DES HUILES TRÈS ESSENTIELLES - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

GÉRIATRIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

MARIE-CAPUCINE DISS  

Formées à l’aromathérapie scientifique, les infirmières du CH de Valenciennes (Nord) participent à une prise en charge protocolisée et médicalement encadrée. Un usage particulièrement efficace auprès des personnes âgées.

Les soins de propreté, ou le fait de lui couper les ongles, ne permettaient pas de faire évoluer favorablement la situation, explique Martine Gir, infirmière au Val-d’Escaut. Un antiseptique local avait été prescrit, mais son application était sans effet. Et les traitements antihistaminiques ne faisaient pas leurs preuves. Le recours à l’aromathérapie s’est imposé. » L’infirmière alerte alors Géraldine Gommez, la médecin référente en aromathérapie du pôle, afin de mettre en place un protocole. Celle-ci prescrit un mélange de lavande et de Tea Tree – ou arbre à thé – dilué deux fois plus que ce qui se pratique d’habitude afin de réduire tout risque d’effets indésirables, la peau du visage de la patiente étant particulièrement vascularisée et fragile. La lavande possède des vertus anti-inflammatoires, antiseptiques et agit comme un anesthésiant local. Et le Tea Tree agit, lui, comme antifongique. 2,5 ml d’huile de lavande et 2,5 ml de Tee Trea sont mélangés à 9,5 ml d’huile végétale de jojoba. « J’ai appliqué deux gouttes de ce mélange sur le visage de Mme M., deux fois par jour, matin et soir, décrit l’infirmière. Très vite, celle-ci a réclamé “son huile”, dont elle appréciait l’odeur. Au bout de quinze jours de traitement, les traces d’infection et les croûtes ont disparu. La patiente ne ressentait plus de douleurs et était satisfaite du résultat. Le traitement antihistaminique a pu être arrêté. La patiente n’a plus jamais connu ce genre de troubles et a pu retourner prendre ses repas dans la salle à manger, avec plaisir, sans avoir besoin d’être accompagnée. »

Validité scientifique

L’aromathérapie scientifique est régulièrement employée au CH de Valenciennes. À ce jour, dix-neuf protocoles ont été établis (voir encadré) afin d’assurer un cadre médicalisé à l’usage de ce traitement non médicamenteux. « L’élaboration des protocoles était indispensable pour développer une pratique dont la validité scientifique n’est pas encore unanimement reconnue, précise Géraldine Gommez, praticien hospitalier au pôle gériatrique. Il s’agissait pour nous d’assurer la sécurité des soins et celle des soignants. » La méthodologie est calquée sur celle des protocoles médicaux. Afin de faciliter la prescription par l’ensemble des praticiens du CH, le Dr Gommez a intégré dans une base de données les principaux mélanges, leur fréquence référencée et ce que doivent observer les infirmières. De manière générale, la prescription, renouvelable et modifiable, est valable pour cinq jours.

Le recours à un protocole se fait sur prescription, sur proposition infirmière ou médicale. Le patient est informé et son accord est requis. S’il présente des symptômes thymiques, un test olfactif est réalisé pour s’assurer que l’usage de l’huile ne provoque chez lui aucune réaction négative. En cas d’usage cutané, un test dermatologique est effectué afin de prévenir tout risque allergique. Quelques gouttes d’huile sont alors déposées dans le pli du coude. Si aucune rougeur n’apparaît dans les minutes qui suivent, il est possible de commencer le soin à l’huile essentielle. Celui-ci est tracé et son efficacité est évaluée à l’aide d’un semainier où est consignée l’évolution de la douleur, des affections cutanées ou respiratoires, des soins de bouche et du transit intestinal. Le soulagement ou l’amélioration du symptôme est évalué matin, midi et soir grâce à une échelle graduée de 0 à 2. Les éventuels effets indésirables du traitement sont également tracés.

Effet de synergie

L’usage des huiles essentielles est particulièrement adapté pour des patients très fragiles, souffrant de maux difficiles à soulager. Ce qui explique le choix, à Valenciennes, de démarrer le programme en gériatrie. L’aromathérapie est particulièrement indiquée pour ces patients souvent polymédicamentés, atteints de polypathologies, présentant des troubles cognitifs et parfois des troubles importants du comportement, de gros syndromes dépressifs, souffrant de douleurs dont il est difficile de savoir si elles relèvent du physique ou du mental. Chaque huile essentielle comporte plusieurs principes actifs. Leur action est renforcée quand elles sont mélangées, grâce à l’effet de synergie. À l’image de ce qui s’est passé pour Mme M., l’aromathérapie permet d’éviter ce que Géraldine Gommez nomme « la cascade médicamenteuse, avec cumul d’effets indésirables ».

L’usage de l’aromathérapie dans les soins s’est étendu depuis aux autres pôles du CH de Valenciennes via la formation des professionnels, à la diffusion et à l’enrichissement des protocoles. Les huiles essentielles sont également utilisées en neurologie, en maternité, en pédiatrie, en unité de soins pour toxicomanes, en oncologie, en psychiatrie et en unité douleur. Une huile essentielle comme la mélisse permet de calmer une agitation importante, un état de panique. Elle peut être employée pour favoriser la venue du sommeil ou pour l’accompagnement en soins palliatifs, par exemple après la toilette. D’autres protocoles permettent d’agir contre la constipation ou la formation d’hématomes.

Un mélange a également été élaboré pour améliorer le confort des soignants lors des pansements d’escarres malodorantes : une goutte de citron, déposée en bas du masque, permet de ne pas sentir des odeurs déplaisantes et de ne pas esquisser une grimace que pourrait voir le patient. Au CH de Valenciennes, l’aromathérapie est privilégiée en usage cutané, le toucher offrant une relation de soin plus complète. Après avoir préparé le mélange sélectionné, les infirmières en déposent une goutte sur le poignet et deux sur le plexus solaire du patient. Martine Gir, qui dispose d’une formation d’infirmière clinicienne, complète ce soin par un toucher détente : « Le bénéfice pour les patients est évident. La sensation d’être enveloppé, que l’on prend soin d’eux, leur apporte beaucoup. Pour ma part, j’ai la certitude de prodiguer un soin plus complet. » L’aromathérapie ne peut se résumer à un mélange de principes actifs. Derrière l’huile, il y a la personne qui l’applique et sa manière d’être. L’application d’huile essentielle se fait en général deux fois par jour. L’usage en diffusion, individuelle ou en salle, ne dure pas plus d’une quinzaine de minutes, avec possibilité de renouvellement toutes les heures. La diffusion en lieu collectif permet notamment d’assainir l’air. Les odeurs étant fortement liées à la mémoire, elles stimulent les patients d’une manière particulière. « Grâce à l’aromathérapie, nous approfondissons notre communication avec eux, souligne Martine Gir. Les patients nous font des remarques au sujet des odeurs des huiles que nous employons, de ce qu’elles évoquent pour eux. Mme M. s’était approprié l’huile que je lui appliquais sur le visage et me la réclamait quand je passais près d’elle, en dehors de l’heure du soin. Même les patients non communicationnels partagent leurs sensations avec nous, par une simple expression du visage. »

CAS DE DÉPART

Atteinte de démence, Mme M., une résidente octogénaire de l’Ehpad du Val-d’Escaut (pôle de gériatrie du CH de Valenciennes), se gratte le visage sans retenue. Sur sa joue droite, une plaie, accentuée par son grattage. Son visage est couvert de croûtes et de lésions. Elle présente une infection prurigineuse avec risque de surinfection. Cette patiente, coquette, souffre de la dégradation de son image, se replie sur elle-même, n’ose plus se rendre seule aux repas. Elle semble développer un syndrome de régression psychomotrice, avec dégradation de l’estime de soi.

PROTOCOLES

L’aromathérapie est pratiquée au CH de Valenciennes depuis 2008. Une dizaine de professionnelles du pôle gériatrique se sont regroupées autour du Dr Gommez et se sont formées pour favoriser le recours à ce traitement non médicamenteux. Huit protocoles ont d’abord été établis. Leur élaboration s’appuie sur la littérature scientifique et sur l’expérience. Des groupes de travail pluriprofessionnels permettent d’affiner les protocoles, revus tous les quatre ans, conformément aux exigences de la charte de qualité de l’établissement. Il en existe actuellement dix-neuf.

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