La médiation : rencontre en terre de neutralité - L'Infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

Jean-Pol Depoix  

médecin médiateur

Lors de la médiation, le médecin médiateur se doit d’être impartial. Outre sa neutralité, sa bienveillance et sa compassion garantiront le bon déroulement du procédé.

Pourquoi une médiation ? Différents motifs peuvent inciter à y recourir : obtenir des explications sur les soins prodigués de la part du médecin responsable ou du chef de service, obtenir un dossier médical, exprimer son mécontentement ou engager une procédure amiable ou judiciaire.

Pour comprendre la philosophie de cet outil, on peut citer la définition donnée par Michèle Guillaume-Hofnung(1) : « La médiation est un processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers - impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir décisionnel ou consultatif, avec la seule autorité que lui reconnaissent les médieurs - favorise par des entretiens confidentiels l’établissement ou le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause. » À l’hôpital, la fonction de médiateur a été introduite par la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner, et par son décret du 2 mars 2005.

Accéder au médecin médiateur

La personne qui veut déposer une réclamation s’adresse le plus souvent au chargé des relations avec les usagers (CRU). Cette personne est connue de tous les services hospitaliers et facilement joignable : localisation du bureau, téléphone et adresse mail disponibles. Le CRU expliquera les contraintes légales à cette réclamation. La personne réclamante doit être le patient ou les ayants droit si le patient est décédé. Ces derniers sont sollicités pour autoriser l’accès au dossier patient. Plusieurs types de réclamations existent, que l’on peut classer en simples, sensibles ou graves. En général, le médecin médiateur n’intervient que dans les dossiers sensibles ou graves. C’est dans les réclamations classées graves, au vu des faits relatés, que la rencontre avec le médecin médiateur doit être proposée par le CRU. Aller au-devant du patient ou de ses ayants droit permet parfois de recréer la confiance disparue. Lorsque le médecin médiateur rencontre le réclamant, plusieurs possibilités existent. Parfois, il ne s’agit pas à proprement parler d’une médiation : le patient souhaite simplement une explication qu’il n’a pu obtenir auprès de l’équipe de soins. L’explication du dossier, des examens effectués, des traitements mis en œuvre, rassure le patient. Le plus souvent, la réclamation est réglée. Dans le cas clinique présenté (lire p. 36), la réclamation est plus complexe et a nécessité des réponses point par point.

De toute évidence, le plus important est le premier entretien, la première réponse à un courrier de réclamation. Si le premier entretien se passe bien et apporte des réponses adaptées, il y a de fortes chances que tout s’arrête. À l’inverse, un premier entretien qui se passe mal va conduire à de nouvelles réclamations, à une demande de médiation, voire plus, à la judiciarisation de la réclamation.

Un cadre à respecter

La médiation doit se faire sur rendez-vous, accepté par la famille, dans un délai bref après la demande de médiation. Un rendez-vous éloigné, reporté à plusieurs reprises, fera planer un doute sur la neutralité du médecin médiateur.

→ Le lieu de la médiation est capital. Il faut un bureau confortable, calme et réservé pour ce rendez-vous, de manière à assurer la confidentialité des échanges. Le médecin médiateur évitera de se présenter en vêtement professionnel. Dans cette fonction, il n’est pas un soignant. Si la médiation touche le service dans lequel il a son activité clinique, il doit proposer un autre médecin médiateur du groupe hospitalier ou d’un autre établissement. Les téléphones hospitaliers et les téléphones mobiles doivent être éteints. En principe, l’enregistrement n’est pas autorisé, sauf autorisation du Service de communication de l’hôpital. Si toutefois il est demandé et transparent, pourquoi pas ? De toute évidence, l’enregistrement « sauvage » ne pourra être utilisé qu’à des fins personnelles. En outre, la médiation ne peut être limitée dans le temps : il n’est pas possible de dire après trente à quarante-cinq minutes que l’entretien est terminé. Le plus souvent, une durée de deux heures est nécessaire lors d’une première rencontre. Au-delà, il est raisonnable de prévoir d’autres rencontres qui seront plus fructueuses.

→ Faut-il analyser le dossier avant la rencontre ? Les points de vue divergent. Analyser le dossier au préalable permet de comprendre la situation, éventuellement de pouvoir expliquer la raison d’une attitude, d’un choix lors de l’entretien, et éviter de faire revenir le patient. Mais certains pensent que le médecin médiateur n’est plus dans ce cas en position neutre.

→ Qui peut participer à la médiation ? Il faut bien réfléchir aux participants. Le réclamant peut être accompagné d’un proche, d’une personne de confiance. Plus exceptionnellement, il souhaite venir avec son médecin ou avec un avocat. Il faut, dans ce cas, annoncer que certaines informations pourront être livrées. Dans un premier temps, il est préférable que le médecin médiateur reçoive le réclamant sans l’équipe de soins. Actuellement, un représentant des usagers (RU) peut être associé après accord du réclamant. Parfois, après le premier entretien qui permet d’exposer les griefs, une seconde entrevue peut avoir lieu avec l’équipe de soins, si le patient souhaite des réponses directes. Ce peut également être l’occasion de présenter des regrets pour la situation qui les a menés à la médiation.

Une posture neutre et impartiale

Lors de la présentation, le médecin médiateur se doit d’expliquer qu’il n’a pas pour mission de défendre les intérêts de l’hôpital. Pas plus que ceux des équipes médicales et soignantes qui ont pris en charge le patient. Ceci est parfois difficile à comprendre pour le patient, qui sait que le médiateur fait partie de l’établissement. D’où l’intérêt de la tenue civile.

→ Le médecin médiateur n’est pas un expert médical, il ne peut se prononcer sur un choix de prise en charge. Si le patient est en désaccord avec cette dernière ou mécontent de la survenue d’un évènement indésirable, grave (EIG) ou non (EI), seul un expert désigné pourra lui apporter une réponse sur le bien-fondé des décisions médicales. En revanche, le médecin médiateur peut et doit utiliser ses connaissances médicales pour traduire en termes simples certaines phrases, certaines décisions. En cas d’erreur manifeste, il ne faut pas nier mais reconnaître l’erreur sans se prononcer sur une quelconque responsabilité. Il ne faut pas hésiter à dire que l’on ne sait pas.

Le médecin médiateur n’est pas un juge qui sanctionne l’équipe soignante ou l’hôpital. Il n’est pas un assureur qui fixe les indemnités si elles sont demandées. Si le patient est, dès le début de l’entretien, dans une démarche indemnitaire, le rôle du médiateur n’a pas de raison d’être. Néanmoins, une médiation peut être conseillée : cela suffit parfois à stopper le patient dans sa démarche, les explications étant suffisantes pour lever ses doutes. Le CRU de l’hôpital devra lui indiquer les possibilités qui lui sont offertes.

→ La fonction principale est de recréer la confiance entre le patient ou ses ayants droit et l’équipe soignante. Pour ce faire, il doit écouter et respecter les silences. En cas d’EIG ou de décès, il doit montrer de l’empathie, de la compassion. Des phrases peuvent être utilisées : « Je comprends combien la situation est douloureuse/difficile » ; « Ensemble, nous allons analyser l’évènement pour comprendre ce qui s’est passé ». Il faut également dire au patient que, malgré cette rencontre, les soins vont pouvoir se poursuivre dans le service, dans l’établissement s’il le souhaite.

Rétablir la confiance, donner les explications recherchées, etc., le rôle du médiateur ne s’arrête pas là.?Il se doit de proposer des actions correctives si elles semblent nécessaires. Il n’est pas possible de constater des dysfonctionnements sans assurer au patient qu’ils seront corrigés. Souvent, le patient dira : « Je ne fais pas cette démarche pour moi mais pour que d’autres patients ne vivent pas ce que j’ai vécu. »

Et après ?

Bien entendu, une rencontre ultérieure avec d’autres participants a pu être programmée. Le médecin médiateur mettra à disposition ses coordonnées pour être joignable. Des informations sur les procédures indemnitaires seront faites (lire ci-contre). En fin de médiation, le médiateur doit réaliser un rapport sous huitaine qui sera présenté au patient pour validation. Ce dernier peut apporter des modifications qui figureront sur le rapport final. En aucun cas, il ne s’agit d’une réécriture du rapport du médecin médiateur. Après validation, le rapport est présenté en commission des usagers pour avis, lequel peut donner lieu à une modification, un renforcement des mesures correctives proposées ou, simplement, à la validation de la médiation et un avis de classement.

La médiation est-elle réussie ?

La question n’est pas simple. La médiation peut être difficile dans un contexte de tension extrême, nécessitant plusieurs rendez-vous avec des interlocuteurs différents. Parfois, au contraire, au terme de ces entretiens, le dossier sera considéré comme clos. La médiation a été simple, cordiale, donc réussie. Mais plusieurs mois, années plus tard, une saisie de dossier pourra être effectuée car la réclamation est portée devant la CCI ou le tribunal administratif. Que s’est-il passé ? Chaque médiation est unique et il est hasardeux de triompher en sortant d’une médiation même facile.

1- Professeure de droit public, responsable du DU de médiation de l’université de Paris-II. Entretien disponible sur le site Irénées.net, consultable ici : bit.ly/2nDV0Dg

REPÈRES

EXEMPLES DE RÉCLAMATIONS GRAVES

→ Qualité des soins défectueuse

→ Erreur médicamenteuse

→ Erreur de diagnostic

→ Accident thérapeutique

→ Séquelles de traitement ou d’examen invasif

→ Maltraitance

→ Non-respect de la volonté du patient

→ Absence de consentement

→ Défaut d’accompagnement de fin de vie

→ Retard de prise en charge d’une urgence vitale

D’après le livre « La médiation médicale à l’hôpital, un autre regard », Henri Rochant et Pierre Chevalier, Les guides de l’AP-HP, Broché, 2008.

RÉFLEXION

Des réponses éthiques

La médiation va sûrement être plus précoce et plus souvent proposée aux familles posant une réclamation. Pour les établissements et les services hospitaliers, le nombre de médiations réalisées ne doit pas être un critère de mauvaise qualité des soins mais, au contraire, une volonté d’améliorer la prise en charge du patient. C’est un tournant. La médiation ne doit plus être un exercice solitaire entre le médecin médiateur et le patient, la famille. Devraient y participer le représentant des usagers (RU), le chargé des relations avec les usagers et les associations (CRUA) et, pourquoi pas, des philosophes spécialisés dans la médecine ou le soin. À hôpital Bichat-Claude Bernard, une structure médiation et philosophie du soin est en train de se mettre en place. Ses missions pourraient permettre de mieux comprendre les réclamations des patients et, surtout, de leur apporter des réponses qui ne seront pas uniquement techniques, mais entourées d’éthique du soin.

JURIDIQUE

Recours indemnitaires possibles

→ Auprès de la Direction des affaires juridiques (Daj) ou de l’assureur de l’hôpital : la démarche est simple, possible sans avocat ; le dossier sera analysé par un médecin conseil. Règlement amiable négocié si une erreur ou un préjudice sont retenus.

→ Auprès de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) : démarche qui nécessite l’enregistrement d’un dossier de réclamation. Si les critères de recevabilité ne sont pas remplis, la demande peut être rejetée d’emblée. Le patient doit en être informé. La procédure peut prendre plusieurs mois. Un expert médical est nommé pour examiner le patient et le dossier. À terme, une indemnisation peut être proposée à condition que les séquelles du préjudice soient supérieures à 24 %, que le déficit fonctionnel temporaire soit supérieur à 50 % ou qu’un arrêt des activités professionnelles soit de six mois consécutifs ou sur une durée d’un an. À titre exceptionnel, en cas d’impossibilité d’exercer la profession antérieure. Cela est souvent mal compris du patient qui estime ses séquelles au-delà des estimations des experts.

→ Auprès du tribunal administratif ou civil : démarche qui nécessite l’intervention d’un avocat ; la procédure est longue, dure parfois plusieurs années. Là encore, des experts judiciaires seront nommés et rendront leurs conclusions aux juges.

→ La plainte ordinale : après une médiation ordinale où les parties seront entendues, le dossier pourra être transmis à la chambre disciplinaire de première instance pour sanction (avertissement, blâme, suspension d’activité, reformation pour les points de manquement). En principe, le conseil de l’Ordre ne se prononce que sur la déontologie.

→ Auprès du tribunal pénal : la plainte vise à obtenir des sanctions contre le soignant (celui-ci doit être puni). Là encore, la procédure est longue et coûteuse car elle nécessite avocat et expertises judiciaires, qui sont à la charge du patient ou de ses ayants droit.

À NE PAS FAIRE

→ Utiliser le jargon médical.

→ Reconnaître la responsabilité de l’hôpital et/ou celle du professionnel.

→ S’accuser soi-même ou bien accuser les autres.

→ Mettre en cause un collègueou un service.

→ Minimiser la réalité des faits.

→ Spéculer en particulier sur les causes.

D’après le directeur des affaires juridiques de l’AP-HP.