Aides à l’inventeur - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

HÔPITAUX

DOSSIER

Les établissements de soins ont développé des missions de valorisation à même d’accompagner les inventeurs dans le développement de leurs idées et la protection de leurs innovations. Un partenariat dans lequel les IDE peinent encore à trouver leur place.

Notre objectif, c’est d’aller au bout de la démarche d’innovation, de protéger les bonnes inventions et de les amener au lit du patient », résume Philippe Roussel chargé de valorisation à la direction de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI) des Hospices civils de Lyon. Dans chaque hôpital, en effet, les salariés peuvent trouver auprès de leur employeur un soutien à leur démarche innovante. Les missions de valorisation, généralement placées sous l’autorité de la DRCI, accompagnent les demandes de brevets, gèrent le portefeuille existant et perçoivent les droits afférents. Car, le brevet comme toute autre forme de protection de la propriété intellectuelle (droit d’auteur, marque ou modèle déposé, etc., lire p. 26), est une source de revenu. Et, selon la loi, toute invention élaborée par un professionnel, en rapport avec son secteur d’activité, doit être déclaré à son employeur qui peut décider de s’en attribuer la propriété, dans le secteur public comme dans le privé. « C’est la direction de la recherche qui décide ou non d’investir dans le dépôt d’un brevet, souligne Philippe Roussel. Parfois, on nous propose des choses qui ne sont pas brevetables, parce qu’il ne s’agit pas de dispositifs industrialisables ou que le transfert de technologie sera trop compliqué. »

19 brevets « infirmiers » à l’AP-HP

Les établissements disposent en effet d’un budget spécifique pour ces opérations, qui, outre les taxes afférentes à verser à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), nécessitent généralement de faire appel à des conseillers en propriété industrielle indépendants (lire p. 26). En France, l’AP-HP est probablement l’établissement de soins qui possède le plus important service dédié à la valorisation de la recherche : l’Office du transfert de technologie et des partenariats industriels (OTT&PI). Cette mission existe depuis 1992 - elle est d’ailleurs longtemps restée sous la responsabilité d’un cadre infirmier. Lorsqu’il est contacté par un agent inventeur, ce service réalise trois expertises. L’une sur les moyens de protéger la création, l’autre sur les perspectives de développement d’un marché, et la troisième sur le modèle économique entrepreneurial qui pourra être envisagé.

L’OTT&PI gérait ainsi, en 2014, quelques 794 brevets, dont 88 émanaient de personnels non médecins. 19 portaient sur une invention ou un savoir-faire infirmier, 27 émanaient de techniciens de laboratoires, 10 d’aides-soignantes, et 8 de cadres de santé. « 20 % sont uniquement issus du travail des agents de l’AP-HP, sans collaboration avec l’université ou un institut de recherche », insiste Florence Ghrenassia, actuelle responsable de l’OTT&PI. Le portefeuille de l’institution évolue chaque année en fonction des nouvelles demandes et des droits parvenant à échéance.

Mais tous les établissements hospitaliers n’ont pas à leur actif autant d’inventions émanant de soignants. Aux Hospices civils de Lyon, par exemple, aucune IDE ne figure parmi les inventeurs dont les brevets et autres droits de propriété sont gérés par la DRCI. « Les inventeurs, chez nous, sont habituellement des médecins universitaires, observe Philippe Roussel. Ils représentent 80 % de notre portefeuille de brevets. Et nous avons également quelques biologistes. » Au CHU de Rouen, la situation est sensiblement la même, mais Jean-Alexandre Boulent, chargé de valorisation, indique être en train de réfléchir à la protection d’un dispositif d’éducation thérapeutique élaboré conjointement par des diététiciennes et des infirmières. Dessins et modèles ? Contrat d’édition qui permettrait de faire valoir le droit d’auteur ? Ou marque pour décliner ensuite plusieurs outils et valoriser l’image de l’établissement ? La décision pourrait associer plusieurs des dispositifs.

Mieux informer les soignants

Il semble que les soignants soient insuffisamment informés sur l’intérêt de la protection de leurs droits en milieu hospitalier. Différents éléments font obstacle à la sensibilisation des soignants sur le droit de propriété intellectuelle. « Par exemple, tous n’ont pas d’e-mail professionnel, observe Florence Ghrenassia. On ne peut donc pas les informer par mailing sur la nécessité de protéger une invention. » La responsable de l’OTT&PI, observe également de plus grandes difficultés pour les soignants à se mobiliser pour le développement de leur innovation. « Il y a une réelle différence entre le soutien dont peut bénéficier un médecin et celui d’un soignant », observe Florence Ghrenassia. Pour les uns, il sera en effet plus facile de se libérer pour venir en rendez-vous à l’OTT&PI sur son temps de travail que pour les autres qui devront prendre une RTT. « Je fais régulièrement des courriers aux cadres ou aux chefs de services pour qu’ils acceptent de laisser sortir un soignant, malgré tout, c’est compliqué », poursuit la responsable de l’OTT&PI. Et trop souvent, faute de ce soutien de proximité, les bonnes idées sont abandonnées. « Lorsque ça devient un projet d’équipe, porté collectivement, tout devient beaucoup plus facile », remarque Florence Ghrenassia.

Pour améliorer la situation, les établissements tentent donc de déployer quelques moyens : interventions dans les instituts de formation aux métiers paramédicaux ou dans les sessions de formation continue, articles dans les magazines internes, formation des coordinateurs de recherche paramédicale, concours d’innovations entre les services. À Rouen, chaque année, le concours Innovasoins peut permettre de révéler quelques inventions dignes de protection. « Au moment où les projets sont soumis au jury, ils sont également présentés à la DRCI, afin que nous évaluions leur potentiel de développement », précise Jean-Alexandre Boulent. Enfin, il s’agit d’aller présenter l’action de la mission de valorisation au sein des services. « Nous soulignons trois points capitaux, poursuit le chargé de valorisation de la DRCI du CHU de Rouen : l’importance de préserver la confidentialité sur tout projet ou invention, la nécessité de définir précisément, par écrit, le caractère innovant de leur projet, avant de nous contacter. »

Création de start-up

Il arrive évidemment, suite à ces interventions, que des projets inaboutis soient signalés aux DRCI. « Parfois, les choses nous sont rapportées alors qu’elles sont encore au stade de l’idée », note encore Jean-Alexandre Boulent. Mais même alors, l’établissement peut accompagner la concrétisation d’une idée en recherchant des financements pour son développement. « Dans notre région, via l’agence Normandie valorisation, un fonds de maturation peut être sollicité pour financer une expérimentation voire l’élaboration d’un prototype. »

Et les missions des DRCI et de leurs chargés de valorisation ne s’arrêtent pas à la protection des inventions. Elles s’engagent également dans la recherche de partenaires industriels voire de financements pour la création de start-up. 60 entreprises sont ainsi nées des innovations technologiques accompagnées par l’AP-HP, même si aucune n’est la conséquence d’une invention infirmière. « Notre mission est aussi de faire connaître nos innovations à l’extérieur de l’institution afin d’engendrer des transferts de technologie vers l’industrie en proposant des collaborations scientifiques ou une licence sur un brevet », explique Philippe Roussel. Même si la recherche de partenaires est également réalisée par les inventeurs, eux-mêmes souvent en contact direct avec les industriels. À l’image de Josette Deseny, cadre supérieur de santé à l’hôpital Henri Mondor (AP-HP) en 1996, qui est à l’origine des supports pour le tri des déchets Evolutri® (lire p. 21-22). « Ensuite, c’est à nous de faire avancer les négociations et l’accord avec l’industriel », précise Philippe Roussel.

FINANCEMENT

Recherche investisseurs

→ Chaque année en juin, à Paris, les journées Ap’innov organisées par l’OTT&PI attribuent les trophées du Brevet prometteur et de l’Internet innovant. C’est surtout l’occasion d’y croiser industriels, PME médicales, structures d’accompagnement et investisseurs… Des rendez-vous d’affaires, réservés aux porteurs de projet de l’AP-HP sont également organisés avec des partenaires potentiels.

bit.ly/1UdzG1I

→ Vous avez une idée d’application ou de logiciel ? Les Hackathon santé permettent aux professionnels de transformer leur projet en prototype grâce aux designers et développeurs web présents. Un concours permet ensuite de faire connaître son projet auprès d’éventuels financeurs.

http://bit.ly/1FSUX9X

→ Dans la même veine, le Challenge d’innovation New Health 2016 aura lieu du 8 au 10 avril, à Paris.

bit.ly/1LM7fGM

→ Le financement participatif ou crowdfunding est une autre solution, testée avec succès par l’association Les P’tits doudous de l’hôpital Sud du CHU de Rennes afin de financer le déploiement de l’application pour iPad « Le héros c’est toi ». Créée par des Iade, elle dédramatise par le jeu, le passage au bloc opératoire de l’enfant. Sur la plate-forme Ulule, la collecte a permis de recueillir 78 251 €.

fr.ulule.com/lesptitsdoudous, lire l’article p. 36 dans L’Infirmière magazine n° 355

SAVOIR PLUS

Institutions

→ Institut national de la propriété industrielle (www.inpi.fr).

→ Office européen des brevets (www.epo.org).

→ Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (www.wipo.int).

Guides

→ « La propriété intellectuelle et l’entrepreneur », téléchargeable sur le site de l’INPI.

→ « Le guide pratique du porteur de projet innovant » de l’AP-HP, en ligne sur le site de l’OTT&PI (http://bit.ly/1UidB20).