Relais du cœur - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

INFIRMIÈRES PERFUSIONNISTES

CARRIÈRE

PARCOURS

LISETTE GRIES  

Lourde responsabilité que celle des perfusionnistes : assurer le fonctionnement de la circulation extra-corporelle, qui permet d’arrêter temporairement le cœur du patient. Une mission qui s’exerce parfois avec un grand degré d’autonomie.

C’est dans les blocs opératoires de chirurgie cardiaque que les IDE perfusionnistes exercent la majeure partie de leur métier. Peu nombreuses en France (un peu plus de 200), mal connues du grand public mais aussi des autres soignants, elles jouent cependant un rôle primor dial dans la prise en charge des problèmes cardiaques et cardiovasculaires (1). « Sans infirmière perfusionniste, les blocs de chirurgie cardiaque ne peuvent pas fonctionner », souligne Bénédicte Bernard, cadre supérieure de bloc au CHRU de Strasbourg (67). Leur rôle consiste en effet à installer et surveiller la circulation extra-corporelle (CEC) du sang. « Que ce soit pour des interventions sur le cœur, comme les pontages coronariens, ou dans le cœur en cas de chirurgie valvulaire, la CEC permet d’arrêter temporairement le cœur. Le sang est alors dirigé vers une machine qui prend le relais du couple cœur-poumon : elle assure l’oxygénation du sang et sa réinjection dans le circuit artériel », précise Virginie Orinstein, cadre supérieure du bloc de cardiologie de l’hôpital privé Jacques-Cartier, à Massy (91).

UNE ACTIVITÉ DE PLUS EN PLUS VARIÉE

Avant même la pose de la CEC, les infirmières perfusionnistes sont chargées de vérifier le bon fonctionnement de tous les paramètres de la machine, ainsi que des systèmes d’alarme. Elles assistent ensuite le chirurgien, en préparant le matériel nécessaire à la pose de la CEC, puis assurent le démarrage de la machine. Pendant l’intervention, elles sont garantes du bon fonctionnement de l’oxygénation et de la circulation du sang. Elles agissent toujours sous la responsabilité d’un médecin. Selon les centres de CEC, ce sont les anesthésistes-réanimateurs ou les chirurgiens qui assument cette responsabilité.

En fonction des patients, des interventions et des chirurgiens, les IDE perfusionnistes appliquent un protocole pour la CEC. « Avant l’intervention, l’Iade consulte le protocole d’anesthésie défini en consultation, et la perfusionniste a accès, dans le même compterendu, au protocole de CEC », explique le Pr Julien Amour, anesthésiste-réanimateur responsable des CEC de l’hôpital privé Jacques-Cartier de Massy. Les gestes sont relativement standardisés : par exemple, pour un pontage coronarien avec tel chirurgien, le protocole sera toujours à peu près identique. Charge à la perfusionniste de préparer les canules adaptées, de prévoir une chirurgie “froide” (en hypothermie) ou “chaude”… Depuis quelques années, l’activité s’est étoffée : en plus de la chirurgie cardiaque, les infirmières perfusionnistes sont aussi appelées en chirurgie hépatique et en réanimation pour poser des Ecmo (Extracorporal membrane oxygenation, en anglais), qui sont des « mini-CEC ». Elles interviennent également lors des transplantations d’organes, de la pose d’un cœur artificiel ainsi qu’en préparation du suivi des patients sous assistance circulatoire, en hospitalisation ou à domicile. Enfin, les interventions en pédiatrie se sont développées. « Si le principe reste le même, les gestes sont moins stéréotypés qu’en chirurgie adulte. Au bloc pédiatrique, la concentration des soignants est intense. Pour certains, la charge émotionnelle peut aussi être plus lourde », note Fabrice Bechet, IDE au CHRU de Strasbourg. Les perfusionnistes doivent avoir de bonnes connaissances dans plusieurs domaines. « Il faut comprendre le fonctionnement du circuit de circulation, avoir de solides notions en anatomie, mais aussi en physiopathologie et en hémodynamique », détaille Virginie Orinstein.

TUTORAT ET DIPLÔME UNIVERSITAIRE

Les perfusionnistes peuvent être IDE, Iade ou Ibode. Aucune formation n’est aujourd’hui obligatoire : les candidates, qui ont généralement déjà exercé au bloc, sont formées par tutorat après leur embauche. « Au bout de 80 CEC, elles commencent à être à l’aise… Il en faut une centaine pour être parfaitement autonome », estime Virginie Orinstein. À Massy, c’est l’anesthésisteréanimateur qui assure les astreintes de CEC, mais ce n’est pas le cas partout. Ainsi, au CHRU de Strasbourg, avant qu’une IDE puisse assurer une astreinte - et donc travailler sans pouvoir faire appel à un collègue -, le ressenti de l’équipe de perfusion et de chirurgie est déterminant. « On ne laisse pas une collègue seule du jour au lendemain… Il faut qu’elle se sente à l’aise techniquement, mais aussi qu’elle puisse travailler dans un environnement serein, avec la confiance des équipes chirurgicale et d’anesthésie », insiste Fabrice Bechet.

La formation s’étend généralement sur une année environ. « Au cours de cette première année, il est recommandé de faire deux stages de trois semaines ailleurs, dont un à la Pitié-Salpêtrière, idéalement », conseille Cyril Moulin, IDE perfusionniste au CHRU de Besançon (25) et vice-président de la Sfaccec (Société française d’assistance circulatoire et de circulation extra-corporelle). Deux DU existent en France, à Bordeaux-Toulouse et à Paris-Diderot. La plupart des IDE perfusionnistes suivent ce cursus dans les premiers mois ou années d’exercice. Un master est en cours d’élaboration et devrait accueillir sa première promotion en 2021 (voir encadré ci-contre).

UNE RIGUEUR DE TOUS LES INSTANTS

Au quotidien, les perfusionnistes côtoient la fragilité de la vie. « Il faut rester alerte durant toute l’opération : en cas de problème, on a deux minutes pour réagir », remarque Denis Maier, IDE perfusionniste au CHRU de Strasbourg. Un dysfonctionnement (rupture de circuit, embolie gazeuse, etc.) peut vite conduire à des séquelles irréversibles, voire au décès du patient. « L’urgence peut aussi être liée à la chirurgie proprement dit ou à la situation du patient. En cas de rupture de l’anneau aortique, de plaie du cœur et des gros vaisseaux ou de dissection aortique, par exemple, on a un temps extrêmement court pour être opérationnel », précise Julien Amour. « On a vraiment à cœur de faire notre métier parfaitement, d’être très rigoureux, souligne Denis Maier. Mais cette responsabilité est d’abord morale : la responsabilité légale incombe toujours au médecin. » Pour autant, il faut savoir garder la tête froide et travailler avec une autonomie relativement grande, surtout lorsque le médecin référent en CEC ne la pratique pas directement. « Ici, ce sont les chirurgiens cardiaques qui sont référents. Concrètement, en cas de problème, ils ne peuvent pas intervenir à la fois sur la CEC et sur le cœur, et d’ailleurs, ils n’ont pas l’habitude de manipuler les machines… Seules les IDE peuvent agir », ajoute-t-il. Même dans les cas où le médecin anesthésiste est référent de la CEC et la pratique régulièrement, la rigueur est une des compétences primordiales de l’IDE perfusionniste. « Je dois avoir une totale confiance dans les compétences de l’IDE avant de lui confier la réalisation technique d’une CEC », commente Julien Amour.

VERS UN NOUVEAU MÉTIER ?

Dans certains centres de CEC, les perfusionnistes travaillent avec une très grande autonomie, sous la direction d’un cadre supérieur. « Nous faisons tout nousmêmes, explique Denis Maier. Nous construisons nos circuits, nous travaillons en direct avec les industriels, nous gérons les commandes et les stocks, nous rédigeons des protocoles pour les scanners sous CEC… » Les IDE perfusionnistes peuvent donc se prévaloir d’une expertise dans leur domaine. « L’acquisition et la reconnaissance de cette expertise est primordiale : elle les place en interlocutrices de confiance auprès des chirurgiens et des anesthésistes », observe Bénédicte Bernard. Malgré ces hauts niveaux de responsabilité et de compétences, les IDE perfusionnistes bénéficient d’une prime limitée. « Dans la fonction publique hospitalière, une prime de 120 € s’ajoute au salaire, déterminé par la grille du métier de chacun (IDE, Ibode ou Iade). À cela s’ajoutent des astreintes, payées 5 € de l’heure, et quand on est rappelé à l’hôpital pendant une astreinte, les heures de nuit sont payées double », détaille Cyril Moulin. Le nouveau métier de perfusionniste, qui devrait se développer avec la mise en place du master, permettra peutêtre un statut mieux valorisé.

1- Lire l’article « Une prise en charge pluridiciplinaire », paru dans le N° 406 de L’infirmière magazine, juillet 2019.

FORMATION

Un master et une société savante

→ Créée début 2020, la société française d’assistance circulatoire et de circulation extra-corporelle prend la suite de la société savante sofraperf (société française de perfusion) et de l’association adperf (association des perfusionnistes francophones). « La Sfaccec rassemble l’ensemble des perfusionnistes en exercice : les IDE, les médecins ou encore les professionnels étrangers qui ont une formation spécifique. Elle proposera des formations continues, notamment grâce à un congrès annuel, et formulera des recommandations », détaille Cyril Moulin, vice-président et ancien président de la sofraperf.

→ Elle élabore aussi un master, qui devrait accueillir sa première promotion en 2021 à paris (sorbonne). « Le master s’adressera à celles qui vont pratiquer la CEC, à l’inverse du DU qui est ouvert aussi à celles qui s’y intéressent mais ne la pratiquent pas. Nous voulons créer un nouveau métier, perfusionniste, auquel pourront se former des IDE, mais aussi des ingénieurs bio-médicaux et des pharmaciens », ajoute-t-il. si ce projet découle d’une volonté d’harmonisation européenne, il est aussi porté par le besoin de s’affranchir des laboratoires. « Aujourd’hui, ce sont les fabricants des machines qui forment les praticiens », déplore Cyril Moulin. des modalités de Vae sont prévues pour les ide qui exercent actuellement.