L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

BONNES PRATIQUES

DOSSIER

La sécurisation du circuit du médicament, qu’il soit ou non informatisé, repose avant tout sur des qualités humaines.

Les armoires sécurisées le montrent bien : « Les outils sont là pour nous aider, pas pour faire à notre place », synthétise Brigitte Sabatier, pharmacienne. « La vigilance de tous reste l’agent majeur de la sécurisation du circuit du médicament », confirment les académies de pharmacie et de médecine dans leur rapport sur le sujet. Concentration, attention, rigueur : ces qualités humaines prévalent, quels que soient les dispositifs techniques et leur sophistication.

La prescription, par exemple, ne semble pas toujours conforme au code de la santé publique. Elle doit notamment, « sauf urgence », être « écrite, qualitative et quantitative, datée et signée » (article R. 4311-7). « Certaines erreurs étant dues à la méconnaissance par l’infirmier et le pharmacien du délai (ou de l’urgence) à observer entre prescription et administration », l’Igas, dans son rapport sur le circuit du médicament à l’AP-HP, estime qu’il « serait très utile (…) que le prescripteur précise ce qui doit être administré immédiatement au patient ». « Le médecin ne doit pas prescrire en se disant : “l’infirmière se débrouillera comme elle peut”, en devinant d’elle-même le volume ou le solvant à utiliser… Il doit tout prescrire, même les traitements dits personnels », résume Philippe Arnaud, pharmacien à l’AP-HP. Prescrire lisiblement et clairement – avec, notamment, la posologie, le mode d’administration et, s’il s’agit d’une préparation, la formule détaillée(1) – fait gagner du temps au médecin lui-même, puisqu’il est moins dérangé pour préciser l’ordonnance… L’infirmière doit en effet exiger de lui « un complément d’information » chaque fois qu’elle le juge utile (R. 4312-29). Au moment de l’administration, elle est aussi chargée de « vérifier l’absence de contre-indications de certaines pratiques », à l’image du broyage de comprimés, comme le soulignait la HAS en 2005. Contre les risques infectieux, le Cclin Sud-Ouest conseille, entre autres, de ne pas reconstituer les médicaments « sur un chariot, dans le couloir de circulation, devant la chambre du patient ». Le moment et l’espace de la préparation devraient, en effet, être protégés de toute perturbation.

Points sensibles

Ensuite, « toute administratioin de médicaments est enregistrée » ; prescripteur et pharmacien sont informés en cas de non-administration d’un médicament(1). C’est un point sensible : le traitement peut ne pas être donné au patient, en raison de son refus, d’une incompréhension… Ou encore en raison d’une rupture de stock, de vomissements ou de somnolence – à l’hôpital local de Sartène (Corse-du-Sud), par exemple, les soignants doivent le préciser sur une fiche semi-informatisée(2). En fin de compte, « ne peuvent bénéficier d’une validation certaine de l’administration per os que les patients impotents, incapables, désorientés, séniles ou autres, c’est-à-dire ceux qui constituent la surcharge de travail habituel du personnel infirmier », relèvent les académies de médecine et de pharmacie. La surveillance ultérieure des effets du médicament, dans le cadre de la pharmacovigilance, s’avère également cruciale.

Nouveaux rôles

Pratiques et rôles pourraient évoluer, éventuellement en raison des nouvelles technologies. Par exemple avec un recentrage de l’activité de chaque professionnel sur son métier. Ainsi, il arrive que l’infirmière ne prépare plus des médicaments si un automate s’en charge… « Le personnel de pharmacie (…) doit pénétrer les tâches encore trop souvent laissées au personnel infirmier, préconisent les académies de médecine et de pharmacie. La préparation du médicament à administrer est de sa seule compétence. » Dans son rapport sur l’AP-HP, l’Igas prône la sortie du pharmacien hors de sa pharmacie, pour conseiller les autres professionnels. Elle espère aussi une augmentation du volume des ordonnances validées par la pharmacie : pourtant obligatoire, cette étape ne peut être réalisée en totalité. Logiquement, il faudrait augmenter le nombre de pharmaciens – d’au moins une centaine d’équivalents temps plein à l’AP-HP. Et l’IDE ? « Interface principale entre le monde de l’hôpital et le patient », elle se retrouverait au cœur du circuit du médicament si celui-ci était analysé à partir du patient.

La sécurisation du circuit du médicament passe aussi par la formation et l’information. Notamment en termes de connaissance des patients (en partageant les informations à leur sujet) et des médicaments, dont la complexité s’accroît. Une table de correspondance, affichée clairement, peut ainsi permettre aux infirmières de se repérer entre les différents noms d’un même produit quand elles vont se servir au stock en l’absence des pharmaciens, de nuit ou en urgence. « Une formation interne aux calculs de doses et dilutions pour toutes les infirmières, afin d’éviter les erreurs de dose, qui constituent un problème relativement fréquent », peut aussi être judicieusement organisée(3). Des protocoles peuvent également être institués pour éclaircir les pratiques. Ainsi, selon une étude d’impact du ministère de 2009, « la préparation des médicaments injectables (hors chimiothérapie) est trop rarement protocolisée dans les unités de soins ». François Bérard, de la HAS, constate, pour sa part, « à la lecture des rapports de certification [des établissements], une amélioration significative au fil des ans : les protocoles concernant le circuit du médicament se sont développés ». Une chose est sûre : il faut s’assurer que ces protocoles sont réellement appliqués, pas juste répertoriés « dans un classeur rangé dans l’armoire d’un bureau… ». Plus généralement, « un catalogue d’indicateurs seuls ne sert à rien : il faut les produire, les analyser », indique Ludovic de Gaillande, responsable qualité à l’hôpital local de Sartène.

Culture positive de l’erreur

Les rôles des professionnels pourraient changer, mais aussi leurs relations. Développer la communication, de préférence orale, est un objectif. Philippe Arnaud s’en félicite : à l’hôpital Bichat, une antenne de pharmacie s’est installée à chaque étage, facilitant la présence pharmaceutique dans les services pour la dispensation. « Les infirmières nous sollicitent aussi pour des questions “mécaniques” (un problème de bouchon qui se perce mal, des particules de bouchon dans un flacon, le choix de la vitesse de perfusion…) ou plus médicales : que faire si le patient frissonne ? La posologie ne serait-elle pas anormale ? À l’hôpital, les posologies ne sont pas toujours standards. » Autre activité collective : la culture positive des erreurs, à signaler plus systématiquement pour effectuer un retour d’expérience. La peur d’être puni ou la honte de l’échec priment souvent… Disposer, dans l’établissement, d’une personne référente et d’une stratégie globale est également recommandé(4). Tous ces conseils peuvent se heurter au manque de personnel et de temps, et aux routines. Marie-Dominique Biard, de la Coordination nationale infirmière, constate ainsi « des habitudes de service : on se dit que ça fonctionne bien comme ça, on a appris comme ça. Or, ce n’est pas la bonne méthode ». Il s’agit alors d’en changer, pour éviter que le circuit du médicament ne connaisse… le court-circuit.

1– Arrêté du 6 avril 2011.

2– Cette fiche décrite dans le n° 154 d’Objectif soins (mars 2007) s’est enrichie d’informations sur la forme galénique du médicament, son mode d’administration ou le régime du patient.

3– Objectif soins, janvier 2009.

4– L’analyse des erreurs ou dysfonctionnements et la désignation d’un « responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse » figurent dans l’arrêté du 6 avril 2011.

BIBLIOGRAPHIE

www.sante.gouv.fr

→ Étude Eneis : « Les événements indésirables graves associés aux soins observés dans les établissements de santé. Résutats des enquêtes nationales menées en 2009 et 2004 », Drees, Dossiers solidarité et santé, n° 17, 2010.

→ Une étude d’impact à partir de 1 529 établissements disposant d’une pharmacie à usage intérieur, oct. 2009. Taper « sécurisation du circuit ».

→ « L’informatisation du circuit du médicament dans les établissements de santé. Approche par l’analyse de la valeur. Quels projets pour quels objectifs ? », ministère délégué à la Santé, mai 2001.

www.has-sante.fr

→ Une note de cadrage d’avril 2010. Rechercher « administration des médicaments ».

www.ladocumentationfrancaise.fr

→ « Sécurisation du circuit du médicament à l’AP-HP », Igas, rapport 2010.

www.anap.fr

→ « Organisation du circuit du médicament dans les hôpitaux et cliniques », Meah, rapport 2006. Rechercher « circuit du médicament ».

www.acadpharm.org

→ La sécurisation du circuit vue en 2009 par les académies nationales de médecine et de pharmacie, avec un témoignage de Roselyne Vasseur. À lire dans « Publications », puis « Rapports d’études ».

www.cclin-sudouest.com

→ Dans la partie « Documentation » puis « Recommandations » : « Préparation et administration des médicaments dans les unités de soins ».

www.legifrance.gouv.fr

→ Arrêté du 6 avril 2011 : http://bit.ly/ls5zVd.