livres et cahiers. « C’était important de ménager un lieu symbolique, dédié à l’école, explique Bertrand P., l’un des éducateurs du service. Il fallait également que le travail ne vienne pas dans la chambre, afin que celle-ci reste le cocon accueillant où chaque jeune peut se retrouver. C’est d’ailleurs là qu’ils se rendent le plus souvent quand ils peuvent appeler leur famille. » Les enfants placés à la Mef voient habituellement leurs parents certains week-ends, ou leur téléphonent, selon une régularité et des modalités fixées par une décision judiciaire. Au début du confinement, les contacts avec les parents se faisaient rares et uniquement avec le téléphone fixe du bureau des éducateurs. L’arrivée de tablettes au foyer (voir encadré) a été un énorme soulagement pour les jeunes pensionnaires.

→ Face à des habitudes de vie bousculées pouvant fragiliser des enfants ayant besoin de repères forts, la vigilance des psychologues du service s’est accrue. « Elles sont plus présentes, ce que remarquent les enfants et ce qui les rassure, explique l’éducateur spécialisé. Plus que jamais, elles nous font part de leurs observations. Si l’on s’aperçoit que c’est compliqué pour un jeune, ou qu’il a un coup de blues, il est possible d’organiser rapidement un rendez-vous, hors du cadre de sa prise en charge. » Toute situation pouvant causer un déséquilibre se doit d’être désamorcée rapidement. L’après-midi, des animations collectives sont organisées, comme ce jeu de l’oie grandeur réelle, construit avec les enfants, qui en ont imaginé gages et récompenses. Les enfants ont préparé pendant plusieurs jours le plateau de jeu géant qu’ils ont peint et le moment du jeu a été une récompense collective. Les ateliers cuisine, qui sont parfois mis en place pour la préparation du goûter, sont aussi l’occasion de revoir les notions de mathématiques étudiées le matin. « Cette situation bouscule nos habitudes, nous questionne sur nos pratiques. Nous devons faire marcher nos méninges et être créatifs, s’enthousiasme Bertrand P. Pour les jeunes, ce qui se passe est bouleversant, mais c’est aussi une belle aventure humaine. C’est l’occasion pour eux d’acquérir de nouvelles compétences : être tout le temps avec les mêmes personnes et s’adapter, attendre, être patient. »

→ La vie commune à temps plein permet de resserrer les liens et d’approfondir les discussions avec les enfants. Le confinement est également l’occasion de renforcer le travail sur l’autonomie. Après le déjeuner, un temps est réservé à une activité calme que les jeunes doivent organiser eux-mêmes. Du temps est également pris avec eux pour parler de l’actualité, afin qu’ils ne restent pas seuls avec des questions angoissantes. Les enfants ont bien compris l’enjeu de cette période et s’y plient avec bonne volonté. La question qui les préoccupe est de savoir si la boulangerie où ils sortent le week-end acheter des bonbons survivra à la crise et pourra rouvrir.

L’APE : quand l’institution contient

Les familles avec jeunes enfants hébergées par l’Accueil parents enfants (APE) de Lambersart, dans la banlieue lilloise, se sont également adaptées à une nouvelle manière de vivre, en temps de confinement. Disposant d’un logement individuel au sein de l’établissement, les familles progressent dans l’exercice de leur fonction parentale à l’aide d’un fil rouge : le projet les liant avec les professionnels de l’APE et de l’aide sociale à l’enfance. Les réunions de synthèse, qui se tiennent régulièrement pour faire le point sur l’avancée de ce projet, n’ont plus lieu, pour une période indéterminée. Une perte de repères qui déstabilise les familles. Des familles qui sont parfois très éloignées de leurs proches, qui pour certains vivent sur un autre continent. Des mères ou des pères qui doivent parfois supporter une séparation avec un enfant plus âgé, placé en famille d’accueil. « Nous sommes dans une prise en soin plus liée au quotidien, décrit Marie-José Desmyttère, l’une des deux psychologues cliniciennes de la structure d’hébergement.

Actuellement, je ne construis plus mes entretiens de la même manière. Je commence par demander à la personne comment elle vit la situation actuelle. » Un temps important est pris pour écouter les inquiétudes, contenir les angoisses. Les éducateurs qui rendent quotidiennement visite aux familles se recentrent également sur l’essentiel, demandant par exemple à chacun s’il a passé une bonne nuit.

→ La présence des éducateurs permet également de soutenir les familles, qui peuvent être dépassées par la présence continuelle de leurs jeunes enfants. Avec le confinement, les crèches adaptées qui les accueillaient jusque-là ont dû fermer leurs portes. « Cela peut être difficile pour eux de supporter les pleurs ou les cris de leur enfant, décrit Nathalie Lanquetin, l’autre psychologue suivant les familles en hébergement à l’APE. Ils sont dans des studios qui ne sont pas gigantesques, il y a un parc qui permet d’avoir un accès à l’extérieur, mais ça peut être compliqué de se retrouver toute la journée avec leur enfant et lui proposer une certaine routine qu’eux-mêmes ont du mal à s’imposer. » L’ensemble des professionnels encadrants de l’APE prennent du temps pour parler avec les parents, afin de les aider à mettre en place un lever assez régulier, de prendre des repas qui viennent rythmer la journée.

→ Les psychologues se montrent également vigilantes quant au risque de violences conjugales et familiales pouvant être liées aux conditions de vie en confinement. Privés de leur activité, qu’il s’agisse d’aller à l’école, au travail, ou à des cours d’alphabétisation, les parents se retrouvent dans un face-à-face auquel ils ne sont pas habitués. Cela peut être l’occasion pour certains de se retrouver, parler, observer comment chacun s’occupe de son enfant.

Marie-José Desmyttère est agréablement surprise par l’attitude des parents hébergés à l’APE. « J’avais des inquiétudes. Une part importante des personnes que nous prenons en soin a vécu des traumatismes. Elles ont pu être enfermées ou torturées. Heureusement, ce sont des choses que nous avions pu auparavant travailler ensemble. Elles ne vivent pas de réminiscences, avec la peur imminente de la mort. Finalement, le fait de devoir suivre la même injonction que tout le monde, à savoir de rester confiné, a un aspect rassurant. » La vie chez soi, entourée de professionnels bienveillants et non intrusifs, peut produire un sentiment de protection.

Et dans cette situation et ce rapport au temps inédits, l’institution s’impose comme force protectrice. « Le travail de lien est fondamental dans notre approche avec la famille et se tisse à partir du lien avec l’histoire, précise Catherine Joliveau, directrice de l’établissement. Le lien avec le temps d’avant permet de construire le temps d’après. À présent, nous sommes dans le temps présent, suspendu. Mais on n’est pas suspendu en l’air, seul. Nous sommes très liés les uns aux autres. Nous faisons poids et nous faisons corps. »

GESTION DE L’URGENCE

La solidarité à la rescousse

L’EPDSAE, structure publique, principal interlocuteur de la Protection de l’enfance dans le département du Nord, gère 60 établissements et services, accompagnant 1000 personnes. Avec la crise du Covid-19, la première urgence a été de continuer à faire vivre les 16 foyers de la structure. Les professionnels exerçant dans les services ayant dû fermer, ont été redéployés pour travailler en renfort dans ces structures. Via des annonces relayées sur la page Facebook de l’établissement, 200 personnes se sont proposées pour couvrir les besoins supplémentaires. Parmi elles, 34 personnes ont été recrutées en CDD et 35 travaillent comme bénévoles dans les lieux de vie collectifs. Afin de maintenir le lien avec l’école et avec les familles, l’EPDSAE a fait l’acquisition de 42 tablettes. Parallèlement, une vingtaine d’ordinateurs ont été donnés par une entreprise et par l’Éducation nationale.