La prescription informatisée - L'Infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme D., 85 ans, est résidente en Ehpad depuis trois mois. Dans ses antécédents médico-chirurgicaux, on retrouve une hystérectomie, une ostéoporose sévère traitée, une dépression traitée et une polyarthrite rhumatoïde.

Son traitement habituel comporte : Alprazolam 0,25 mg le soir, Calcidose vit D3 le matin, Cortancyl 5 mg le matin, Dafalgan 500 mg matin et soir, Depamide 300 mg le soir, Metoject 10 mg/ml une fois/semaine et Speciafoldine 5 mg 4 cp une fois/semaine.

Quelques jours après son entrée dans la structure, son traitement est évalué. Il est alors constaté les prescriptions concomitantes de Metoject 10 mg/ml le jeudi matin et de Novatrex 2,5 mg, 4 cp le lundi matin, soit une forme injectable et une forme per os de méthotrexate. Le traitement par Novatrex est alors stoppé et seule la forme injectable est conservée.

Un mois plus tard, la prescription est revue. Une nouvelle erreur est évitée, qui aurait pu aboutir à l’administration de methotrexate sous forme injectable à deux jours d’intervalle seulement.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

À son domicile, Mme D. était traitée par methotrexate injectable pour sa polyarthrite rhumatoïde. À son entrée en Ehpad, un premier médecin a saisi le traitement du domicile dans le logiciel de prescription.

Quelques jours plus tard, un second médecin, ne connaissant pas le dossier de Mme D., a saisi une nouvelle prescription de methotrexate, mais, cette fois ci, sous forme per os. Les transmissions médicales via le dossier de la patiente n’étant pas suffisamment précises, un doublement de la prescription de methotrexate est survenu, heureusement intercepté à temps.

Le mois suivant, lors du renouvellement de prescription informatisée, le médecin omet de préciser la date de l’injection suivante de methotrexate, qui s’est calée, par défaut, sur le jour de prescription. Or, la dernière injection date seulement de 2 jours auparavant. Mme D. se retrouve donc avec deux prescriptions de Metoject 10 mg/ml à deux jours d’intervalle.

Ce cas typique révèle, au-delà des erreurs médicales et d’un dossier incomplet, les insuffisances et certains dangers de l’informatisation de la prescription alors même que cette informatisation du dossier patient et de la prescription est censée tendre vers une plus grande sécurité du circuit du médicament. L’informatisation n’a pas permis, dans le cas rapporté, une détection automatique d’une redondance pharmacologique. Elle n’a pas permis non plus d’éviter une surdose d’un traitement normalement administré de façon hebdomadaire.

2. LE DOSSIER PATIENT INFORMATISÉ

Qu’est-ce que le DPI ?

DPI signifie : dossier patient informatisé. Ce dossier est défini par la loi du 4 mars 2002. Il regroupe un ensemble d’informations détenues par le professionnel de santé et concernant la santé du patient. Ces informations sont formalisées et contribuent à l’élaboration ou au suivi du diagnostic et du traitement, ou à définir des actions de prévention. Le DPI peut aussi être l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé. Dans le milieu hospitalier, il contient les documents rédigés lors de l’admission et pendant le séjour, et les documents de fin de séjour. Les informations recueillies lors des consultations externes dispensées dans un établissement de santé sont également consignées dans ce DPI. Un versant du dossier s’attache aussi à assurer la traçabilité des traitements des patients et les actions des divers intervenants autorisés concernant celui-ci.

Objectif

Le principal objectif de l’informatisation est l’amélioration de la qualité des soins. Cet objectif peut lui-même se décliner en plusieurs sous-objectifs :

– individuels, visant à améliorer la gestion des informations et à améliorer la disponibilité du dossier lui-même et celle des informations qu’il contient  ;

– collectifs, visant l’exploitation des données (épidémiologiques, médico-économiques).

3. CONSÉQUENCES INATTENDUES

Un certain nombre de travaux de recherche ont montré, depuis plus de dix ans, que le développement de l’informatisation de la prescription supprime certains types de difficultés inhérentes à la prescription manuscrite, comme : une écriture illisible, des problèmes de retranscription de la prescription, des oublis de précision de la posologie, du dosage, de la durée… Cependant, de plus récents travaux attirent l’attention sur des conséquences inattendues de l’informatisation. En effet, selon certains auteurs, l’informatisation n’élimine pas toutes les erreurs de prescription ayant des conséquences cliniques qualifiées de modérées à sévères. Vingt-deux nouveaux types d’erreurs directement imputables à l’informatisation de la prescription ont été identifiés. Parmi elles, davantage d’erreurs de dose, d’oublis de prescription de médicaments ou de poursuites de traitement non justifiées qu’avec la prescription manuscrite.

4. RAPPELS SUR LE METHOTREXATE

Le méthotrexate est un médicament cytotoxique. Sa structure est proche de celle de l’acide folique : il bloque la synthèse des bases puriques et pyrimidiques en agissant comme faux substrat.

→ Le methotrexate est indiqué pour le traitement de nombreux types de cancers, notamment les lymphomes malins non hodgkiniens, les leucémies aiguës lymphoblastiques, ou les ostéosarcomes. Le methotrexate est aussi largement utilisé à faibles doses dans des pathologies inflammatoires chroniques, notamment rhumatologiques (polyarthrite rhumatoïde active) et dermatologiques (psoriasis de l’adulte). Le methotrexate existe sous forme de :

– comprimé à 2,5 mg (Novatrex, Methotrexate) ;

– comprimé à 10 mg (Imeth) ;

– solution injectable, avec une variété très importante de dosages allant de 2,5 mg jusqu’à 5 g (Ledertrexate, Metoject, Methotrexate). Les posologies varient en fonction de l’indication.

En cancérologie, le methotrexate peut être employé :

– à des posologies conventionnelles comprises entre 15 et 50 mg/m2 avec des intervalles entre les cures pouvant varier d’une semaine à un mois  ;

– à hautes doses (de 1 à 12 g/m2) toutes les trois à quatre semaines pour certains cancers (lymphomes malins non hodgkiniens, ostéosarcomes).

→ L’administration du methotrexate à hautes doses se fait toujours avec administration séquentielle d’acide folinique et sous couvert d’hyperdiurèse alcaline dans des services spécialisés.

Dans les autres indications, il est utilisé à faibles doses, en traitement de fond de la polyarthrite rhumatoïde ou pour le psoriasis, avec une posologie comprise entre 5 et 25 mg par semaine en une prise unique, ou en trois prises réparties à 12 heures d’intervalle, une seule fois par semaine. Le traitement peut être accompagné d’une dose d’acide folique à prendre le lendemain de la prise du methotrexate pour améliorer sa tolérance.

Les principales toxicités sont hématologiques, digestives, hépatiques, rénales et pulmonaires. Le methotrexate est un médicament à risque qui implique une vigilance accrue au moment de son administration. Les causes des erreurs médicamenteuses conduisant à un surdosage en methotrexate sont connues depuis plus de trente ans, et il est impératif de mettre en œuvre des mesures pour prévenir ces accidents. La prise quotidienne à la place d’une prise hebdomadaire de ce médicament est le principal risque d’erreur au moment de la préparation et/ou de l’administration.

5. EN PRATIQUE

→ Depuis 2007, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), reçoit des signalements de prises quotidiennes des spécialités à base de methotrexate au lieu de prises hebdomadaires. Pour certaines d’entre elles, cela conduit à des décès en raison de la toxicité hématologique du methotrexate en cas de surdosage. Ces erreurs de prise proviennent dans la plupart des cas du patient lui-même, mais sont parfois à imputer au manque de rigueur dans la prescription ou l’administration par un professionnel.

→ Des mesures correctives ont été adoptées par l’Agence, notamment :

– la modification des autorisations de mise sur le marché (AMM) avec ajout de mises en garde dans le RCP et notice des spécialités concernées insistant sur le danger d’une prise quotidienne et recommandant au prescripteur de préciser sur l’ordonnance le jour de la semaine où le médicament doit être administré  ;

– un avertissement explicite, dans un encadré rouge figurant également sur les boîtes de ces médicaments, stipulant qu’ils ne doivent pas être pris tous les jours.

ATTENTION !

→ Les soignants doivent être vigilants lors de toute prescription, dispensation ou administration de methotrexate par voie orale ou parentérale. Les professionnels de santé doivent aussi insister auprès des patients sur la prise hebdomadaire de ces médicaments.

→ L’informatisation n’est pas une réponse à tout en terme de sécurité des soins apportés au patient. Elle est susceptible de générer elle-même des erreurs ou d’être incapable d’en éviter certaines, liées à l’acte humain.

→ Il convient donc, à toutes les étapes du circuit du médicament, de rester attentif et critique concernant les prescriptions des patients, d’autant plus lorsqu’il s’agit de médicaments à marge thérapeutique étroite ou avec un potentiel important d’effets indésirables graves.