Disparition d’un patient : comment agir ? - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

CARRIÈRE

GUIDE

LAURE MARTIN  

Que faire face à la disparition inquiétante d’un patient ? La réactivité des équipes est primordiale afin d’éviter un préjudice et une mise en cause de la responsabilité de l’établissement.

En hospitalisation libre, l’obligation de surveillance des soignants vis-à-vis d’un patient est graduée en fonction de son état de santé physique et psychique : lucidité, risque suicidaire, agressivité. « Les établissements ont une obligation de surveillance mais on ne parle pas de fugue car le patient est en service libre », rapporte Me Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon.

« Le terme approprié est “disparition inquiétante” », précise Olivier Sigman, adjoint au directeur des relations avec les usagers à l’EPS Barthélemy-Durand (91). Cette situation a lieu quand le motif de sortie d’un patient n’a pas été validé par un acte médical. La disparition est alors inquiétante si l’équipe soignante ne sait pas où se trouve la personne.

Chercher et prévenir les responsables

La réaction des soignants face à la disparition d’un patient est elle aussi graduelle. Des critères objectifs définissent le caractère inquiétant d’une disparition : fugues antérieures, pathologie, saut de repas, tenue lors du départ, retard de traitement. Lorsque les soignants constatent l’absence du patient, « il est dans leur intérêt d’immédiatement mettre en œuvre les recherches et de prévenir des secours pour préserver la santé du patient et faire en sorte que sa disparition soit sans conséquence », recommande Me Devers.

• Les recherches doivent débuter dans le service puis être élargies aux niveaux de l’établissement et voies d’entrées. À ce stade, l’équipe doit impérativement prévenir le cadre du service qui avisera le directeur de l’hôpital ou l’administrateur de garde. « Il est aussi indispensable d’alerter l’équipe de sécurité anti-malveillance, qui peut aider à coordonner les recherches », conseille Olivier Sigman. Cette équipe, qui a accès aux caméras de sécurité et connaît les zones non couvertes et celles en travaux, peut aussi mobiliser l’équipe d’accueil.

• Si le patient reste introuvable, les recherches peuvent être poussées à l’ensemble du site et aux abords de l’hôpital. En cas de recherche infructueuse, le directeur de l’hôpital ou l’administrateur de garde peuvent contacter les services de police ou de gendarmerie si nécessaire.

• Faut-il informer la famille ? « Tout va bien entendu dépendre de l’état d’esprit du patient, prévient Olivier Sigman. Si l’équipe l’a entendu exprimer l’envie de retourner chez lui, il est toujours bon d’appeler pour savoir s’il est rentré. Sinon, il faut rester le plus factuel possible, et signaler à la famille que le patient a “quitté le service”. » Dans le cas d’une personne âgée désorientée, la famille doit être prévenue aussitôt. À noter que selon les recommandations de l’Anaes (1), la contention systématique des personnes déficientes « doit être interdite et réduite aux situations d’urgence médicale après avoir exploré toutes les solutions alternatives et correspondre à un protocole précis ».

Comprendre la situation

• Quand le patient est retrouvé, un « check-up » complet est fait pour vérifier son état de santé. S’il peut avoir une conversation, il faut lui demander pourquoi il a quitté le service et s’il compte recommencer.

Il peut être opportun de le placer près du poste de soin, pour une meilleure surveillance. Les soignants doivent bien entendu transmettre toutes les informations sur ce qui s’est produit à l’équipe qui va prendre le relais.

• Des mesures peuvent être prises par le médecin : prescrire le port d’un bracelet d’identification, interdire la tenue de ville. « Il appartient aux IDE de mettre rigoureusement en œuvre ces prescriptions pour éviter que la situation ne se re produise, indique Gilles Devers. Il est aussi nécessaire de donner à l’accueil et à l’équipe de sécurité les caractéristiques du patient, ses vêtements, etc., afin qu’ils l’identifient s’il quitte de nouveau la structure », rajoute Olivier Sigman.

Quelle responsabilité ?

• Si aucun préjudice n’est observé, une fois que le patient a été retrouvé, la disparition ne peut pas entraîner l’engagement de la responsabilité de l’établissement. Elle restera donc une faute morale, « un mauvais incident qu’il est important de déclarer comme événement indésirable, recommande Olivier Sigman. Cela permettra aux équipes de travailler à ce que ça ne se reproduise pas et de prendre des mesures correctrices. » Certains établissement organisent parfois des enquêtes internes après une disparition inquiétante.

• Si le patient a subi un préjudice, lui ou sa famille peuvent porter plainte pour défaut de surveillance et d’organisation des soins. La responsabilité de l’établissement peut être engagée au civil pour obtenir des dédommagements. « Les moyens déployés et la rapidité des recherches aident à déterminer s’il y a faute ou non dans l’obligation de surveillance », rapporte Gilles Devers. Cette situation doit être inscrite dans le dossier patient, tout comme les mesures mises en œuvre pour le retrouver – une manière de protéger l’établissement en cas de décès ultérieur. Au pénal, vu l’imbrication des rôles de chacun, il sera difficile d’identifier les fautes ayant participé aux dommages.

« En cas de préjudice, notamment de séquelles physiques, je conseille aux soignants de débriefer avec le patient pour le mettre face à ses responsabilités, souligne Olivier Sigman. Il peut être opportun d’associer la famille à cet échange. Il ne faut jamais cacher ce qui s’est passé, car cela envenime la situation. La transparence reste le meilleur remède. »

• Chaque fois qu’il est possible, il faut tenter d’obtenir du patient la signature d’un document attestant la sortie contre avis médical. Si elle est persuadée de la nécessité des soins, l’équipe doit se montrer avenante et remettre au patient une lettre destinée à un autre médecin. Même en cas de sortie contre avis médical, la continuité des soins garde ses droits…

Mesures de prévention

• Il est important que les professionnels de santé soient formés, par leur encadrement, en cas de disparition inquiétante dans leur service. « Il faut avoir des protocoles en interne disponibles dans la gestion électronique des documents, précise Olivier Sigman. Les équipes doivent être entraînées à ce genre de situation car quand cela se produit pour la première fois, elles doivent être réactives. »

• La coordination des équipes est primordiale, tout comme savoir donner le relais à la bonne personne au bon moment. « Il ne faut pas, par exemple, attendre deux jours avant d’appeler la police », informe Olivier Sigman. Et lorsqu’elle est contactée, il faut pouvoir décrire le patient de manière précise : type, taille, poids, vêtements… Des consignes de signalement des disparitions (procédure et démarches à suivre, documents check-list à compléter, éléments de description du patient à faxer) doivent être retransmises aux services. Les soignants doivent aussi savoir que toutes les informations sont importantes. Par exemple, si un aidesoignant entend un patient dire qu’il veut rentrer chez lui ou qu’il ne va pas bien, il doit le signaler. « Cela permettra aux IDE d’engager une conversation avec le patient et possiblement d’éviter un départ non prévu », indique Olivier Sigman. « Aviser le médecin lui permet d’adapter la surveillance », ajoute Me Devers. C’est, in fine, toute l’équipe de prise en charge qui doit être sensibilisée à la survenue d’une telle situation.

1- Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes). Voir : bit.ly/2R9Muvo.

Un cas concret de disparition inquiétante

Le 25 janvier 2017, un patient est transféré au service interne de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), après un séjour à l’HP Sainte-Anne. Trois jours plus tard, il disparaît.

Le rapport d’analyse réalisé à la demande de l’AP-HP révèle que différents soignants ont constaté que le patient s’absentait de sa chambre. Il est décrit comme « déambulant ». L’aide-soignant de nuit avait d’ailleurs informé, lors de ses transmissions, que le patient risquait de fuguer. C’est le samedi, à 7 h 40, que l’IDE constate qu’il n’est plus dans sa chambre. À 12 h 30, le médecin et l’IDE décident de déclarer sa disparition. La démarche d’alerte est mise en place : PC de sécurité, déclaration sur le logiciel de gestion des événements indésirables Osiris, commissariat. La famille du patient arrive dans l’après-midi à l’hôpital et apprend la situation. Ils demandent à visionner les caméras, mais la sécurité est dans l’impossibilité de le faire. Finalement, le patient est retrouvé trois jours plus tard, décédé derrière une porte issue de secours anti-intrusion qu’il n’a pas réussi à rouvrir. De nombreux dysfonctionnements ont été révélés par l’enquête, notamment un signalement tardif de la fugue par l’équipe. L’administrateur de garde et la directrice de l’établissement n’ont d’ailleurs pas été avertis immédiatement de la fugue. Une caméra était présente dans cette zone de l’hôpital, mais une panne d’écran a empêché le PC sécurité de repérer le patient. L’HEGP a pris des mesures immédiates pour éviter que la situation ne se reproduise, par exemple la révision et la maintenance de la porte extérieure du local afin de s’assurer de son ouverture facile, un rappel des consignes de signalement des disparitions de patients auprès du service concerné ou encore une demande au directeur du pôle investissements-travaux de vérifier de l’ensemble des issues de secours de l’établissement et la signalétique mise en place dans les parkings. De leur côté, les proches ont déposé plainte pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger.

SAVOIR PLUS

→ HAS, « Isolement et contention en psychiatrie générale. Recommandations de bonne pratique », février 2017.

→ Le site d’Olivier Sigman : www.droit-medecine.over-blog.com

→ Droit et pratique du soin infirmier, Gille Devers, Éd. Lamarre, 8e éd., 2014.

→ Rapport d’analyse sur la disparition inquiétante à l’HEGP : bit.ly/2TJnI79

INTERVIEW

GILLES DEVERS AVOCAT AU BARREAU DE LYON

Quelle est la particularité des patients hospitalisés sous contrainte ?

• Ils relèvent d’une catégorie à part car, juridiquement, c’est uniquement pour eux qu’on peut parler de fugue. Ils sont généralement hospitalisés sous contrainte, par arrêté préfectoral, à la demande d’un tiers ou d’un médecin, notamment car ils peuvent se mettre en danger ou menacer la sécurité publique. Cet arrêté prévoit le maintien de la personne dans un certain périmètre, qui est la limite de sa chambre ou de l’hôpital, sauf autorisation. De fait, si le patient quitte l’hôpital sans l’accord du médecin, il y a obligatoirement faute de l’établissement car l’arrêté préfectoral est violé.

Que doivent faire les soignants en cas de fugue ?

• Ils doivent en aviser le cadre, qui va prévenir l’administrateur de garde ou le directeur de l’établissement. Ces derniers vont contacter immédiatement la police ou la gendarmerie. Cette coopération avec les services de police est indispensable pour ramener le patient au plus tôt. En fonction du degré de dangerosité du patient, des mesures doivent également être prises à l’égard des proches de la famille car il peut arriver que le patient, hospitalisé sous contrainte, leur en veuille. Elle doit donc être protégée. Par la suite, lorsque le patient est retrouvé, l’approche clinique doit être modifiée pour s’assurer qu’il va rester dans le service. La loi permet par exemple la mise en isolement.

Quid de la responsabilité des établissements ?

• Les mises en cause des responsabilités individuelles au civil et au pénal sont extrêmement rares. L’unique fois où un psychiatre a été reconnu coupable au pénal et condamné, c’est dans l’affaire de Saint-Égrève, en 2008. Un patient hospitalisé sous contrainte, atteint de schizophrénie, est sorti de l’hôpital sans autorisation, a acheté un couteau et a poignardé un passant qui en est mort. Le psychiatre a reconnu avoir donné son accord au patient de sortir dans le parc de la structure - il en a alors profité pour quitter l’établissement - sans l’avoir lui-même examiné. Sinon, la responsabilité de l’établissement peut être engagée au civil mais, généralement, des accords sont trouvés entre les parties sans qu’il y ait nécessité d’un procès.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE MARTIN