LA GYNÉCOLOGIE EST-ELLE EN DANGER ? - L'Infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

SANTÉ SEXUELLE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Anne-Gaëlle Moulun  

Les gynécologues médicaux, chargés du suivi de la santé des femmes, se font rares en France. La politique publique en matière de santé sexuelle féminine est-elle suffisante ?

Bertrand de Rochambeau

« Pour former plus de gynécologues, il faut une volonté politique »

Y a-t-il vraiment une pénurie de gynécologues en France ? Comment l’expliquer ?

Il faut tout d’abord opérer une distinction. Il y a, d’une part, la gynécologie médicale, qui est une spécialité qui n’existe qu’en France et qui s’occupe de toutes les questions gynécologiques qu’une femme peut rencontrer durant sa vie ; et de l’autre, la gynécologie-obstétrique, qui s’intéresse davantage aux femmes enceintes et aux enfants à naître.

Il faut savoir que, depuis 1987, on ne forme plus de gynécologues médicaux, car leur filière de formation – qui menait à un certificat d’études supérieures (CES) – a été fermée dans le cadre d’une directive européenne. Or, la gynécologie médicale était la médecine spécialisée de premier recours pour les femmes. En 2004, sous la pression du Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), une filière de gynécologie médicale par la voie de l’internat a été recréée. Au début, on a formé vingt gynécologues médicaux par an. En 2016, 70 ont été formés et 67 autres en 2017… mais c’est insuffisant pour compenser les départs à la retraite. C’est l’État qui décide de la formation des médecins, c’est donc une décision politique de priver les femmes de médecine spécialisée pour elles.

Qui peut-on consulter à défaut du gynécologue ? Le médecin traitant est-il un référent ?

Le médecin traitant devient référent par défaut, mais il n’a pas été formé pour cela. Dans son cursus de médecin généraliste, il doit faire un stage de six mois en gynécologie ou en pédiatrie. On peut donc en déduire que la moitié des médecins généralistes ne sont pas du tout formés à la gynécologie.

En outre, on observe de plus en plus de déserts médicaux, qui concernent également les généralistes. Résultat : les femmes sont de plus en plus en errance médicale pendant des mois avant de pouvoir trouver une solution à leurs problèmes. Elles ne parviennent pas à obtenir un suivi précoce et nous arrivent avec des pathologies qui sont plus avancées qu’avant. Les politiques citent également les sages-femmes comme possibles remplaçantes des gynécologues. Mais elles ne sont formées à aucune des pathologies de la femme ni au moment de la ménopause. Elles ne peuvent donc pas non plus être en mesure de remplacer les gynécologues.

Est-il possible, selon vous, d’inverser la tendance ?

Il n’y a qu’une seule chose qui pourrait être efficace : c’est que les femmes le demandent et se mobilisent pour cela. Nous, les syndicats, cela fait quinze ans que nous tirons la sonnette d’alarme et on nous rétorque que nous sommes des lobbyistes. Le nombre de gynécologues baissait mais personne n’en parlait. Nous sommes heureux que la presse s’en empare maintenant. Ce sont les femmes les premières concernées et, si elles ne bougent pas, les politiques ne bougeront pas. Nous avons la capacité de former plus de gynécologues, y compris dans les maternités privées, mais pour cela, il faut une volonté politique et pour qu’elle existe, il faut la créer.

Alain-Michel Ceretti

« Il faut rendre la filière de gynécologie de nouveau attractive »

Quelle est la conséquence, pour les femmes, de la pénurie de gynécologues médicaux ?

La conséquence de cette raréfaction, c’est que les femmes renoncent aux soins gynécologiques. Les listes d’attente s’allongent et les femmes s’exposent à des refus de prise en charge de la part des spécialistes, qui estiment qu’ils ne peuvent pas prendre plus de patientèle. On se retrouve avec un grand trou de prise en charge, qui était pourtant anticipable. En 1987, quand la suppression du certificat d’études supérieures (CES) a été décidée, elle aurait dû être accompagnée de mesures. Sur ce type de sujet, il faut du temps pour redresser la barre et ce n’est pas avec soixante gynécologues formés chaque année qu’on va le faire. Ce qui a été mis en place n’est pas suffisant. À cause de ce manque de professionnels, les parcours de soin vont probablement s’allonger, avec des patho logies plus avancées et une réorientation vers l’hôpital.

Les médecins généralistes ou les sages-femmes pourront-ils pallier cette pénurie ?

La question des compétences se pose. Si, sur un bassin de vie, les gynécologues partent à la retraite et qu’on demande soudain au médecin généraliste de faire le suivi gynécologique des femmes alors qu’il n’en a pas fait – ou très peu – en trente ans, ce ne sont pas les meilleures conditions pour le médecin ni pour les femmes en matière de qualité et de sécurité. Quant aux sages-femmes, elles pourraient prendre en charge le suivi gynécologique des femmes dès lors qu’elles le veulent. Mais les questions demeurent : le souhaitent-elles ? Doit-on faire supporter aux sages-femmes l’absence de gynécologues et sont-elles assez formées sur les maladies et les événements de la vie des femmes ?

Que faudrait-il faire pour améliorer la politique en matière de santé sexuelle ?

On ne va pas pouvoir remettre facilement à niveau les médecins qui, pendant trente ans, n’ont pas traité la santé sexuelle des femmes. Il y a plusieurs solutions possibles en revanche : soit on renforce l’hôpital le temps de remettre en place une politique de déploiement des gynécologues, à supposer qu’on puisse le faire et que les étudiants en médecine souhaitent aller vers cette spécialité. Il faut se donner les moyens et mettre en place une stratégie pour rendre à nouveau attractive la filière. Concomitam ment, il faudrait renforcer la formation des médecins généralistes en gynécologie. Ou alors, les pouvoirs publics décident de laisser mourir la spécialité, mais dans ce cas-là, il faut organiser différemment la prise en charge : à l’hôpital ou dans des centres spécialisés, soit former les médecins généralistes comme il se doit, ou une partie des trois, mais il faut qu’il se passe quelque chose. C’est une bonne chose de mettre en place des centres de santé sexuelle, mais la difficulté, ce n’est pas de les mettre en place, c’est que leur notoriété arrive aux oreilles des médecins et du grand public !

BERTRAND DE ROCHAMBEAU

PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS DE FRANCE (SYNGOF)

→ Depuis 1992 : gynécologue-obstétricien à l’hôpital privé de Marne Chantereine à Marne-la-Vallée (77)

→ 2015 : président du Syngof

→ 2015 : co-président du Bloc, syndicat représentatif des chirurgiens

ALAIN-MICHEL CERETTI

PRÉSIDENT DE FRANCE ASSOS SANTÉ

→ Depuis 1986 : chef d’entreprise dans l’industrie électronique

→ 1997 : création du Lien (Lutte information études des infections nosocomiales)

→ 2004 : rapport sur l’agrément et la structuration des associations de santé, qui a permis la mise en place du Collectif interassociatif sur la santé (CISS)

→ 2012-2017 : conseiller santé du Défenseur des droits

→ mai 2017 : élection à la présidence de France Assos santé

POINTS CLÉS

→ Actuellement, en France, il n’y a que 1 136 gynécologues médicaux pour 28 millions de femmes de plus de 16 ans.

Entre 2007 et 2017, leur nombre a chuté de 41,6 % et il pourrait tomber à 531 en 2025, selon les projections de l’Ordre des médecins. On compte aussi 1 148 gynécologues « mixtes » et 4 464 gynécologues-obstétriciens. Ces derniers peuvent s’occuper du suivi des patientes (tous ne le font pas).

→ D’après le Monde(1), « six départements n’ont aucun gynécologue médical et certaines grandes villes de la grande couronne parisienne ne comptent aucun gynécologue libéral », comme Aulnay-sous-Bois ou Ivry-sur-Seine. On compte 4,2 gynécologues pour 100 000 habitants dans la Creuse, 4,32 en Dordogne, 4,37 dans l’Ain, contre 28,6 à Paris ou 67,4 à Neuilly-sur-Seine, ville la mieux dotée de France.

→ Face à cette pénurie, les femmes renoncent à se soigner et les délais de prise en charge s’allongent. Médecins généralistes et sages-femmes se retrouvent en première ligne, alors qu’ils ne sont pas suffisamment formés.

1- http://lemde.fr/2DjqW7a