La pratique des soins : jurisprudence pénale - Objectif Soins & Management n° 187 du 01/06/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 187 du 01/06/2010

 

Droit

Gilles Devers  

TEXTES → Deuxième volet des grandes décisions de jurisprudence en matière de santé, avec la responsabilité pénale : atteintes à l’intégrité corporelle, mise en danger d’autrui, délaissement, non-assistance à personne en danger et secret professionnel.

RESPONSABILITE PENALE POUR HOMICIDE OU BLESSURES INVOLONTAIRES

(Art. 121-3, 221-6 et 222-19 du Code pénal)

La responsabilité pénale d’un professionnel de santé, en situation d’auteur direct, doit être retenue dès lors qu’il apparaît que le prévenu n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses missions, de ses compétences et des moyens dont il disposait – Chambre criminelle, 13 novembre 2002, Bulletin criminel n° 203.

Est coupable d’homicide involontaire le chirurgien à la charge duquel ont été constatées des négligences en relation de cause à effet avec le décès de l’opéré – Chambre criminelle, 18 novembre 176, Bulletin criminel n° 333.

L’existence d’une faute relevée à l’encontre du médecin-anesthésiste pendant la période postopératoire n’exclut pas nécessairement l’éventualité de celle du chirurgien auquel a été confiée l’intervention ; telle est l’hypothèse du chirurgien qui, ayant quitté la clinique en compagnie du médecin-anesthésiste, savait qu’il laissait le malade entre les mains d’une infirmière, et non entre celles d’un médecin-anesthésiste – Chambre criminelle, 10 mai 1984, Bulletin criminel n° 167.

Commet le délit d’homicide involontaire le médecin-anesthésiste qui ne surveille pas suffisamment son patient dans la phase de réveil, en ordonnant trop tôt sa remontée dans la chambre alors que la durée de surveillance en salle post-interventionnelle ne couvrait pas le délai le plus fréquent de survenue de l’incident qui est à l’origine du décès et qu’un défaut d’organisation empêchait une réaction rapide – Rennes, 10 octobre 2000, JCP 2001. IV. 2654.

Justifie sa décision de relaxe la cour d’appel qui, après avoir relevé que l’erreur de diagnostic imputable à un anesthésiste-réanimateur et à un chirurgien ne procédait pas d’une ignorance ou d’une négligence dans les examens préopératoires, et que la thérapeutique à laquelle ils n’avaient pas eu recours n’était pas encore de pratique courante, en déduit que les intéressés n’ont pas commis de faute – Chambre criminelle, 3 novembre 1988, Bulletin criminel n° 365.

Est justifié l’arrêt de la cour d’appel qui, pour déclarer coupable d’homicide involontaire le chef de service de gynécologie-obstétrique d’un hôpital, retient qu’il n’a pas procédé à un examen clinique approfondi de la patiente et que sa négligence, qui l’a empêché de diagnostiquer la lésion et a retardé l’intervention du chirurgien, a causé la mort de la victime. – Chambre criminelle, 20 juin 1999, Bulletin criminel n° 162.

L’erreur de diagnostic ou sa tardiveté ne sont pénalement punissables que lorsqu’elles procèdent d’une négligence, caractérisée par le fait que le médecin s’est abstenu de prendre les précautions nécessaires et de s’informer suffisamment sur l’état du patient compte tenu des données acquises de la science et des moyens techniques dont il pouvait disposer au moment des faits. Dès lors, la tardiveté d’un diagnostic ne constitue pas une faute pénale, lorsqu’elle s’explique par la complexité des symptômes, et la difficulté de leur constatation et de leur interprétation – Nancy, 6 mai 1999, D. 2000. 889.

N’est pas responsable le médecin dont l’imprudence, manifestée par le déclenchement du travail d’accouchement en l’absence de raison médicale impérieuse, a augmenté le risque de contamination infectieuse du nouveau-né, mais sans qu’il soit possible d’affirmer que, né à terme, l’enfant aurait survécu s’il avait contracté la même méningite fulgurante, aucun lien de causalité n’étant par suite démontré entre la faute et le décès – Chambre criminelle, 20 mars 1996, Bulletin criminel n° 119.

Est justifiée la décision d’une cour d’appel qui, pour retenir la responsabilité du dirigeant d’une clinique, relève qu’au moment des faits, le personnel de garde n’était constitué que d’une aide-soignante qui, placée sous la responsabilité d’une unique infirmière, en poste dans un autre service, s’est avérée incapable d’assurer les soins d’urgence adaptés à l’état de la malade, ajoutant que cette mauvaise organisation du service, imputable au directeur, est à l’origine directe du décès de la victime, privée de la surveillance et des soins qu’un personnel compétent aurait pu assurer – Chambre criminelle, 26 février 1997, Dr. pénal 1997, 109.

C’est à tort qu’une cour d’appel a relaxé une sage-femme du chef d’homicide involontaire, au motif qu’en l’état d’un accouchement gémellaire présentant une haute probabilité de risques, il appartenait au médecin gynécologue de donner à celle-ci les directives nécessaires au sujet de la durée de la perfusion de produits ocytociques et de procéder lui-même à l’examen clinique qui aurait permis de diagnostiquer l’hémorragie interne. En se déterminant ainsi, alors que, d’une part, au cours de la phase postopératoire, la sage-femme était libre de prescrire ou d’interrompre, sous sa propre responsabilité, l’administration d’ocytociques, inscrits sur la liste des médicaments que les sages-femmes peuvent prescrire, et que d’autre part, l’existence des fautes relevées à l’encontre du gynécologue pendant les opérations d’évacuation de la cavité utérine ne suffit pas à exclure l’éventualité de fautes commises par la sage-femme pendant ces opérations ou dans la surveillance des suites de ces couches, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision – Chambre criminelle, 21 octobre 1998, Bulletin criminel n° 270.

L’infirmière qui laisse une élève-infirmière administrer seule une substance dangereuse à un patient sans s’assurer qu’elle connaissait le mode opératoire commet une faute caractérisée ayant exposé le patient à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer, le patient étant décédé à la suite d’une erreur dans l’administration du produit – Chambre criminelle, 26 juin 2001, Dr. pénal 2001, Comm. 124.

Le principe de légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus – Assemblée plénière de la Cour de cassation, 29 juin 2001, Bulletin civil n° 8.

MISE EN DANGER D’AUTRUI

(Art. 223-1 du Code pénal)

Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Avec cet article, le fait de créer le risque suffit à caractériser l’infraction, mais les conditions légales sont strictes, et les tribunaux ne sanctionnent que les faits d’une particulière gravité.

Le délit de mise en danger d’autrui exige, pour être caractérisé, la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, laquelle ne peut se confondre avec la simple faute d’imprudence ou de négligence – Bordeaux, 15 mai 1997, JCP 1998. IV. 1647.

La faute constitutive du délit de mise en danger d’autrui est caractérisée par la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; ce texte n’exige pas que l’auteur du délit ait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement – Chambre criminelle, 16 février 1999, Bulletin criminel n° 24.

DELAISSEMENT

(Art.. 223-3 du Code pénal)

Le délit de délaissement suppose un acte positif, exprimant de la part de son auteur la volonté d’abandonner définitivement la victime. – Chambre criminelle, 23 février 2000, Bulletin criminel n° 84.

NON-ASSISTANCE À PERSONNE EN DANGER

(Art. 223-6 du Code pénal)

Pour que le délit d’omission de porter secours à une personne en danger soit constitué, il faut, d’une part, que la personne en état de porter secours ait connu l’existence d’un péril imminent et constant rendant son intervention nécessaire, et, d’autre part, qu’elle se soit volontairement refusée à intervenir par les modes qu’il lui était possible d’employer en vue de le conjurer – Chambre criminelle, 25 juin 1964, Bulletin criminel n° 220.

L’obligation de porter secours concerne seulement le cas de personnes se trouvant en état de péril imminent et constant, et nécessitant une intervention immédiate – Chambre criminelle, 13 janvier 1955, Bulletin criminel n° 37.

Le délit est constitué lorsqu’un médecin de garde et l’épouse de celui-ci, informés téléphoniquement d’un accouchement survenu à domicile dans des conditions précaires, se sont volontairement abstenus d’intervenir par les modes qu’il leur était possible d’employer – Chambre criminelle, 17 février 1972, Bulletin criminel n° 68.

Le médecin, informé qu’un malade est en péril, ne commet pas le délit de non-assistance à personne en danger si, dans l’impossibilité de se déplacer, il s’assure que la personne à secourir reçoit d’un tiers les soins nécessaires – Chambre criminelle, 26 mars 1997, D. 1999, Somm. 384.

Le Code pénal réprimant un manquement à un devoir d’humanité, l’omission de porter secours est indépendante de l’état physiologique de la victime et de son évolution fatale. L’infraction n’est pas de ne pas avoir sauvé la vie de quelqu’un, mais de ne pas lui avoir prêté une aide ou une assistance sans que l’intervention soit subordonnée à l’intervention du secours – Nancy, 27 octobre 1965, D. 1966. 30.

SECRET PROFESSIONNEL

(Art. 226-13 du Code pénal)

En imposant à certaines personnes, sous une sanction pénale, l’obligation du secret comme un devoir de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose à l’exercice de certaines professions – Chambre criminelle, 15 décembre 1885, DP. 1885.1. 347.

Si celui qui a reçu la confidence d’un secret a toujours le devoir de la garder, la révélation de cette confidence ne le rend punissable que s’il s’agit d’une confidence liée à l’exercice de certaines professions ; ce que la loi a voulu garantir, c’est la sécurité des confidences qu’un particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l’état ou la profession, dans un intérêt général et d’ordre public, fait d’elle un confident nécessaire – Chambre criminelle, 19 novembre 1985, Bulletin criminel n° 364.

Le patient ne peut délier le médecin de la règle du secret – Première chambre civile de la Cour de cassation, 14 décembre 1999, D. 2000 IR, p. 40.

L’obligation au secret professionnel, établie par la loi pénale pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins, hormis le cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état. Sous cette seule réserve, il n’appartient à personne de les en affranchir – Chambre criminelle, 8 mai 1947, Bulletin criminel n° 124.

Doit être cassé, comme méconnaissant le caractère absolu du secret professionnel, l’arrêt d’une cour d’assise qui condamne un médecin pour refus de déposer sur des faits connus dans l’exercice de sa profession, alors même que ce médecin n’avait été invité à déposer que sur les constatations consignées dans un certificat délivré par lui à l’intéressé et que les parties aux débats avaient requis son témoignage – Chambre criminelle, 8 mai 1947, Bulletin criminel n° 124.

Est coupable de violation du secret professionnel, le médecin qui, portant plainte contre un de ses clients qui ne cessait de l’importuner au téléphone et le menaçait, n’a pas limité sa dénonciation aux seuls faits qui lui portaient personnellement préjudice, le secret médical s’imposant aussi bien à l’égard du ministère public que de quiconque – Chambre criminelle, 18 juillet 1984, D. 1985. IR. 404.

Lorsque la compétence d’un professionnel est mise en doute devant une juridiction, celui-ci se trouve alors dans la nécessité de transgresser le secret pour apporter aux juges les preuves de sa bonne foi ou de la qualité de ses prestations, étant observé que la révélation doit être limitée aux strictes exigences de sa défense – TGI Paris, 26 juin 1998, BICC 1998. 1390.

La violation du secret médical est caractérisée même si le fait révélé par le médecin pouvait être connu indépendamment de cette révélation – Versailles, 30 avril 1990. IR. 178.

Viole le secret professionnel le médecin qui, à l’occasion d’une contestation d’héritage et à la demande d’un notaire, délivre deux certificats par lesquels il atteste avoir soigné le testateur pour une affection de longue durée, et que ce dernier, jusqu’au jour de son décès, était en pleine possession de ses facultés intellectuelles – Dijon, 31 mars 1088, D. Somm. 319.