Le trouble obsessionnel compulsif - L'Infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR…

Guillaume, âgé de 10  ans, se lave de plus en plus souvent les mains, en suivant un protocole long et très particulier. Ses parents doivent-ils s’en inquiéter ?

Les enfants ont souvent des petites manies qui disparaissent spontanément. Cependant, si le comportement de Guillaume lui prend beaucoup de temps et altère les relations intrafamiliales, une consultation chez un pédopsychiatre se révèlera utile pour tenter d’adopter une attitude appropriée.

Autrefois nommé « monomanie », « délire du toucher » ou « folie du doute », le trouble obsessionnel compulsif, souvent appelé TOC, est une maladie fréquente et invalidante. Occasionnant un retentissement important aux niveaux professionnel, relationnel et familial, le TOC entraîne souvent un isolement social et affectif et peut conduire à une dépression sévère.

Qu’est-ce qu’un TOC ?

Le trouble obsessionnel compulsif est décrit par une liste de critères diagnostiques, dont une gêne pour les activités habituelles et une perte de temps lorsque le trouble accapare la personne plus d’une heure par jour(1). Le TOC s’organise autour de l’obsession et de la compulsion et de deux symptômes communs à d’autres troubles anxieux, l’anxiété et l’évitement. L’anxiété se caractérise par un sentiment de crainte, d’appréhension et de mise en alerte. Elle est aggravée par les situations de stress et provisoirement calmée par la réalisation de rituels. L’évitement des situations déclenchant les obsessions est une autre stratégie mise en place pour lutter contre la maladie. L’invalidité vient du fait que le sujet, envahi par les obsessions et les rituels, ne peut plus travailler.

Comment décrire une obsession ?

C’est une pensée qui fait irruption de façon brutale et répétitive, incessante et douloureuse. L’obsession exprime un danger caractérisé par la crainte de provoquer un dommage ou un malheur si le sujet n’y prend pas garde. La personne concernée a conscience de cette pensée, qui peut être qualifiée d’absurde ou de déplacée. Les efforts fournis pour tenter de la repousser sont peu efficaces et épuisants. Il existe une multitude de thèmes obsédants, et deux patients ne présentent jamais les mêmes symptômes. Quatre thèmes principaux se dégagent : les obsessions de souillure ; d’erreur et de désordre ; les obsessions agressives ou de malheur ; et les obsessions de superstition. « Tout le monde a des obsessions, mais, dans le TOC, une fonction d’alarme s’est déréglée et conduit à l’exagération d’un phénomène normal », explique le Dr Alain Sauteraud, psychiatre. La majorité des patients souffrent de plusieurs types d’obsessions. Les thèmes varient chez un même patient au cours de sa vie.

Qu’est-ce qu’une compulsion ?

Appelée aussi rituel, la compulsion est un acte que la personne ne peut s’empêcher d’accomplir, le plus souvent contre sa volonté (« c’est plus fort que lui »). Pour tenter d’apaiser son angoisse, le sujet se sent obligé de réaliser une ou plusieurs séries d’actes stéréotypés, toujours les mêmes ou presque, dans le but de neutraliser ses idées obsédantes. Le lavage, la vérification et les conjurations sont trois grands thèmes parmi de nombreux autres. Les conjurations consistent, par exemple, à réciter dans un certain ordre des listes de mots ou de chiffres auxquelles la personne attribue une vertu magique. Toute distraction ou toute pensée interférant au cours du rituel l’oblige à reprendre depuis le début. Les patients présentent plusieurs thèmes de compulsion qui changent au cours de la maladie.

Comment se manifestent les troubles chez les enfants ?

Ils répondent aux mêmes critères diagnostiques que les adultes. C’est le critère de la durée consacrée au trouble qui doit inciter à consulter. « Tous les enfants ont des obsessions particulièrement fortes à certains âges, c’est lié au développement. De même que des rituels normaux, qui font partie de son développement psychomoteur », rappelle le Dr Alain Sauteraud. Les rituels du coucher sont les plus habituels chez les enfants de 2 à 5 ans, comme dormir avec la même peluche placée toujours au même endroit. Le fait de garder avec soi un tissu ou une peluche est lié à l’anxiété de séparation normale entre 8 mois et 6 ans. Plus tard, entre 7 et 10 ans, certains enfants répètent des petites phrases ou des chiffres « magiques », ou évitent de marcher sur des lignes sur le trottoir. « Ces conduites “magiques” disparaissent comme elles sont venues. On conseille d’en parler avec l’enfant et d’observer l’évolution. Dans la grande majorité des cas, ça passe tout seul », explique le médecin.

Comment la maladie évolue-t-elle ?

Le TOC est une maladie chronique. Le début peut être progressif, sur plusieurs mois ou plusieurs années, ou plus brutal, sur quelques semaines, notamment dans le TOC apparaissant après un accouchement. Non traité, le trouble peut être constant, ou fluctuant, avec des périodes d’atténuation ou de disparition provisoire des symptômes. Souvent, la prise de conscience du trouble se fait par étapes. Il peut être bien toléré au début. Des améliorations partielles laissent espérer une évolution positive, mais le trouble peut aussi s’aggraver sans causes associées et devenir insupportable. Les améliorations sont parfois liées à des événements favorables ou à des changements brefs du lieu de vie. Les aggravations surviennent lors d’une situation de stress, ou sont liées à la vie génitale des femmes. Ainsi, la moitié d’entre elles se plaignent d’une aggravation du TOC en période prémenstruelle, et, pour 20 %, lors d’une grossesse. La principale complication est la dépression majeure, retrouvée chez environ 50 % des personnes souffrant de TOC, et chez plus d’un quart des enfants concernés.

Quels sont les traitements ?

« L’enjeu du traitement est de réduire le plus possible les symptômes, avec le moins possible d’effets indésirables », précise le Dr Alain Sauteraud. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC), les anti-dépresseurs sérotoninergiques, ainsi que l’association des deux traitements (médicamenteux et psycho-thérapeutique) sont recommandés par la HAS. Chacun de ces traitements permet d’améliorer nettement l’état des deux tiers des patients et d’en guérir environ 20 %. « Au final, 80 % des patients prennent des médicaments, car la maladie guérit seulement dans 15 à 20 % des cas avec la psychothérapie », conclut le spécialiste. Les traitements combinant antidépresseurs et psychothérapie permettent d’alléger les exercices contre les troubles et de diminuer les dosages médicamenteux. « Les gens vont mieux avec moins de médicaments », remarque-t-il.

La psychochirurgie fonctionnelle, validée par la HAS, est réservée à des cas graves avec des indications précises(2). Elle consiste en la stimulation électrique profonde d’une zone cérébrale.

« Chez l’enfant, sauf forme grave (échec ou rupture scolaire, effondrement des résultats, mauvaise estime de soi ou avec des idées suicidaires), la psychothérapie est recommandée en première intention », indique le Dr Alain Sauteraud. Sachant que les TOC chez les enfants sont encore peu dépistés, « les psychiatres rencontrent plutôt des formes sévères, qui, souvent, nécessitent un traitement médicamenteux », ajoute-t-il.

Quels médicaments sont prescits ?

Les antidépresseurs inhibiteurs de recapture de la sérotonine sélectifs (IRS) sont préconisés en première intention. Si la réponse à ce traitement initial est insuffisante, un deuxième IRS est essayé, puis un troisième, qui est, dans ce cas, la clomipramine (Anafranil®). On parle de TOC résistant lorsque le trouble a résisté au moins à deux IRS et à une thérapie comportementale qui a duré au moins douze heures en séance. Dans ce cas, d’autres stratégies spécialisées sont utilisées, comme de faibles doses de neuroleptiques. En cas de comorbidité associée, la stratégie thérapeutique consiste à associer les IRS avec d’autres médicaments. La présence d’un autre trouble anxieux, trouble panique, par exemple, est traitée par des anxiolytiques de type benzodiazépines (Rivotril, Xanax…). Sachant que 10 % des malades souffrant d’un trouble bipolaire ont un TOC, lorsque ces troubles sont associés, un régulateur de l’humeur (Téralithe, Tégrétol, Dépakote…) sera préféré à l’IRS. Le patient doit accepter un traitement au long cours, voire à vie. C’est une étape à surmonter, les réticences face aux longs traitements psychotropes sont souvent importantes. En général, les personnes prennent leur traitement en fonction de l’intensité des troubles, alternant arrêt, reprise et diminution des doses.

Et la TCC ?

En France, la durée d’une séance avec le psycho-thérapeute est d’environ une demi-heure. Le patient met au point un exercice de psychothérapie comportementale. Il consiste en l’exposition progressive mais prolongée et répétée aux situations qui génèrent de l’anxiété sans faire de rituel ou en faisant moins de rituels que d’habitude. Le patient répète cet exercice jusqu’à une « habituation », c’est-à-dire la disparition de cette anxiété. Les obsessions s’atténuent aussi quand le patient se rend compte qu’en diminuant ou en cessant ses rituels, il ne se produit pas de malheur. L’« exposition avec prévention de la réponse » n’est possible que si le patient critique spontanément ses obsessions. Sinon, une analyse des activités répétitives doit chercher à identifier les croyances erronées qui déclenchent les obsessions. Lorsqu’elle doit se prolonger tout au long de la vie, la TCC prend la forme d’une « hygiène comportementale ». Elle consiste en de petits exercices qui aident le patient à s’autonomiser.

1- Diagnostical and Statistical Manuel of Mental Disorders, 4e édition (DSM-IV) ; Classification of Mental and Behavioural Disorders (CIM 10 ou ICD 10).

2- « Troubles obsessionnels compulsifs résistants : prise en charge et place de la neurochirurgie fonctionnelle », HAS, mai 2005.

OBSESSIONS ET COMPULSIONS

Principaux thèmes

→ Obsessions de souillure : les plus fréquentes. Ce sont les craintes de la saleté, de la contamination ou de la maladie. Le type de maladie est influencé par l’actualité.

→ Obsessions d’erreur et de désordre : deuxième type le plus fréquent. C’est la crainte d’avoir oublié de fermer le gaz ou la porte ; d’oublier ou d’avoir mal compris ; de jeter un objet par erreur…

→ Obsessions agressives. Il s’agit de la crainte d’agresser, de violer ou de tuer un être cher ; de la crainte de commettre un acte violent.

→ Obsessions de malheur et de superstition. Ce sont des superstitions liées aux chiffres, aux formes ou aux couleurs. Dans les obsessions religieuses, apparaît la crainte de provoquer le sort ou la colère de Dieu par des blasphèmes.

→ Thèmes fréquents de compulsions :

– le lavage des mains, du corps, des objets entrant dans la maison ou de la maison elle-même ;

– les vérifications de l’ouverture ou de la fermeture des portes ;

– les rituels d’ordre et d’équilibre, qui poussent à classer, ranger… ;

– les conjurations, aussi appelées rituels magiques ;

– les ruminations : dire des petites phrases, compter mentalement… ;

– les répétitions de gestes : se lever et s’asseoir plusieurs fois de suite…

Chiffres

→ Les TOC touchent environ 2 % de la population adulte.

→ C’est la 4e pathologie psychiatrique la plus fréquente après les troubles phobiques, les troubles liés aux toxiques (alcool et drogues) et les troubles dépressifs.

→ La 10e cause d’invalidité toutes pathologies confondues, selon l’OMS.

→ Les TOC représentent 2,2 % du handicap mental.

→ Le trouble débute généralement entre 3 et 18 ans, en moyenne à l’âge de 12 ans.

→ Seulement 10 % des enfants atteints consultent avant l’âge de 7 ans.

→ Les TOC touchent autant les hommes que les femmes.

SAVOIR PLUS

→ Aftoc l’Association française des personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs apporte un soutien aux malades et aux familles. www.aftoc.org

→ Livres - Je ne peux pas m’arrêter de laver, vérifier, compter. Mieux vivre avec un TOC, Dr Alain Sauteraud, Odile Jacob, 2e édition, 2002. Destiné aux personnes concernées et à leur famille, l’ouvrage intéressera également les infirmières qui veulent en savoir plus sur les traitements.

– Le trouble obsessionnel compulsif. Le manuel du thérapeute, Dr Alain Sauteraud, Odile Jacob, 2005. Une approche thérapeutique détaillée.

→ AFTCC L’Association française de thérapie comportementale et cognitive vise à promouvoir la pratique, l’enseignement et la recherche dans ce domaine. www.aftcc.org

TÉMOIGNAGE

« LEUR SENTIMENT DE HONTE DIMINUE »

MARIE-CARMEL DETOURNAY-HENTGEN

INFIRMIÈRE EN THÉRAPIE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE – UNITÉ DE JOUR DE L’HOPITAL TARNIER-COCHIN (AP-HP)

Urgences, soins palliatifs, Éducation nationale… C’est après avoir exploré diverses facettes du métier d’infirmière que Marie-Carmel Detournay-Hentgen, infirmière en unité de jour de l’hôpital Tarnier-Cochin à Paris, s’est tournée vers la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Avec deux autres infirmières également formées aux TCC, elles reçoivent chaque jour de la semaine des patients souffrant d’un trouble différent, tel l’anorexie-boulimie, les troubles de la personnalité ou les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). « Ce qui m’a le plus marquée quand j’ai rencontré des patients atteints de TOC, c’est leur sentiment de honte. Ils sont conscients du caractère irrationnel de leurs comportements même s’ils y adhèrent à 100 % », se souvient Marie-Carmel.

On estime à une dizaine d’années le temps qui sépare le début du trouble de la première consultation. Ils n’osent pas parler à leur médecin traitant de conduites qu’ils jugent eux-mêmes inadaptées. « Cette honte les enferme et les mène parfois vers la dépression. »

Les patients arrivent à l’hôpital de jour (HDJ) après deux ou trois consultations avec un psychiatre, lorsqu’ils ont évalué ensemble la faisabilité d’une thérapie de groupe. Le travail en groupe est un choix thérapeutique de l’HDJ. « En général, le groupe fonctionne avec un binôme psychiatre-infirmier ou psychologue-infirmier pour huit à dix patients », précise l’infirmière. « La rencontre avec des personnes qui vivent les mêmes difficultés fait rapidement diminuer le sentiment de honte et favorise la solidarité entre les patients. On part sur une année de thérapie à raison d’une journée complète par semaine. Des échelles d’évaluation apportent une vision assez objective de l’évolution de l’état du patient, confirmée par l’observation clinique », continue-t-elle. La sortie de la thérapie est organisée, avec la mise en place de rendez-vous progressivement espacés.

Le déjeuner pris en commun apporte énormément aux patients, mais « les infirmières ne participent aux repas thérapeutiques que lors des journées consacrées aux troubles alimentaires », commente l’infirmière. Marie-Carmel Detournay-Hentgen insiste sur « la position “basse” à adopter par le soignant, qui ne détient pas la vérité face à des patients experts de leur maladie ».