Un compagnon de soins - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Coordinateur du pôle d’éducation thérapeutique du réseau SHA (sida hépatites addictions), Rémy Pastor sillonne le Pays d’Aix. Son credo : aider ses patients à devenir acteurs de leurs soins et bannir les stéréotypes.

Affichant une allure décontractée, Rémy Pastor, infirmier, invite à la confidence : « Pour discuter des traitements et de la conduite à adopter face à la maladie, je me place à côté des patients ou de biais. Jamais en face-à-face. » Autour de son pouce droit, une bague sur laquelle on peut lire : « Love is when differences make no difference » (l’amour, c’est quand les différences n’ont aucune importance).

Ce n’est pas un hasard si ce quadragénaire au parcours « parfois chaotique » s’est établi à Marseille. La cité phocéenne le rapproche sans doute de ses racines, italiennes, espagnoles, algériennes…, lui qui se dit « français, chauvin et fier de l’être ». Passionné par la langue de Molière et par l’art de la diction, il admire Marguerite Yourcenar pour ses Mémoires d’Hadrien et son talent à s’être mise dans la peau d’un empereur. Une aptitude qu’il applique lui-même à sa pratique : « L’observation et la prise en compte de tout ce qui tourne autour de mes patients sont à la base de ma mission. » Une mission qui l’engage pleinement, que ce soit au sein du réseau SHA, quatre jours par semaine, ou à la clinique psychiatrique des Trois Lucs, douze nuits par mois.

Pour ce Bourguignon originaire de Louhans, petite ville rurale, l’appel des flots se fait sentir très tôt. À 17 ans, il intègre l’École des mousses, à Brest. « Je ne pensais pas à l’armée en tant que telle. Je voulais travailler dans les détections sous-marines, les sous-marins nucléaires. » Depuis, la devise de l’école militaire française de la Marine nationale, « Mousse soit toujours vaillant, loyal », reste la sienne, notamment lors de l’accompagnement des patients.

Après une année dans le Finistère, c’est le goût du soleil qui lui fait mettre le cap au sud, et intègrer l’École des infirmiers de la Marine de Toulon. Et s’occuper ensuite du suivi médical du personnel de la base, des pilotes, des plongeurs à Ajaccio. Une expérience inoubliable : « Je suis allé là où personne ne va, en haut des sémaphores corses, loin de toute civilisation, avec la mer à perte de vue et le silence. » Pourtant, à 22 ans, alors qu’il souhaite travailler à l’hôpital, il découvre que son diplôme n’est pas reconnu dans le civil : « Il fallait que je recommence tout, j’ai pris le taureau par les cornes. » Rien ne l’arrête. C’est à l’Ifsi du CHU de Montpellier qu’il reprend ses études. Pour payer ses cours, il travaille le soir, dans une boîte de nuit ou dans un restaurant. Ensuite, son diplôme en poche, il multiplie les expériences : gériatrie, psychiatrie, réanimation, chirurgie, médecine, soins intensifs…

Soins d’échange

Mais Rémy a soif d’autonomie. Et de liberté. À la trentaine, il change son fusil d’épaule et choisit de devenir infirmier libéral, en lien avec les hospitalisations à domicile du centre hospitalier du Pays d’Aix. « Je m’occupais des gens chez eux, d’une manière différente. Beaucoup de personnes atteintes du sida, en fin de vie. À l’hôpital, les patients hésitent à s’exprimer ; dans leur environnement, on voit comment ils vivent, avec qui, autant d’indications qui donnent une autre dimension au soin. » Son enthousiasme est à l’aune de ses ambitions : « J’ai toujours eu la chance de faire un métier difficile, certes, mais où il est possible d’évoluer, de partager, de faire autre chose. » Parallèlement, il devient bénévole au Réseau Santé Provence, dont l’objectif est la continuité des soins entre l’hôpital et la médecine de ville pour les patients atteints du VIH.

Et puis, c’est l’accident. Lors d’un séjour à l’étranger, il se blesse. À son retour, il ne peut plus exercer pendant près d’une année. Il en profite pour faire le point, réfléchir. « On m’a proposé de devenir infirmier salarié du réseau. Je connaissais les pathologies, le VIH, l’hépatite C, ainsi que les médecins du réseau et les patients. » Il perfectionne sa méthodologie de travail, se forme à l’éducation à la santé, à l’éducation thérapeutique, et apprend à mieux aborder le patient face à sa problématique. « Mon expérience en psychiatrie m’a beaucoup aidé. Il y a une humanité, une gentillesse et une complicité que je ne retrouve pas ailleurs. C’est un monde à part, qui n’est pas assez mis en valeur. » Il reste très attaché à cet univers et continue aujourd’hui à aider, à temps partiel, des personnes en souffrance psychique.

Une nouvelle vie

« Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » C’est à la lumière de cette citation de Benjamin Franklin que Rémy Pastor dirige et coordonne le pôle d’éducation thérapeutique du réseau SHA, issu de la fusion du réseau Santé Provence et du réseau Aix-Tox. Son objectif ? Améliorer la prise en charge globale d’une file active de 600 patients de la région d’Aix-en-Provence, infectés par le virus du VIH, souffrant d’hépatite C ou ayant des conduites addictives, en favorisant l’interdisciplinarité, la complémentarité et la continuité des soins. Il participe également à l’organisation d’actions de formation auprès de médecins, d’infirmières, de professionnels de santé.

« Pendant les consultations médicales, certaines informations ne sont pas bien comprises, ou mal interprétées. Pour éviter une mauvaise observance ou un échec thérapeutique, je propose une prise en charge individuelle, indispensable pour des traitements avec des effets secondaires assez lourds, en particulier pour des personnes souvent marginales, difficiles à aborder, et très fréquemment dans la précarité. Une approche fondée sur des composantes cognitives, comportementales, émotionnelles, sociales et sociétales. » Un accompagnement au cœur duquel la compréhension de la vie du patient est primordiale : conception du soin, vie affective et sexuelle, vie professionnelle, revenus, culture, histoire familiale, quotidien. Les consultations, aussi bien à l’hôpital qu’au réseau ou à domicile – chose rare en France – , reposent sur la méthode du « counseling »(1).

L’infirmier itinérant s’adresse à toute personne concernée par le VIH ou par une hépatite. Une population souvent précaire, avec un ou plusieurs handicaps associés, d’où le projet de transformer le réseau en Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés). « Je leur laisse mon numéro professionnel. Ils savent qu’ils peuvent m’appeler en cas d’urgence, et ça me permet d’être réactif. Il est parfois indispensable de régler un problème dans les heures qui suivent. » Ses patients ont entre 18 et 72 ans. Il leur apprend à comprendre leur pathologie, leur traitement, à faire certains soins eux-mêmes. Le réseau est basé sur la qualité des soins et la qualité de vie. « Ma mission est de rendre les patients autonomes dans leur prise en charge. Souvent, on m’envoie les gens que l’on n’arrive pas à gérer : les travailleurs de nuit, ceux qui cachent leur maladie à leur famille ou ceux qui n’ont pas de réfrigérateur pour garder au frais leurs traitements… Ce que je fais en une ou deux heures, un médecin, en effet, ne peut pas l’effectuer en vingt minutes de rendez-vous. »

Véritable relais pour les médecins traitants, qui s’impliquent en participant à des formations ou en devenant membres du réseau, il propose également des suivis par des psychologues ou des diététiciens, des sorties, des séances de shiatsu ou de yoga. « Le souffle et la posture sont essentiels pour lutter contre le stress et la maladie. La relaxation a un impact sur le traitement. D’ailleurs, le réseau a mis en place des séances d’aromathérapie et de réflexologie qui sont complémentaires dans le processus de soins. » Il n’en reste pas moins qu’il est fondamental de préparer le terrain, bien en amont, par des consultations préthérapeutiques, car les habitudes de vie changent avec le traitement. « Si l’on transmet au malade des compétences d’autosoins avec des priorités de sécurité, notamment, comme l’hygiène ou l’évacuation des déchets, si on le rassure et si on lui explique les effets secondaires, il devient acteur de ses soins. »

Son énergie, Rémy la puise dans ses voyages, notamment en Thaïlande, où il aime « la gentillesse des gens, leur culture, leur façon de vivre, qui n’est pas dans le paraître ». L’infirmier bienveillant porte un regard pragmatique et confiant sur la vie : « Les contes de fées, je n’y crois pas, mais j’aimerais bien que ça existe. Rien n’est impossible dans la vie. »

1– Pour en savoir plus sur le counseling, lire l’enquête de notre n° 237 (avril 2008).

MOMENTS CLÉS

1982 École des mousses à Brest.

1983 École des infirmiers de la Marine, à Toulon.

1992 Diplôme d’État d’infirmier à l’Ifsi du CHU de Montpellier.

De 1992 à 1999 Différents établissements de santé à Montpellier et à Marseille.

1998 Devient bénévole de Réseau Santé Provence.

De 1999 à 2007 Exerce en qualité d’infirmier libéral à Aix-en-Provence.

Depuis 2005 Clinique psychiatrique des Trois Lucs à Marseille.

Depuis 2007 Coordinateur du pôle d’éducation thérapeutique du réseau SHA à Aix-en-Provence (www.reseausha.com).