Cause commune - L'Infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

INTERDISCIPLINARITÉ

DOSSIER

Catherine Hurtaud  

infirmière, ex-directrice d’Ifsi, actuellement directrice d’institut de formation en travail social

Travailler main dans la main avec l’ensemble des acteurs de la santé et du social. 40 ans après l’avènement du rôle propre infirmier, cet enjeu, les IDE sont en passe de le réussir.

Interdisciplinarité, pluridisciplinarité : des mots souvent utilisés de manière indifférenciée dans le vocabulaire professionnel des infirmières pour évoquer tout simplement une manière de travailler ensemble autour du patient. On n’a jamais autant parlé de la place de ce dernier dans son parcours de soins et de la nécessité de le mettre au centre des dispositifs dans un schéma idéal où les professionnels de santé co-construisent et mettent en œuvre, main dans la main, sa prise en charge. Pourtant, on constate encore trop de cloisonnement entre les différents intervenants. Travailler ensemble pour une cause commune suppose une communication large entre tous les acteurs de santé, une écoute, un respect des professionnels en présence et une reconnaissance du savoir de chacun. Le succès d’une interdisciplinarité tient au fait que chacun fasse un pas vers l’autre, avec une ouverture d’esprit et un respect partagé qui excluent les individualismes et les protectionnismes professionnels.

Le droit à la parole

Peut-on dire aujourd’hui que les infirmières travaillent en véritable interdisciplinarité dans les services de soins ? 1978 a marqué l’accession d’une nouvelle discipline professionnelle dans le champ de la santé avec la reconnaissance d’un rôle autonome à l’infirmière. Quelle évaluation de notre situation professionnelle pouvons-nous réaliser près de 40 ans après l’avènement du rôle propre infirmier ? D’après Gérard Fourez(1), « pour qu’une discipline puisse naître, il faut que ses spécialistes parviennent à se créer leur zone d’autonomie au carrefour de plusieurs groupes sociaux ». Les infirmières ont-elles réellement créé leur propre zone d’autonomie au fil des ans et, de ce fait, leur propre discipline ? Le concept d’interdisciplinarité suppose que l’infirmière soit considérée au même titre que les autres paramédicaux et les médecins et que sa parole soit entendue et prise en compte, pas seulement pour la dispensation des soins, mais aussi pour les questions relatives aux conditions de travail. Il existe des formes d’exercice encore trop peu développées où l’infirmière a pourtant toute sa place dans une prise en charge pluridisciplinaire : programme d’éducation thérapeutique, consultations infirmières, soins de support, pratiques infirmières avancées… À l’inverse, certaines formes d’exercice libéral semblent, elles, donner plus d’autonomie et de reconnaissance aux infirmières.

En 2006 sont apparues les premières maisons de santé qui ont eu bien des difficultés à voir le jour et auxquelles certains libéraux prédisaient une fin rapide. En fait, dix ans plus tard, ces lieux de coordination autour d’un projet de santé commun pour le patient satisfont de plus en plus de professionnels et de patients. Actuellement, près de 700 maisons de santé sont dénombrées sur le territoire français, 1 000 sont attendues d’ici la fin 2017. Les infirmières qui y exercent ont le droit à la parole et participent au fonctionnement de la structure. Réunions de concertation pluridisciplinaire, partage d’informations, dossier unique, actions de prévention et de promotion de la santé, sont autant de réalisations qui créent un environnement professionnel satisfaisant où le concept d’interdisciplinarité a du sens dans le concret du quotidien.

Parler d’interdisciplinarité sans aborder la relation avec les travailleurs sociaux comme interlocuteurs de l’infirmière serait un oubli majeur. Dans les lieux où la précarité des personnes soignées interfère avec leur pathologie et la prise de leur traitement, les professionnels de la santé et du social sont amenés à travailler ensemble, à confronter des points de vue qui ne mobilisent pas les mêmes références professionnelles et institutionnelles. Sur le terrain, si les acteurs ont la volonté de collaborer, parce qu’ils ont besoin les uns des autres, le travail en interdisciplinarité prend tout son sens lorsqu’il faut soigner un patient diabétique qui vit dans la rue par exemple…

L’interdisciplinarité ne se décrète pas, elle se construit dans un vrai travail d’équipe au-delà des clivages liés à des cultures professionnelles éloignées. Pour cela, il faut être convaincu de la plus-value apportée à la personne prise en charge dans des situations de vie de plus en plus complexes.

1- Gérard Fourez, La construction des sciences, les logiques des interventions scientifiques, Sciences éthiques sociétés, De Boeck Université, 2002, 4e édition.