« Deux industriels nous avaient copiés » - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

INTERVIEW : Patrice CAZABONNE, INFIRMIER À L’INSTITUT CARDIO-VASCULAIRE, DE PARIS SUD (ICPS)

DOSSIER

Patrice Cazabonne est l’inventeur d’un kit de positionnement du patient pour la réalisation d’une angiographie. Il décrit son parcours et les difficultés rencontrées.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment avez-vous eu l’idée de cette invention ?

PATRICE CAZABONNE : J’ai un esprit très pratique et je bricole depuis toujours. J’ai fabriqué ma première lampe à 7 ans pour l’offrir à ma mère ! Dans mon service quand il y a un petit quelque-chose en panne, on vient souvent me chercher. Un esprit un peu MacGyver, quoi ! Lorsque je suis arrivé en cardiologie, j’ai tout de suite vu que certains gestes n’étaient pas confortables ni pour le patient, ni pour l’opérateur. Auparavant, j’étais infirmier libéral et le confort du patient représentait beaucoup pour moi. J’ai donc eu cette idée d’un kit de positionnement pour l’angiographie. J’en ai parlé à une cadre qui m’a dit que c’était une bonne idée et j’ai fabriqué le premier prototype.

L’I. M. : Que connaissiez-voussur le plan de la protection de la propriété intellectuelle ?

P. C. : Mon père ayant travaillé toute sa vie dans un bureau d’études, je connaissais les différents processus. Convaincu que cette idée pouvait se transformer en un produit commercialisable, j’ai fait appel à un conseil en propriété industrielle, et nous avons déposé la demande de brevet auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en 2009. J’avais déjà investi quelque 25 000 € dans mon prototype…

L’I. M. : Ensuite, vous décidez de créer votre propre entreprise ?

P. C. : J’ai amélioré mon prototype avec deux jeunes ingénieurs, l’un spécialiste en dessin industriel l’autre en matériaux composites. Et nous avons créé notre société. Pour cela, j’ai recherché des financements auprès de mes proches, de mes collègues de travail - ce que j’appelle du love money. Pendant ce temps, je suis évidemment resté en poste à l’ICPS.

L’I. M. : Comment avez-vous lancé la commercialisation de votre produit ?

P. C. : J’ai commencé par aller moi-même présenter mon produit dans les hôpitaux, pendant 6 mois.

Cela intéressait les professionnels. Les médecins ne sont pas vraiment conscients de l’inconfort dans lequel ils sont lorsqu’ils pratiquent l’angiographie, car c’est un geste d’urgence, donc ils s’accommodent de la situation. Les infirmiers, en revanche, constatent vite qu’avec mon kit c’est plus pratique et rapide que les actuels cale-bras. À l’époque, le produit coûtait 6 000 €. J’en ai vendu 3/4. Mais en période de crise, la priorité ce n’est pas le confort du patient… J’ai alors décidé de tenter un partenariat avec des industriels du dispositif médical ou des fabricants de tables d’opération. Dans l’intervalle, nous avions amélioré notre produit, avec des matériaux plus coûteux, et nous avions investi dans la recherche. Donc le prix du kit avait augmenté. Les industriels nous ont acheté le kit pour le présenter avec les tables qu’ils vendaient, mais les clients demandaient qu’il soit inclut dans le prix de la table, ce qui, évidemment n’intéressait pas le fabricant. Et au total, cela augmentait le prix du matériel. Surtout, je me suis ensuite aperçu que deux de ces industriels nous avaient copiés, avec des matériaux et une conception de moins bonne qualité. Je suis d’ailleurs en train de voir avec mon conseil en propriété industrielle sur quels points nous pouvons les attaquer. Depuis septembre dernier, je travaille avec un commercial qui a inclus le kit dans son catalogue. Je pense que nous allons pouvoir avancer.

L’I. M. : Aujourd’hui, quel coup de pouce vous manque-t-il ?

P. C. : Je n’ai reçu aucune aide des collectivités locales - ma société est installée dans le Sud-Ouest. De ce côté là, je trouve qu’il y a un vrai manque. Mais cela changera peut-être, car la région est intéressée à entrer dans notre capital.

L’I. M. : Avez-vous d’autres idées d’inventions ?

P. C. : Oui, beaucoup. Par exemple, un système pour réchauffer le patient au bloc ou un autre pour protéger l’opérateur des radiations. Mais il faut d’abord que cela marche avec le kit car j’ai déjà beaucoup investi, tant financièrement qu’en temps - presqu’un mi-temps en plus de mon poste d’infirmier à temps plein. Mais je sais que c’est un bon produit. Et des études montrent qu’il protège l’opérateur, car il l’éloigne de la source de rayonnement. Il faut que cela débouche sur quelque-chose !