Le coup de main des machines - L'Infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

ÉQUIPEMENTS

DOSSIER

Informatisation et automatisation se développent et consolident le circuit du médicament. Pour autant, cela ne garantit pas le risque zéro.

Le circuit du médicament n’est pas informatisé partout. Mais études et rapports incitent à la « dématérialisation », c’est-à-dire à se passer de papier, en vantant le gain de temps et de sécurité. Même appel à informatiser dans l’arrêté du 6 avril dernier (voir bibliographie p. 21). Utilisable au plus près du patient, en particulier grâce aux ordinateurs portables, l’informatique offre notamment aux prescripteurs, une aide pour vérifier les interactions ; aux pharmaciens, un outil de suivi pharmaco-économique et de gestion des stocks ; aux infirmières, la solution pour éviter les retranscriptions (sources de nombreuses erreurs et interdites, noir sur blanc, dans l’arrêté du 6 avril) et la possibilité de disposer d’un plan d’administration… Une autre de ses vertus est de donner la possibilité d’examiner facilement l’historique des soins et des antécédents. L’idéal est de recourir à un logiciel partagé, un dossier unique, que tous les professionnels peuvent consulter et renseigner. « L’informatisation est la meilleure des choses, confirme le professeur Philippe Arnaud, pharmacien à l’AP-HP. Mais aussi la pire. Par exemple, on a vite fait d’écrire 10 au lieu de 1 ou de 0,1. » Lors de la prescription, le médecin peut cocher par mégarde un mauvais item dans un menu déroulant(1). L’informatique est coûteuse et complexe (en raison des divers métiers impliqués, du niveau de sécurité exigé ou encore du parcours évolutif du patient, comme le glisse l’Igas dans son rapport sur l’AP-HP) et nécessite un temps d’apprentissage, voire d’acceptation.

« Effets pervers »

Des erreurs persistent en dépit de son installation, selon Véronique Vialle, pharmacienne assistante au centre hospitalier de Calais. Lors de son étude, la moitié des infirmières ont confié retranscrire l’ordonnance sur un autre support que l’informatique. Et, avant l’administration, les IDE ne consultent pas « le support prévu par l’éditeur du logiciel »(2). « La retranscription est une habitude “culturelle” dont les infirmières ont du mal à se détacher, précise, entre autres, Véronique Vialle. La traçabilité informatisée de certaines administrations (pousse-seringue électrique, perfusions) est difficile à réaliser sur le logiciel. Son ergonomie et son intuitivité ne sont pas optimales. » Comme le soulignent les académies de médecine et de pharmacie, l’informatique a même des « effets pervers » : son usage est susceptible de limiter les relations entre infirmières et médecins ou de multiplier des alertes non pertinentes contre des traitements prescrits.

Automates et code-barres

D’autres moyens matériels peuvent consolider le circuit du médicament. À la source, les laboratoires pharmaceutiques pourraient accroître le nombre de médicaments en doses unitaires et prêtes à l’emploi. Cette préparation en amont éviterait un coûteux reconditionnement à l’hôpital et diminuerait le risque de perte d’informations, provoqué, par exemple, par le découpage des blisters aux ciseaux par les infirmières. Pour préparer certains médicaments, des pharmacies, encore peu nombreuses, se dotent d’automates dont le taux d’erreur, selon Philippe Arnaud, est « infinitésimal » (lire aussi l’interview page 17). Plus en aval, les infirmières peuvent s’enquérir de la bonne administration en scannant le code-barres du médicament et en vérifiant sa conformité avec l’identité du patient, qui peut porter un bracelet avec un code-barres. « Une révolution », commente Philippe Arnaud, mais qui mettra, selon lui, du temps à se diffuser. Le système de code-barres supprime toute erreur liée à la retranscription(3). Même si, là encore, des risques sont induits, comme de « nombreuses ruptures de coordination entre infirmières et médecins » ou une plus grande difficulté à gérer des situations sortant de la routine(4). À noter : les bracelets ne peuvent pas toujours être scannés (quand le patient est endormi, etc.).

Certains médicaments posent des problèmes spécifiques. Ainsi, à l’AP-HP, « certaines poches [anticancéreuses] sont encore produites dans les services eux-mêmes […], par des infirmiers et non par des préparateurs en pharmacie, en contradiction avec la réglementation », relevait l’Igas en 2010. Fin 2012, 350 000 poches, contre 100 000 en 2005, devraient être produites de façon centralisée dans l’ensemble des établissements, selon les syndicats de l’AP-HP. En HAD, le sujet est particulièrement sensible (lire l’article p. 6). D’autres outils se trouvent au cœur des réflexions sur la sécurisation du circuit du médicament : les chariots et les armoires. Ces dernières permettent aux IDE « un accès aisé et rapide, à proximité, de jour comme de nuit, à la palette complète des médicaments », selon l’Igas, qui déplore cependant « une faille de sécurité : le contrôle […] entre ce qui a été prescrit et ce qui est administré est aujourd’hui uniquement lié à la vigilance de l’infirmier ». D’autres types d’armoires facilitent la maîtrise des stocks : les armoires « plein-vide » et les armoires automatisées (ou sécurisées), d’un coût moyen de 25 000 euros par unité (dix fois plus qu’une armoire traditionnelle, selon une étude d’impact dans des établissements publiée en 2009 par le ministère). Elles présentent l’avantage d’enregistrer la prise de médicaments, de faciliter la gestion des stupéfiants et antalgiques, et d’aider à la collecte des médicaments par une gestion à double entrée (spécialités/DCI) et par des diodes qui indiquent le bon tiroir puis l’emplacement exact du médicament choisi. Mais elles sont « encore trop peu diffusées en France par rapport au Portugal et à l’Espagne », explique Brigitte Sabatier, pharmacienne à l’Hôpital européen Georges-Pompidou(5).

De l’automate au code-barres, la technologie sécuriserait-elle intégralement le dispositif ? Difficile d’en juger. La machine est faillible, d’abord parce qu’elle est utilisée… par l’homme. Surtout, elle ne peut pas tout, incapable de s’assurer de la bonne prise d’un médicament, ou de faire preuve d’empathie. Il faut aussi améliorer les pratiques humaines…

1– Le Moniteur hospitalier, janvier 2011.

2– Rechercher « Vialle » sur www.has-sante.fr

3– « Effect of Bar-Code Technology on the Safety of Medication Administration », The New England Journal of Medicine, mai 2010.

4– « Improving Patient Safety by Identifying Side Effects from Introducing Bar Coding in Medication Administration », Journal of the American Medical Informatics Association, septembre-octobre 2002.

5– Dans le service du professeur Patrice Prognon.

PRODUITS

Améliorer la présentation

Le médicament peut lui-même présenter un risque. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a fait état de « confusions ou de risques de confusion entre les spécialités conditionnées sous forme d’ampoules de solution injectable, mais aussi entre des comprimés ». Un trouble augmenté par les différents noms de chaque médicament : sa spécialité princeps, sa dénomination commune internationale (DCI) et les appellations (parfois proches) de son ou ses génériques. Comme le notent certains, les infirmières doivent être « trilingues »… Le changement fréquent des médicaments complique la donne. « Il faut multiplier les “détrompeurs” », dit Philippe Arnaud, pharmacien, en diversifiant tailles, formes, graphismes, caractères… L’Afssaps, dotée d’un « guichet des erreurs médicamenteuses », a mis à disposition des étiquetages harmonisés pour les solutions injectables contenant de l’adrénaline, de l’atropine, de l’éphédrine ou du chlorure de potassium, et harmonisé l’étiquetage d’une quarantaine de médicaments injectables.