Christine Abad, cadre en psychiatrie à Montperrin - Objectif Soins & Management n° 239 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 239 du 01/10/2015

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Travailler en équipe, savoir prendre de la distance par rapport à ses propres émotions et à sa pratique, l’exercice en psychiatrie exige un regard pluriel sur les malades. Un secteur où l’arrivée d’infirmiers en pratiques avancées pourrait bien mettre de l’huile dans les rouages.

OS&M : Vous vous êtes intéressée à la psychiatrie presque par hasard…

Christine Abad : En effet. Le secteur sanitaire et social m’attirait et je voulais bénéficier d’une autonomie rapide. J’avais un bac de secrétaire médicale mais aucune envie d’exercer cette profession. Comme j’ai réussi le concours d’entrée à l’école d’infirmière psy, je n’ai pas hésité, d’autant que nous étions rémunérés durant les études. L’exercice en psychiatrie demande un long apprentissage, non seulement théorique mais aussi basé sur la rencontre avec les patients, les familles, le partage conceptuel avec les autres professionnels amenant à une maturation personnelle ; quelquefois il faut savoir se taire, savoir se poser, savoir observer et savoir accepter, savoir être attentif. L’infirmière, par un geste ou une parole, peut déclencher chez l’autre une réaction inattendue.

OS&M : Les structures psychiatriques sont nombreuses, en avez-vous découvert beaucoup ?

Christine Abad : Dès que j’ai eu mon diplôme, j’ai multiplié les expériences. Unité intra-hospitalière au début suivi d’une pratique plutôt tournée sur la ville et le secteur en exerçant au sein d’un CATTP (Centre d’activités thérapeutiques à temps partiel). J’y avais déjà fait des stages et l’idée de travailler au sein d’un lieu social, ouvert sur la ville, favorisant la déstigmatisation de la maladie mentale, me plaisait, avec tout ce que cela comprend de relation de groupe, de partage des expériences. Il y est donné aux patients la possibilité de parler d’eux-mêmes à partir d’activités organisées par le centre. C’est très riche. En plus d’organiser la venue d’intervenants extérieurs comme des artistes ou d’aller vers eux, par exemple, nous mettions en place des activités thérapeutiques autour du quotidien. Un simple repas peut aider les patients à se remobiliser, à gérer un budget, à réapprendre à partager. Cela joue aussi sur l’estime de soi : préparer un repas pour les autres et le leur offrir.

OS&M : Par la suite, au sein d’un CMP, c’est encore à un autre type de pratique que vous êtes convoquée…

Christine Abad : Dans les centres médico-psychologiques, On est plus dans la relation individuelle. C’est un peu la porte d’entrée du soin en psychiatrie, inscrit dans la pluridisciplinarité. Accueil, évaluations et suivis individuels à la demande des médecins en sont le quotidien des soignants. S’y ajoutent des visites à domicile pour évaluer le niveau d’autonomie des personnes, leur appropriation du lieu de vie ou leurs relations avec le reste de la famille. Il nous arrivait également de les accompagner dans des démarches administratives ou même de sortir faire des courses avec eux. C’est un véritable suivi dans la vie quotidienne.

OS&M : Le travail en équipe est-il essentiel dans ce secteur ?

Christine Abad : Le travail en psychiatrie est totalement basé sur la notion d’équipe. Du partage, du retour, du questionnement sur sa propre pratique, un regard sur la pratique de l’autre… La vision de la personne malade est toujours plurielle. Les patients ne livrent pas la même chose à tous. Ensemble, on est plus efficace pour déterminer les actions à mettre en place. Je l’avais déjà expérimenté mais, lors de mon retour au CATTP, en 1998, cela m’a encore été confirmé. Mon rôle, cette-fois, était d’intervenir dans le cadre de la création d’un appartement thérapeutique lié aux projets de l’ouverture de l’hôpital sur la cité, ou plutôt de trouver des alternatives à l’hospitalisation. Cela permet aux personnes soignées de reprendre les habitudes de tout un chacun tout en étant accompagnées par une équipe expérimentée et attentive. Tous les intervenants du secteur psy y participent, médecins, infirmiers et psychologues. Un véritable projet de vie est élaboré avec et pour chacun des patients durant les quelques mois de leur passage dans cet appartement.

OS&M : Puis, vous avez décidé de devenir cadre…

Christine Abad : Lors d’un entretien annuel, on m’a questionné sur mon projet professionnel. L’idée a fait son chemin pendant un an, puis j’ai décidé de passer le concours. La formation m’a beaucoup intéressée. Pour mon sujet de mémoire, j’ai choisi le thème de l’autonomie dans le travail, une capacité particulièrement essentielle en psychiatrie : trouver des éléments fédérateurs, travailler en coopération…

OS&M : Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la question des pratiques avancées en psychiatrie ?

Christine Abad : Au sein de la Coordination nationale infirmière à laquelle j’appartiens, cela fait de nombreuses années que nous nous intéressons au sujet. Le débat est encore vif, dans notre secteur, entre l’option d’une spécialisation et celle des pratiques avancées. On travaille sur les deux registres. La question est : faut il une spécialisation en psychiatrie pour y exercer ? J’ai tendance à penser que oui, mais je crois que c’est un vœu pieux. Cela dit, ce qui serait vraiment intéressant avec les pratiques avancées, ce serait de permettre à des IDE ayant déjà des années d’expérience de continuer d’évoluer dans leur carrière. À l’heure actuelle, la seule option est de devenir cadre, or certains n’en ont aucune envie. La démographie médicale en psychiatrie se réduisant, des infirmières en pratiques avancées pourraient trouver toute leur place au sein de nos structures.

OS&M : Comment voyez-vous cela ?

Christine Abad : Ayant énormément lu sur le sujet, notamment sur ce qui se passe au Canada, j’en imagine deux axes. Les infirmiers praticiens pourraient suivre une population de patients chroniques. Cela se fait déjà un peu dans le cadre de certains exercices, mais les soignants en question ne sont pas autorisés à prescrire un bilan ou un renouvellement de traitement. Quant aux cliniciens, ils pourraient accompagner les étudiants, les nouveaux professionnels sur le terrain ou même les libéraux. Ce versant est plus pédagogique, destiné à permettre aux intervenants de mieux comprendre les pathologies mentales.

OS&M : Pensez-vous que cela pourra se mettre en place rapidement ?

Christine Abad : C’est un long chemin. Il faut un vrai travail de recherche et d’évaluation des besoins en formation. À la Coordination nationale infirmière, nous réfléchissons à ce que nous pourrions proposer. Cela dit, en tant que militants et syndicalistes, de nombreuses questions se posent à nous. Par exemple : pourquoi proposer des formations si celles-ci n’aboutissent pas à un véritable statut ? Le niveau d’étude est pourtant le même que celui des cadres de santé. Sans parler de l’absence de reconnaissance salariale… On est sur des formations qui, en dehors d’un développement des compétences et d’une orientation forte en recherche infirmière, n’aboutissent pas à quoi que ce soit de concret sur le plan statutaire ou salarial. Or, avec le développement des comités locaux de santé qui réunissent des acteurs de santé dans le domaine public et privé ainsi que des décideurs locaux et des travailleurs sociaux, on verrait bien l’utilité des infirmiers en pratiques avancées en leur sein. Leurs compétences en pédagogie, en coordination et en organisation d’actions, entre autres, y seraient un apport essentiel.

OS&M : Comprendre, expliquer et accompagner, c’est ça ?

Christine Abad : Exactement ! Les services sociaux sont des plus en plus débordés et déroutés vis-à-vis des personnes présentant des troubles psychiques. Et du côté des médecins de ville ou des infirmiers libéraux, le besoin en informations psychiatriques ou en accompagnement est important. Ils s’avouent souvent un peu perdus face à des situations complexes. C’est le cas en Ehpad également. L’infirmière en pratiques avancées pourrait jouer un rôle déterminant pour que les professionnels se sentent mieux compris et mieux accompagnés dans la mesure où elles maîtriseraient les outils adéquats. Au sein des établissements aussi. On a beaucoup parlé, récemment, de l’usage excessif des contentions physiques sur les patients. L’approche du sujet, la façon d’être vis-à-vis des patients sont des points charnières de la profession. Il faut aussi du temps pour se connaître soi-même. Une sorte de tutorat pourrait y aider.

OS&M : Comment cela se passe-t-il actuellement ?

Christine Abad : À l’arrivée en psychiatrie, les infirmiers sont formés par une forme de compagnonnage. Certains établissements ont maintenu le tutorat, d’autres imposent une formation de deux semaines à la consolidation des savoirs en psychiatrie. Des analyses de pratiques permettant de faire le lien entre la clinique et la théorie y tiennent une bonne place. Par exemple, travailler sur une situation de patient agressif et apprendre à déterminer ce qui est en lien avec sa pathologie ou avec des phénomènes psychiques ou environnementaux. Il faut également apprendre à se distancier. Pour éviter les situations en miroir, c’est-à-dire adopter instinctivement le même comportement que le patient, on apprend à mieux comprendre le comportement pour ne pas adopter le même registre. Imaginons un patient qui s’adresserait de manière agressive et irrespectueuse à un IDE. Une réponse qui pourrait être faite serait : « Vous ne me parlez pas comme ça ! » Mais l’on peut aussi questionner la personne sur le ton de son propos et peut-être discerner un mal-être, une contrariété, une frustration, une angoisse… qui pourrait rassurer et désamorcer un risque de confrontation. C’est cette fameuse tentative de compréhension qui désamorce souvent le risque de violence.

OS&M : Des infirmiers en pratiques avancées pourraient donc accompagner les professionnels face à ce type d’incidents…

Christine Abad : Aujourd’hui, les supervisions se font le plus souvent sur la base de volontariat. Ce n’est pas suffisant, à mon sens. Ces infirmiers spécifiquement formés pourraient utiliser des méthodologies pour faire émerger chez les soignants une capacité à analyser sa pratique pour s’auto-questionner. Mais ce n’est pas tout : les familles et les proches sont également en besoin d’accompagnement et de compréhension. Un rôle qui pourrait être dévolu à ces professionnels. Sans oublier le suivi du patient lui-même en cette époque de carence en psychiatres. Des infirmiers praticiens pourraient prendre en charge les patients entre deux consultations, évaluer la situation et, éventuellement, demander par exemple un bilan sanguin pour une surveillance médicamenteuse dans le cadre d’un suivi supervisé par le médecin. Il y a aussi tout le pan de la recherche. Il y a beaucoup d’écrits en psychiatrie, mais trop peu de véritables sujets de recherche infirmière comme dans le secteur médical.

OS&M : Pensez-vous que la psychiatrie fasse l’objet d’une véritable attention par les pouvoirs publics ?

Christine Abad : Malheureusement pas. La psychiatrie est le parent pauvre de la santé publique en France. En dehors des réactions émotives à chaque fois qu’un incident se produit en lien avec un malade, il n’y a pas de véritable Plan santé mentale dans notre pays. Il faut savoir avoir de la distance par rapport à sa propre émotion. Les risques existent, mais je ne suis pas sûre qu’on puisse les faire disparaître. La psychiatrie n’est pas là pour protéger la population générale coûte que coûte. Ce n’est pas la police ni la justice. Nous sommes des soignants avant tout.