La quête des compétences - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

FORMATION CONTINUE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Laisser tomber aiguilles, compresses et comprimés pour retrouver les bancs de l’école… Quel intérêt ? Loin d’être un phénomène isolé, la formation professionnelle a séduit plus de 250 000 infirmières en 2010. Contre toute attente, elle est rarement entamée en vue d’une promotion.

On s’active. On fourmille. On fusionne… Le monde de la formation professionnelle connaît actuellement un véritable chambardement. Les organismes paritaires collecteurs agréés chargés de gérer les fonds dédiés à la formation continue – alias les Opca – se préparent, en effet, à une réforme prévue pour 2012. D’ici à la fin de l’année, sur les quelque 100 structures existantes, il n’en restera plus qu’une quinzaine(1). Annoncée comme une révolution, cette loi relative à « la formation professionnelle tout au long de la vie » tiendra-t-elle ses promesses ? Est-il désormais possible d’améliorer ses connaissances à n’importe quel moment de sa carrière ? Difficile, pour l’heure, d’en juger. Cela dit, en ce qui concerne les infirmières, des nouveautés se dessinent déjà à l’horizon.

Dans le privé, un chamboulement s’est, ainsi, amorcé. Notons, par exemple, la création du « droit à l’orientation », permettant à tout salarié de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle, ou encore les 20 heures annuelles de DIF, désormais reportables, y compris en cas de rupture du contrat de travail.

Dans le secteur public aussi, les IDE ont pu goûter au changement depuis la mise en place du décret du 21 août 2008. Ces nouveaux principes ont suscité l’instauration du droit individuel à la formation (DIF), réservé auparavant au privé, la création de périodes de professionnalisation ou encore l’introduction de la formation « hors temps de travail » (HTT). Pour sa part, Sud Solidaires relativise la portée de ces évolutions. « Cette nouvelle législation complique les différents dispositifs d’accès à la formation, commente le syndicat dans une brochure ad hoc. Mais cela n’introduit pas de droit supplémentaire, si ce n’est hors temps de travail et, de toutes façons, soumis à l’approbation de votre directeur. »

Le plan de formation, une voie tracée

Malgré le remue-ménage ambiant, plusieurs fondamentaux demeurent, à commencer par le plan de formation. Ce document obligatoire liste les cursus ouverts aux salariés d’une entreprise donnée. Il détaille les actions collectives et individuelles financées par l’employeur. Pas étonnant si Pierre-Marie Lasbleis, chef du service Études et prospective à Unifaf, constate que « l’immense majorité des stagiaires le sont dans le cadre du plan ». D’autant que certaines de ces formations peuvent être imposées aux salariés. C’est notamment le cas d’un programme expérimental créé sur mesure pour les nouvelles recrues des Instituts Curie (à Paris) et Paoli-Calmette (à Marseille). « Ce dispositif d’intégration est systématique, explique Isabelle de Chérancé, responsable enseignement et formation à l’IPC. Pour éviter le fort turnover de la cancérologie, nous avons mis en place une formation théorique de quinze jours – trois semaines pour les jeunes diplômées. S’ajoute à cela un tutorat d’un mois dans un petit secteur. Au bout de cette période, un entretien d’évaluation est réalisé. En fonction des conclusions, l’infirmière se voit alors confier un secteur entier ou une partie seulement. »

Quel que soit le lieu d’exercice professionnel, la démarche de l’IDE désireuse d’accroître ses connaissances reste la même. Le plan apparaît comme la première référence en matière de formation continue. Élaboré par l’employeur, il répond essentiellement aux priorités de ce dernier. Les desiderata du personnel sont pris en compte dès lors qu’ils coïncident avec les besoins de compétences de l’entreprise. « À l’occasion de l’entretien annuel d’évaluation, l’agent peut exprimer ses souhaits, précise Emmanuelle Quillet, directrice générale de l’ANFH. Puis, le cadre présente les besoins du service ou du pôle, base sur laquelle se construit le plan de formation. » Si, dans le catalogue proposé par son employeur, l’infirmière ne trouve pas son bonheur, elle peut recourir à un autre dispositif. Les différents Opca(2) en proposent une large palette, et chacun est associé à un financement particulier. Outre la validation des acquis de l’expérience (VAE) et le bilan de compétences, il existe aussi le droit individuel à la formation (DIF), le contrat ou la période de professionnalisation, les études promotionnelles (spécifiques au public), le congé individuel de formation (CIF) ou encore le congé de formation professionnelle (CFP, lire encadré p. 30).

Des dispositifs adaptés

Toutes ces possibilités varient en fonction du projet visé. Elles dépendent notamment de l’objectif, de la durée de la formation souhaitée et, surtout, du secteur dans lequel est classé l’établissement employeur, à savoir la fonction publique hospitalière, le privé non lucratif ou le privé à statut commercial. Ainsi, par exemple, pour obtenir un DIF, une hospitalière du secteur public adresse sa requête à son employeur, qui doit lui répondre sous deux mois. Sans réponse, la demande est considérée comme acceptée. Après deux refus consécutifs, l’agent a la possibilité d’adresser directement sa demande à l’ANFH. Si elle est acceptée, l’ANFH finance la formation et demande le remboursement à l’établissement. Une infirmière du privé non lucratif suivra la même procédure, mais devra se tourner, le cas échéant, vers Unifaf. Toujours dans le cas d’un DIF qui serait préalablement refusé par sa hiérarchie, une salariée issue d’un établissement privé à statut commercial sera, pour sa part, orientée vers l’antenne régionale du Fongecif(3). À chaque besoin correspond donc un dispositif précis. « Les infirmières (du secteur public) qui cherchent à devenir cadres bénéficient du fonds mutualisé d’études promotionnelles », commente, ainsi, Emmanuelle Quillet. Dans le secteur privé non lucratif, en revanche, cela relèvera plus d’un CIF… D’où l’importance de définir avec précision son projet de carrière.

Mieux vaut y réfléchir sérieusement. D’autant qu’en matière d’études supérieures, l’offre de formation semble en pleine croissance. En témoignent les multiples diplômes universitaires (DU) et autres filières du genre qui se développent parallèlement aux formations classiques que sont celles de cadre de santé, Iade et Ibode. « Sur 500 formations diplômantes financées en 2010 par Unifaf, 200 l’étaient pour un DU », souligne Pierre-Marie Lasbleis. Le plus large budget reste néanmoins utilisé pour les formations courtes. Ces dernières présentent des méthodologies très diverses. « Cela peut se faire par différents moyens, juge Isabelle de Chérancé. Il existe des cours en face-à-face, mais aussi de stages dans un autre établissement ou bien du e-learning. » Les colloques offrent également l’occasion de développer ses connaissances et, de ce fait, méritent un financement direct par l’Opca ou dans le cadre du plan de formation. « Nous acceptons ce type de demandes en fonction de certains critères, précise Pierre-Marie Lasbleis. Les congrès statutaires, comme les assemblées générales d’associations de professionnels, en sont exclus. »

Tendances actuelles

Selon les secteurs d’activité, les requêtes diffèrent fortement. Ainsi, en 2010, dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif, les infirmières se sont peu souvent tournées vers les sessions techniques. Dans le cadre des formations diplômantes, elles se sont intéressées aux thématiques liées à l’hygiène, aux soins palliatifs, à la prise en charge de la douleur et à la réanimation. Les autres ont, quant à elles, opté pour les cursus consacrés au relationnel. Dans le secteur hospitalier, en revanche, la tendance principale a porté sur la prise en charge des personnes âgées, ainsi que sur les soins aux brûlés. Peut-on en conclure que les infirmières ont moins besoin de formations techniques ? Pas sûr… On peut aussi penser que la formation continue offre une échappatoire à un quotidien parfois morose. « Pour beaucoup, ces périodes permettent de changer d’air », confie Dominique Lemoine, infirmière anesthésiste à Marseille. Par ailleurs, les sessions de formation peuvent permettre aux professionnelles de repenser leurs pratiques. En atteste Manuel Fréchin, clown professionnel, qui intervient, notamment, auprès d’infirmières : « Pendant mes cours, mes stagiaires travaillent le rapport avec leur propre corps, indique ce dernier. Elles peuvent aussi y puiser des idées pour monter des ateliers en retournant dans leurs services. » D’autres encore choisiront une tout autre voie… « Une de nos infirmières a suivi un CAP de chocolaterie », s’amuse Isabelle de Chérancé. Une formation qui n’a évidemment pas pu être prise en charge dans le cadre du plan de formation, mais plutôt via le congé de formation professionnelle.

Transfert de compétences

Reste à savoir si ces opportunités d’évasion ont encore de beaux jours devant elles… « Vu la pénurie actuelle, les infirmières sont de moins en moins libérables », lâche une infirmière blasée. Avant d’ajouter : « Les journées sont si longues que certaines se contentent de faire leurs heures et de rentrer chez elles… »

Ce ne sont pourtant pas les perspectives de carrière qui poussent les IDE à développer leur champ de compétences en dehors des sentiers battus. Comme le révèle une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)(4), « les salaires évoluent très lentement, et seules les spécialisations et les évolutions de carrière (changements de poste, promotions…) peuvent permettre aux infirmières de percevoir un revenu plus élevé ». D’après les chiffres communiqués par les Opca, l’âge moyen des infirmières de la branche du sanitaire non lucratif partant en formation avoisine l’âge moyen de la profession, à savoir environ 43 ans. À noter, toutefois, que les stagiaires les plus jeunes (41 ans) suivent une formation diplômante. Peut-être en vue d’acquérir une spécialisation ?

Dans cette vaste équation, il reste une inconnue : le rôle de la formation continue face au glissement des tâches qui se propage dans les services. Préconisé dans le rapport Berland (2006), le transfert de compétences, notamment entre médecins et infirmières, se développe à travers bon nombre d’expérimentations. Dernière initiative en date, le protocole de coopération entre professionnels de santé signé en juillet dernier par l’Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Institut Paoli-Calmette, relatif à la réalisation de myélogrammes. Présenté comme une valorisation des pratiques des cinq IDE concernées, cet accord prévoit non seulement une rémunération supplémentaire mais aussi et surtout une formation spécifique. Et si l’avenir était là ?

1– Réforme liée à la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie du 24 novembre 2009. La fonction publique hospitalière, en revanche, est assujettie au décret n° 2008-824 du 21 août 2008 et à la circulaire DHOS du 22 juin 2009.

2– Les principaux Opca du monde de la santé sont l’ANFH (public), Unifaf (privé non lucartif) et Formahp (privé commercial), lequel sera remplacé, à partir de janvier 2012, par l’Opca PL .

3– Pour plus de détails sur les procédures à suivre en fonction des dispositifs, lire notre article intituler « Financer sa formation continue », archivé sur le site www.espaceinfirmier.com

4– «  Études et résultats ? », n° 393, avril 2005.

Distinguer CIF et CFP

Si le privé et le public proposent des dispositifs de formation presque identiques, il convient cependant de distinguer le congé individuel de formation (CIF), propre au secteur privé, et le congé de formation professionnelle (CFP), spécifique à la fonction publique. Les règles de ces deux dispositifs diffèrent quelque peu.

→ Le CIF, dont le sigle semble répandu dans le langage courant, est ouvert au salarié ayant un an d’ancienneté dans l’entreprise. Concernant la rémunération octroyée au stagiaire, Unifaf indique reverser, pour sa part, la totalité du salaire à l’employeur si le montant « est inférieur ou égal à deux fois le Smic et 80 % si le salaire est supérieur à deux fois le Smic ».

→ Le CFP, lui, s’adresse au fonctionnaire justifiant de trois ans de service. Celui-ci doit, en retour, s’engager à ne pas quitter le public pendant une période égale au triple de la durée de son congé de formation. Le montant de son indemnité mensuelle s’élève à 85 % du salaire indiciaire brut. Elle est versée par l’employeur, qui se fait rembourser par l’ANFH. Seuls les agents de catégorie C bénéficient d’un taux à 100 % durant la première année.

À SAVOIR

D’après l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), près de 240 000 IDE sur les 400 000 du secteur public ont suivi une formation en 2010, soit 8 millions d’heures. Un agent sur deux en a donc bénéficié.

La branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif présente la même proportion. Selon Unifaf, les professionnelles de ce secteur ont suivi 27 000 actions de formation l’année dernière.