LES INSOMNIES - L'Infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Notion subjective, l’insomnie correspond au ressenti d’une altération de la durée ou de la qualité d’un sommeil décrit comme écourté, léger ou discontinu. La réalité de cette altération doit être démontrée. Constituant souvent un symptôme d’affection psychique ou somatique, ces troubles peuvent avoir un retentissement d’autant plus important sur la qualité de vie du patient qu’ils se prolongent dans le temps et deviennent chroniques. Le traitement par un médicament hypnotique doit toujours mettre en regard les avantages escomptés et la iatrogénie qui y est attachée. Bien toléré au plan somatique, il n’en expose pas moins à un risque d’accoutumance et de dépendance. Diverses situations invitent donc à privilégier des médicaments plus étiologiques (antalgiques, antidépresseurs, etc.) ou des interventions non médicamenteuses.

1. DÉFINITION ET ÉPIDÉMIOLOGIE

L’insomnie désigne un symptôme d’affection psychique, d’affection somatique ou de trouble psychologique, voire, rarement, de trouble spécifique et autonome. Elle est définie par le sentiment que rapporte le patient d’avoir des difficultés à s’endormir, un sommeil écourté, léger, discontinu, insuffisamment récupérateur, malgré des conditions environnementales adéquates. L’insomnie est tenue pour responsable d’une altération parfois importante de la qualité de vie diurne. Le patient peut se plaindre d’une insomnie alors que la durée objective du sommeil n’est que peu abrégée, voire normale.

Le vieillissement se manifeste physiologiquement par un sommeil plus léger sur des périodes plus brèves : la plainte pour insomnie doit être relativisée chez un sujet âgé. Il ne faut pas confondre temps de sommeil et besoin de sommeil. Les personnes âgées croient parfois souffrir d’insomnie alors qu’elle ont simplement besoin de moins dormir.

Les facteurs de risque d’insomnie sont l’âge, le sexe féminin, les comorbidités, l’abus de substances addictives, le stress, la précarité sociale.

2. CLASSIFICATION DES INSOMNIES

La classification des troubles du sommeil distingue les insomnies occasionnelles et les insomnies chroniques.

L’insomnie occasionnelle

De loin la plus fréquente, l’insomnie occasionnelle regroupe :

– l’insomnie par mauvaise hygiène du sommeil, induite par de nombreux facteurs : usage de psycho– stimulants (café, boissons énergisantes, alcool, etc.), activités stimulantes (ordinateur, télévision) ou fatigantes (sport) juste avant le coucher, irrégularité des heures de coucher, sieste dans la journée, etc. ;

– l’insomnie liée à des facteurs environnementaux : environnement inhabituel ou paramètres défavorables (bruit, lumière, température, altitude, literie inadaptée, etc.) ;

– l’insomnie réactionnelle (d’« ajustement »), aiguë mais transitoire, associée à un stress (deuil, séparation, examen, frustration, etc.), cessant généralement avec l’arrêt de ce dernier ou l’accoutumance au facteur stressant mais également susceptible de se chroniciser si le stress reste permanent ;

– l’insomnie de rebond, iatrogène, suivant l’arrêt brutal d’un traitement hypnotique ou anxiolytique de demi-vie courte ;

– certaines insomnies organiques liées à une douleur transitoire.

L’insomnie chronique

L’insomnie chronique englobe, quant à elle :

– l’insomnie psychophysiologique, liée à un conditionnement négatif (angoisse de performance quant au sommeil, incapacité à bien dormir au domicile habituel, ruminations anxieuses au lit…). Elle évolue avec son génie propre pour finir par constituer une véritable maladie ;

– l’insomnie idiopathique, isolée de tout contexte morbide ou environnemental, observée dès l’enfance. Celle-ci est rare : susceptible d’accompagner le patient pendant toute son existence, elle est tenue comme une variante clinique de l’insomnie psychophysiologique ;

– certaines insomnies organiques ayant pour origine une affection neurologique (épilepsie, Parkinson), un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral, une infection à prion, une apnée du sommeil, une insuffisance cardiaque, etc.

3. CONSÉQUENCES DES TROUBLES

L’insomnie retentit souvent sur les activités et la qualité de vie diurnes du patient qui se plaint :

– d’une sensation de fatigue ou de malaise diffus dans la journée ;

– de troubles de la mémoire, de l’attention ou de la concentration ;

– d’une capacité insuffisante à satisfaire aux obligations professionnelles, scolaires ou sociales ;

– de troubles de l’humeur ou d’irritabilité ;

– de somnolence diurne ;

– d’une diminution ou d’une réduction de la motivation dans les prises d’initiative ;

– d’un risque de survenue d’accident au travail ou au volant ;

– d’une sensation de tension musculaire, de maux de tête, de troubles gastro-intestinaux ;

– de ruminations anxieuses portant sur la qualité du sommeil.

4. DIAGNOSTIC

Si le diagnostic des insomnies aiguës liées à une cause événementielle précise est aisé, le bilan d’une insomnie chronique peut relever d’une consultation spécialisée d’hypnologie, par exemple dans un centre « veille-sommeil ». Dans tous les cas, le diagnostic clinique repose sur l’interrogatoire du patient et du conjoint. Il permet de décrire l’insomnie, les conditions environnementales, et de prendre connaissance d’éventuelles parasomnies ou de pathologies susceptibles d’altérer la qualité du sommeil.

Si besoin, cet interrogatoire est complété par la tenue d’un agenda du sommeil. L’insomniaque y consigne, notamment, ses horaires de sommeil, la qualité du sommeil et du réveil, la forme dans la journée, ses éventuelles siestes. Cet agenda témoigne par la suite de l’évolution du sommeil sous traitement, puis lors du sevrage en hypnotiques. Les examens dits « objectifs » ne sont pas réalisés en routine.

– Polysomnographie : cet examen, réalisé en ambulatoire ou en centre spécialisé, consiste à enregistrer, au cours du sommeil, de nombreuses variables physiologiques (rythme respiratoire et cardiaque, électro-encéphalogramme, activité musculaire des jambes et des bras, mouvements oculaires…) afin de préciser la réalité des troubles du sommeil et d’en déterminer l’origine.

– Actimétrie : cet examen est réalisé grâce à un actimètre, appareil porté comme une montre, qui détecte les phases d’activité et de repos – et donc, notamment, les mouvements nocturnes – mémorisées par unité de temps (10 secondes à 1 minute). Il livre une bonne représentation du rythme veille-sommeil, permet de visualiser les périodes de mouvements nocturnes (insomnie), mais aussi l’architecture du sommeil. L’examen, ambulatoire, est, le plus souvent, réalisé sur une période d’une semaine.

5. MALADIES ENTRAÎNANT DE L’INSOMNIE

Lorsqu’elle n’est pas liée à une cause environnementale ou conjoncturelle, l’insomnie accompagne généralement une pathologie psychiatrique (dépression, psychose, trouble anxieux, addiction) ou somatique (douleurs, pathologie cardio-vasculaire, hyper–thyroïdie, dyspnée nocturne, maladie rhumatismale, traumatisme crânien, maladie de Parkinson et autres maladies neurodégénératives…) dont elle constitue un symptôme. Elle peut souvent résulter de troubles affectant le sommeil : parasomnies, syndrome des jambes sans repos, syndrome des mouvements périodiques, apnée du sommeil…

L’insomnie fatale familiale est une forme particulièrement sévère d’insomnie, avec suppression totale du sommeil, résultant de l’infection par un prion. Elle entraîne le décès en 6 à 32 mois. Il existe encore des insomnies familiales, d’origine génétique, corrélées à divers troubles métaboliques (insuline notamment).

6. INSOMNIES PHARMACOLOGIQUES

Des médicaments psychostimulants sont susceptibles d’altérer la qualité du sommeil : glucocorticoïdes, bêta-stimulants (salbutamol), agonistes dopaminergiques et lévodopa, antidépresseurs psychostimulants (imipraminiques, IMAO, IRS, venlafaxine, etc.), hormones thyroïdiennes (lévothyroxine), méthylphénidate, etc.). Le sevrage ou l’accoutumance à certains médicaments sont eux-mêmes souvent à l’origine d’insomnie (anxiolytiques, hypnotiques).

Le café et les boissons riches en caféine (maté, Coca-Cola et analogues), tout comme l’abus de tabac, peuvent induire des réveils nocturnes ou des difficultés d’endormissement (également lors du sevrage en ces substances). La vitamine C est présentée dans des revues populaires comme susceptible d’induire des insomnies, sans que cela soit attesté.

L’usage chronique de diverses drogues peut expliquer de graves dysrégulations du sommeil avec insomnies : cocaïne et crack, khat, amphétamines, ecstasy et produits analogues…

RAPPEL

Comprendre le sommeil

→ Le sommeil voit alterner des phases dites « lentes » et « paradoxales ». Le système nerveux central (SNC) est activé pendant l’éveil et pendant le sommeil paradoxal (période des rêves). Le sommeil « lent » correspond au ralentissement du fonctionnement du SNC (diminution de la température corporelle et des métabolismes, reconstitution des réserves énergétiques).

→ L’alternance veille-sommeil, processus actif impliquant notamment le système réticulé activateur, est contrôlée par :

– le processus circadien (horloge biologique interne) synchronisé grâce à une hormone cérébrale, la mélatonine, dont le rythme de sécrétion dépend de facteurs génétiques (sujets dits « du soir » ou « du matin ») et de stimuli externes (luminosité, température, stimuli environnementaux divers, réplétion gastrique) ;

– le processus homéostasique : la propension au sommeil s’accroît pendant la journée, puis diminue au cours de la nuit. Le mécanisme à l’origine de ce processus reste mal connu.

→ Toutefois, schématiquement, l’éveil résulte de l’activité continue d’un réseau diffus de minuscules noyaux neuronaux répartis de l’hypothalamus au bulbe rachidien. L’information y est transmise par divers neuromédiateurs : acétylcholine, glutamate, sérotonine, dopamine, noradrénaline, histamine. Le sommeil survient lorsque ces neurones sont inhibés par l’action d’un système neuronal « anti-éveil » qui intervient avant l’épuisement de l’organisme, sous le contrôle de l’horloge biologique.

GLOSSAIRE

→  Parasomnie : manifestation accompagnant le sommeil et altérant sa qualité : somnambulisme, somniloquie, terreurs nocturnes, etc.

→ Syndrome des jambes sans repos : sensations tactiles impérieuses (« impatiences ») imposant un mouvement incontrôlable des jambes, empêchant le sommeil.

→ Apnée du sommeil : affection caractérisée par la survenue de pauses respiratoires nocturnes avec hypoxie et micro-réveils expliquant fatigue et somnolence diurnes. Ce trouble est souvent de nature obstructive (obésité) et peut avoir un retentissement cardio-vasculaire péjoratif.

→ Syndrome des mouvements périodiques : mouvements inconscients et rythmés entraînant des micro-réveils fréquents avec somnolence et fatigue diurnes. Il est souvent associé au syndrome des jambes sans repos.