Une reconquête - L'Infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

PSYCHIATRIE

DOSSIER

Jean-Paul Lanquetin  

infirmier de secteur psychiatrique

Au carrefour des nombreux marqueurs qui touchent aux évolutions de la discipline, ceux ayant trait aux infirmiers en psychiatrie semblent particulièrement saillants.

Le métier d’infirmier de secteur psychiatrique a connu un virage décisif dès la première réforme de 1992. Des 1 376 heures d’enseignement théorique et clinique de la psychiatrie en formation initiale en 1979, on n’en retiendra plus que 440 en 1992 et 80 en 2009. Une formation certes en cohérence au niveau européen avec le système LMD, et où l’approche par compétences remplace la pédagogie par objectifs. Pourtant, l’état des connaissances et l’avancée des sciences et techniques ne permettent pas de rationaliser cette logique soustractive (- 94 % en 20 ans). D’autant que les données épidémiologiques, le recensement des besoins de santé, les expertises ciblées et les missions assignées à notre champ disciplinaire soulignent une logique inverse tournée vers la nécessité d’une densification de la formation. Les raisons dépassent le seul objectif de mise en conformité des formations sanitaires. Nous changeons en fait de cadrage organisateur. Et sommes passés de l’infirmier psychiatrique à l’infirmier en psychiatrie, et d’une formation disciplinaire à l’avènement d’un infirmier polyvalent, où le maître mot est l’employabilité.

Des spécialités dans la spécialité

Le paysage de la psychiatrie change, suivant une tendance aux mille-feuilles réglementaire et administratif. Des spécialités s’organisent dans la spécialité, autour de filières structurées tantôt par âges, par pathologies, voire par durée de séjour. Des secteurs s’affirment avec la réhabilitation, l’éducation thérapeutique, des équipes mobiles, voire des secteurs d’hospitalisation sous contrainte. Des IDE montent en compétence pour répondre à ces missions spécifiques. Mais ces affirmations par îlots de capacité se font au détriment d’un ensemble qui les porte et les réunit. Au-delà de sa fonction organisationnelle, la perte de la référence au secteur psychiatrique - qui permet de penser, dans un ensemble, les parcours de soins, les accompagnements et l’offre de nos dispositifs - participe à cette fragmentation.

Sur le terrain, le manque d’expérience et de formation des soignants peut générer des situations difficiles, des freins au relationnel avec les patients. Les prises de risque sont alors limitées par un principe de précaution poussé trop loin, lequel peut faire peser des contraintes parfois inutiles. Pour les étudiants, le choix d’exercice en psychiatrie est expérimenté et décidé pendant la formation. Lors de notre accompagnement en tutorat, on observe deux ressorts récurrents de motivation : d’une part, une qualité d’accueil des stagiaires congruente avec celle réservée aux patients ; et, d’autre part, le temps de la relation et de l’accompagnement qui ouvre aux dimensions d’un « prendre soin ». Ces invariants constituent deux fondamentaux du travail en psychiatrie.

Des perspectives pour demain

À côté des exercices spécialisés aux compétences ciblées, le besoin en compétence transversale résiste à la dilution disciplinaire. Ainsi, accueillir, accompagner, se connaître et s’impliquer, utiliser le quotidien comme médiateur de la relation constituent autant de déclinaisons d’un même mouvement. Celui « d’aller vers ».

Le soin infirmier en psychiatrie sait décrire ses activités clés. À côté de « produire des actes », il lui faut « produire des liens ». À côté de « faire des soins », il lui faut décrire l’importance qualitative de son activité de « prendre soin ». L’environnement est maintenant favorable : les fédérations hospitalières, le milieu associatif, les familles et associations de patients pointent la nécessité d’une formation diplômante et qualifiante de type master.

Les pratiques avancées sont à portée de main, la recherche en soins se structure et irrigue de ses résultats ces dimensions des soins. Elle nous permet aujourd’hui de « repsychiatriser » nos métiers et de reconquérir notre clinique, condition pour arrimer de nouveau durablement les infirmiers psychiatriques. Notre place d’anciens est d’accompagner et de promouvoir ces volontés de « refaire la psychiatrie » ; notre responsabilité est juste d’éviter les tentations de « défaire la psychiatrie ».

DATES CLÉS

→ 1979 : un arrêté porte à 33 mois la durée de la formation initiale, dont une première année commune, et à 1 376 heures l’enseignement théorique et clinique de la psychiatrie.

→ 1992 : la réforme du 23 mars maintient seulement 440 heures de cet enseignement.

→ 2009 : seules 80 heures d’enseignement portent sur les processus psychopathologiques.