Guerriers à toute épreuve - L'Infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017

 

BLOC OPÉRATOIRE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Karen Ramsay  

Dédramatiser le passage au bloc tout en accompagnant les enfants en pré et post-opératoire. En Polynésie française, l’association Les p’tits Aitos du Fenua s’inquiète du bien-être des plus jeunes patients.

Une première définition pour les non-initiés : par aitos, entendez « guerriers ». « Un mot qui évoque le courage et la force, des valeurs très fortes en Polynésie française », confie Sophie Edelson, infirmière anesthésiste, à l’origine de l’association Les p’tits Aitos(1), avec Mathieu Cheroux, Iade, et Patrick Ferret, Ibode. Leur objectif ? Améliorer la qualité de l’accueil des jeunes patients devant subir une intervention chirurgicale, et les préparer en douceur à l’anesthésie.

Dans la salle d’accueil du bloc opératoire du centre hospitalier de Taaone, à Tahiti, les pleurs des enfants côtoient les gémissements des personnes âgées. L’établissement public n’ayant pas de bloc pédiatrique dédié, adultes et enfants sont admis dans la même salle pour recevoir les premiers soins : vérifications pré-opératoires, perfusions, anesthésies loco-régionales… « Ce n’est pas toujours simple à gérer. L’enfant se retrouve dans un univers de grands, avec des pathologies qui peuvent l’impressionner. Il s’agit souvent de son premier contact avec le milieu hospitalier et il est important de ne pas le traumatiser », explique Sophie Edelson. Arrivée en Polynésie française au début des années 2000, l’IDE, qui s’est spécialisée à l’école d’Iade de Bordeaux en 2009, reçoit près de 3 000 enfants par an. « Le bloc opératoire peut être effrayant pour un enfant : les soignants portent des masques, le lieu est froid, il entend des bruits qu’il ne connaît pas, il voit le matériel chirurgical… Et il se retrouve seul, séparé de ses parents. C’est un moment angoissant. Il nous a donc semblé essentiel de proposer autre chose… »

Mûre, fraise, chocolat…

Et cet « autre chose » est vite trouvé : passer par la case associative pour concrétiser le projet. Après un mois d’écriture, l’association est officialisée au Journal officiel en novembre 2016(2). Première étape : repenser la salle d’accueil (autocollants, fresque murale… ) et le passage au bloc. Avec l’aide d’un artisan polynésien, ils conçoivent des badges nominatifs en pâte Fimo – le bloc était le seul service à ne pas avoir de tenue nominative. « On a misé sur la couleur locale : mer, soleil, poissons, fleurs… », explique l’Iade.

Accompagné de ses parents, l’enfant est reçu en consultation préanesthésique, où des cadeaux lui sont offerts : brosse à dents, livre, gommettes… « Nous en profitons pour sensibiliser les parents : ne pas brandir la menace de la piqûre si l’enfant n’est pas sage, l’importance d’être à jeun avant l’opération… On revient souvent sur ce point, car il arrive que les opérations soient reportées parce que les parents n’ont pas respecté cette consigne… », confie Sophie Edelson. Si l’enfant le désire, l’équipe lui propose des patchs d’anesthésie locaux qui doivent être posés deux heures avant le geste chirurgical. Et le jour de l’opération, au moment de l’anesthésie, l’enfant reçoit des feutres parfumés (mûre, fraise, chocolat) pour personnaliser l’intérieur de son masque. Il peut également choisir la peluche qui l’accompagnera au bloc.

L’association a aussi amorcé un changement de comportement au sein de l’équipe soignante. Ainsi, à l’arrivée de l’enfant au bloc, les soignants gardent leurs coiffes – une coiffe désormais fleurie et colorée –, mais font tomber le masque. Une façon d’humaniser ce moment.

Un bon accueil pédiatrique rassure l’enfant, explique Sophie Edelson, et permet de diminuer les doses de médicaments – l’induction est réalisée avec moins de morphine, et de façon progressive – et le temps en salle de réveil. De plus, à son réveil, l’enfant reçoit un diplôme signé par toute l’équipe, attestant de son courage pendant l’opération. Un trophée qu’il emporte à la maison et rapporte à chaque visite à l’hôpital pour un complément de signatures. Aitos un jour, aitos toujours !

1- http://bit.ly/2rup5oH

2- http://bit.ly/2sdVYtF

ASSOCIATION

Un statut nécessaire

Bien que rattachée à l’hôpital de Taaone, Les p’tits Aitos n’en est pas moins indépendante. Son financement provient de l’organisation d’événements sportifs et culturels, d’actions de prévention, et de sociétés privées. À terme, elle espère inciter la direction de l’hôpital à créer un poste d’infirmière anesthésiste mobile. Leur dernier projet en date, une BD franco-tahitienne sur l’anesthésie, qui sera distribuée dans tous les hôpitaux d’ici fin 2017.