Contention et isolement, des contraintes exceptionnelles ? - Objectif Soins & Management n° 213 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 213 du 01/02/2013

 

Management des soins

Panfili Jean-Marc  

La protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques a évolué avec les progrès scientifiques et en particulier l’arrivée des psychotropes, qui ont permis l’abandon de la camisole physique. La contention et l’isolement deviennent des restrictions exceptionnelles de libertés mal encadrées, du moins législativement.

Le placement libre est devenu la règle et le placement d’office l’exception ce qui a évidemment transformé les conditions d’hébergement. Cependant, les troubles mentaux peuvent toujours occasionner des périodes d’agitation. Certaines précautions dans la conception des lieux et dans l’utilisation des matériaux sont toujours nécessaires pour la prise en charge des pathologies mentales. Il faut saluer, à ce propos, l’initiative du centre hospitalier spécialisé Gérard-Marchant de Toulouse qui a créé un espace conçu et réalisé par les soignants, alternatif à la chambre d’isolement dans une unité spécifique de rééducation et réhabilitation sociale. Il s’agit d’un lieu de forme arrondie, meublé avec des formes douces. L’atmosphère est créée par l’harmonie des couleurs et une ambiance musicale. Cet équipement, ouvert depuis janvier 2012, a vu une centaine de séances de prises en charge par les soignants, permettant d’éviter le recours à la chambre d’isolement. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) incite à décourager l’usage de la contrainte physique et de l’internement d’office dans les établissements de santé mentale.

DES CONTRAINTES EXCEPTIONNELLES

Le manque de ressources ne peut pas constituer un justificatif pour l’organisation des soins avec contention.

L’avis du CTP

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CTP)(1) rappelle que la mise en chambre d’isolement et la contention sont « des mesures extrêmes qui peuvent être prises afin de faire face à un risque imminent de blessures ou un état de violence aiguë ». Le Comité rappelle que les majorations de coordination infirmière (MCI) et recours à la contention doivent être prescrits par un médecin. Il faut « éviter que le personnel soignant ait une autorisation générale du médecin d’utiliser ces moyens en cas de nécessité ». Tous les autres moyens appropriés alternatifs doivent être tentés avant d’avoir recours à ces mesures. Le CPT recommande aux autorités françaises de veiller à ce que les protocoles de MCI et mise sous contention soient revus dans « tout autre établissement ou service de psychiatrie ayant recours à la MCI et à la contention mécanique ». À cette occasion, la révision des protocoles doit donner lieu à l’élaboration de consignes écrites sur la procédure à suivre, les fiches à remplir et les renseignements qui doivent y figurer. Le CPT appelle les autorités françaises à mettre en œuvre sa recommandation ancienne, d’ailleurs commune à celle du Contrôleur des libertés, visant à ce que tout recours à l’isolement et à la contention mécanique soit consigné dans un registre spécial dans chaque service différent des dossiers. De plus, lorsque des moyens de “contention chimique” sont utilisés, ils doivent être assortis des mêmes exigences de traçabilité.

Cependant, la contrainte peut parfois nécessiter des mesures particulières d’isolement et de contention. La restriction de liberté est alors différente selon que le patient peut aller et venir à sa guise au sein de l’unité ou s’il est placé en isolement. La situation est d’autant plus délicate a fortiori si le patient fait l’objet d’une contention mécanique.

Protéger les personnes

Une résolution de l’Organisation des nations unies (ONU) de 1991(2) prévoit que « la contrainte physique ou l’isolement d’office du patient ne doivent être utilisés que conformément aux méthodes officiellement approuvées du service de santé mentale, et uniquement si ce sont les seuls moyens de prévenir un dommage immédiat ou imminent au patient ou à autrui. Le recours à ces mesures ne doit durer que le temps strictement nécessaire à cet effet. Toutes les mesures de contrainte physique ou d’isolement d’office, les raisons qui les motivent, leur nature et leur étendue, doivent être inscrites dans le dossier du patient. Tout patient soumis à la contrainte physique ou à l’isolement d’office doit bénéficier de conditions humaines et être soigné et régulièrement et étroitement surveillé par un personnel qualifié. Dans le cas d’un patient ayant un représentant personnel, celui-ci est avisé sans retard, le cas échéant, de toute mesure de contrainte physique ou d’isolement d’office ».

Le Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe(3) a édicté une recommandation en 1994 précisant qu’« aucun moyen de contention mécanique ne doit être utilisé. Les moyens de contention chimique doivent être proportionnés au but recherché, et aucune atteinte irréversible ne doit être portée aux droits de procréation des individus ».

Droit des malades

Enfin, la circulaire Veil de 1993(4) précise que le patient malade mental dispose de droits parmi lesquels « figure celui d’aller et venir librement à l’intérieur de l’établissement où ils sont soignés ; cette liberté fondamentale ne peut donc pas être remise en cause s’agissant de personnes qui ont elles-mêmes consenti à recevoir des soins psychiatriques. […] Toutefois, en cas d’urgence, il peut être possible d’isoler pour des raisons tenant à sa sécurité un malade quelques heures en attendant, soit la résolution de la situation d’urgence, soit la transformation de son régime d’hospitalisation en un régime d’hospitalisation sous contrainte? ».

La contention et l’isolement vus d’ailleurs

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne(5), en Allemagne(6), au Canada, en Belgique, aux Pays-Bas et en Russie, ce sont des textes de lois précis qui encadrent l’utilisation de l’isolement et de la contention. En revanche, en France, il est possible d’isoler et d’attacher un patient sans aucun contrôle, ni a priori, ni a posteriori. Pourtant, comme le proclame l’article?7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ».

Alors, toute mise en chambre d’isolement ou contention devrait donc être considérée comme illégale, sauf à considérer que l’hospitalisation sous contrainte implique isolement et contention. Mais si la loi de 1838 puis celle de 1990 et enfin celle du 5 juillet 2011 ont prévu dans quelles conditions un patient souffrant de troubles mentaux devait être retenu contre sa volonté, aucune n’a prévu les conditions dans lesquelles ce même patient devait être isolé ou physiquement contenu.

LES SOINS DE CONTENTION ET D’ISOLEMENT BIEN ENCADRÉS ?

À ce jour, l’isolement fait seulement l’objet de plusieurs recommandations de la Haute Autorité de santé(7) (HAS) ponctuellement reprises par le contrôleur des libertés ; quant à la contention, elle fait l’objet de recommandations, mais juste pour les personnes âgées(8).

Ce que dit la loi

La loi reste très évasive à ce sujet, elle indique seulement que « les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis »(9) et « un protocole thérapeutique pratiqué en psychiatrie ne peut être mis en œuvre que dans le strict respect des règles déontologiques et éthiques en vigueur »(10)

À titre indicatif, le cahier des charges qualitatif de l’hospitalisation à plein temps en psychiatrie de mai 2003 constitue une contribution spécifique de référence des acteurs institutionnels de la psychiatrie.

Les seules dispositions réglementaires existantes(11) se résument à « l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes et soins suivants : surveillance des personnes en chambre d’isolement ». La circulaire du 19 juillet 1993(4) rédigée par Simone Veil, ministre de la Santé, est le seul texte émanant de l’exécutif et faisait suite à des événements tragiques dont ont été victimes des patients. Avec ce texte, on peut considérer que l’utilisation de l’isolement thérapeutique représente un processus de soin complexe, justifié par une situation clinique initiale et se prolongeant jusqu’à l’obtention d’un résultat clinique. Cela comprend la prescription, l’accompagnement du patient, la délivrance de soins et la surveillance réalisés par les différents professionnels d’une équipe de soins. Les contre-indications ont été envisagées pour éliminer l’utilisation de l’isolement dans un but non thérapeutique et pour éliminer les affections organiques.

La définition de la HAS

Selon la HAS(12), la contention consiste à restreindre ou maîtriser les mouvements d’un patient par un dispositif, soit fixé sur un lit ou un siège, soit mobile, comme une camisole de force. L’isolement est réalisé lorsque tout patient dans une chambre dont la porte est verrouillée est séparé de l’équipe de soins et des autres patients et se trouve de ce fait en isolement.

L’isolement n’est pas une fatalité

En définitive, la HAS constate que l’isolement résulte d’une démarche empirique largement reconnue des professionnels mais qui ne trouve pas sa place dans les actes de soins permettant de mesurer l’activité d’un service de psychiatrie publique. La HAS rappelle que cet isolement ne peut être qu’à but thérapeutique, conformément à la mission de soin des établissements de santé. Pour la HAS, la nécessité de préciser que l’isolement ne doit pas être une punition est impérative, car les comportements de certains patients peuvent conduire à des mesures punitives. La position de la HAS est cependant paradoxale à ce sujet, car elle prévoit d’un côté des recommandations de bonnes pratiques en matière d’isolement sans toutefois les assortir d’un critère spécifique de contrôle dans le cadre de la certification.

UN ENCADREMENT JURIDIQUE INSUFFISANT…

Au regard de l’article 34 de la Constitution disposant que « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », ces mesures graves de restrictions de liberté nécessiteraient des dispositions législatives bien plus précises et exigeantes. Par comparaison, en matière pénale, la loi(13) prévoit que « les mesures de contraintes dont [la] personne peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Elles doivent de plus être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité […] et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ». À titre de comparaison, l’utilisation de menottes et entraves dans le cadre de la procédure pénale est précisément encadrée par la loi(14).

Le CPT considère que « si exceptionnellement, des moyens de contention physique sont appliqués, ceux-ci doivent être ôtés dès que possible ; ils ne doivent jamais être appliqués, ni leur application être prolongée, à titre de sanction ».

Manque de précision ?

En résumé, le législateur aurait dû définir les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ces procédures sont autorisées dans le champ sanitaire et veiller à ce que la contrainte physique et l’internement d’office ne soient utilisés que comme des procédures de dernier recours. En particulier, la législation devrait explicitement interdire l’usage de contrainte physique et d’isolement comme forme de punition.

Le principe de consentement

Enfin, si l’utilisation de la contention et de l’isolement est ponctuellement possible dans le cadre de l’hospitalisation libre, il convient dans ces cas-là de s’interroger sur la situation juridique du patient et de la rendre conforme à la situation au regard du principe de consentement.

… COMPLÉTÉ PAR LA JURISPRUDENCE

Arrêts des Cours administratives d’appel

Le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité du recours à la contention(15). Suite à une décision de la Cour administrative d’appel (CAA) de Nantes, le non-recours à la contention peut engager la responsabilité de l’établissement public de santé si ce traitement est seul à même d’assurer la protection du patient et des tiers(16). Inversement, mais selon un raisonnement similaire, la CAA de Douai a, quant à elle, réservé la contention aux personnes présentant un risque majeur d’atteinte à leur personne ou à celle des autres(17). Enfin, un arrêt de la CAA de Marseille très précis indique que la contention ne doit être utilisée qu’en dernier recours après avoir usé de la parole, utilisé la pharmacopée et enfin l’isolement(18).

Isolement vs contention

En revanche, l’isolement ne fait pas l’objet de la même approche que la contention, objet de jurisprudences. La mesure d’isolement relève du champ disci?plinaire en droit pénal et pénitentiaire, mais elle se rattache à une nécessité thérapeutique en droit de la santé mentale. Le juge judiciaire n’a pas condamné, jusqu’à ce jour, un établissement de santé qui placerait en isolement un patient, considérant que cette mesure portait atteinte aux libertés individuelles. C’est la logique de l’article 8 de l’ordonnance du 18 décembre 1839 portant règlement sur les établissements publics et privés consacrés aux aliénés qui prévaut. Celui-ci indiquait que « le service médical, en tout ce qui concerne le régime physique et moral, ainsi que la police médicale et personnelle des aliénés, est placé sous l’autorité du médecin, dans les limites du règlement de service intérieur ».

NÉCESSITÉ D’UN CONTRÔLE STRICT

Comme nous venons de le constater, les mesures d’isolement et de contention sont encadrées par les recommandations de la HAS et du contrôleur des libertés. Toutefois, elles ne font toujours pas l’objet de mesures législatives et réglementaires spécifiques. Le processus de certification des établissements et la pratique exigible prioritaire relative à la gestion des restrictions de libertés devraient donc jouer un rôle essentiel.

À la conférence-débat organisée le jeudi 8 décembre 2011 par l’Association nationale des responsables qualité en psychiatrie (ANRQ-Psy)(19), la montée des mesures de contention dans les services de psychiatrie représente une préoccupation pour les responsables qualité. La certification a rendu incontournable le recrutement de qualiticiens et, par voie de conséquence, l’élaboration de procédures qualité. De plus, une pratique exigible prioritaire relative à la promotion du respect des libertés individuelles et à la gestion des mesures de restriction de liberté a été ajoutée au manuel de certification.

Cependant, lors de la conférence en question, Chantal Roussy, présidente de L’Union nationale des amis et familles de malades psychiques – Paris (Unafam 75), a souligné que si la sensibilisation sur les droits des patients avait considérablement évolué dans les établissements parce que les lois ont introduit des obligations, leur application reste encore trop aléatoire.

Les représentantes des usagers ont notamment témoigné d’une montée des pratiques de contention dans les établissements, ce qui signe la nécessité de mieux encadrer ces pratiques.

À ce propos, sous couvert de qualité, en rester au stade des recommandations et de l’audit clinique risque de pérenniser et de légitimer des pratiques sujettes à caution.

CONCLUSION

En définitive, comme le préconisent certains professionnels, tout isolement devrait être dans un premier temps signalé systématiquement à la direction de l’établissement et dans un deuxième temps, soit à la Commission départementale des soins psychiatriques, soit au juge judiciaire.

Le devoir de concilier les nécessités thérapeutiques et le droit à la sûreté impose des procédures et un contrôle spécifique.

Ceci permettrait de s’assurer que seules les nécessités de prise en charge thérapeutique sont à l’origine de l’isolement et/ou de la contention.

NOTES

(1) Conseil de l’Europe. Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le CPT du 28 novembre au 10 décembre 2010. paragraphes 172 et 174. http://petitlien.fr/6azd.

(2) Résolution 46/119 de L’ONU en 1991 principe 11.

(3) Recommandation 1235 du Conseil de l’Europe relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme. Texte adopté par l’Assemblée le 12 avril 1994.

(4) Circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 (circulaire Veil) portant sur le rappel des principes relatifs à l’accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux.

(5) Acte de santé mentale de 1983.

(6) Loi concernant les malades mentaux du 20 mars 1985.

(7) L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. Anaes/Service évaluation en établissements de santé. Juin 1998. “L’agitation en urgence”, conférence de consensus, Anaes, décembre 2002. Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité, conférence de consensus, Anaes et FHF, 24 et 25 novembre 2004.

(8) “Limiter les risques de contention physique de la personne âgée”, Anaes, octobre 2000.

(9) Article L. 3211-3 du Code de santé publique (CSP).

(10) Article L. 3211-4 du CSP.

(11) Article R. 4311-6 du CSP.

(12) Audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. Juin 1998.

(13) Article préliminaire du Code de procédure pénale.

(14) Article 803 du Code de procédure pénale.

(15) CAA de Bordeaux, 10 mars 2009, Mme Marie-Thérèse X., req. n° 08BX00181.

(16) CAA de Nantes, 25 janvier 1995, Mme Y., req. n° 92NT00651.

(17) CAA de Douai, 13 juin 2006, Mme Y., req. n° 05DA01282.

(18) CAA de Marseille, 25?janvier 2007, Mme X., n° 05MA01245.

(19) “Droits des patients en psychiatrie : la démarche qualité confrontée à la montée de la contention” (APM). Vendredi 9 décembre 2011.

Isolement, contention et formation

Lors de l’audit clinique de 1998, l’Anaes (actuelle HAS) constatait que l’isolement thérapeutique était absent des traités de psychiatrie tout comme de l’enseignement du diplôme d’études supérieures (DES) de psychiatrie.

Cette thématique n’était pas plus abordée dans les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et dans les Instituts de formation de cadres de santé (IFCS).

Il en est toujours ainsi aujourd’hui et la formation pratique est éventuellement assurée à l’intérieur des unités de soins.