Le soignant au cœur du jeu - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

PÉDAGOGIE

DOSSIER

Plutôt que d’imposer des protocoles de façon autoritaire, les établissements de santé et les instituts de formation préfèrent amener les professionnels à s’interroger sur leurs pratiques, souvent de manière ludique.

Comment aller encore plus loin dans la lutte contre les infections associées aux soins ? Parmi les nouvelles approches destinées à améliorer le respect des bonnes pratiques chez les soignants, il en est une qui retient particulièrement l’attention des autorités comme des hygiénistes. « Actuellement, on parle beaucoup de la simulation, confirme Daniel Zaro-Goni, hygiéniste au Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales Sud-Ouest (Cclin) et vice-président de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). C’est une manière de faire passer le message. Nous sommes en train de fixer des objectifs en partenariat avec la Société française de simulation en santé (Sofrasims) : nous voudrions que le risque infectieux soit pris en compte dans toute simulation, quelle qu’elle soit. Ainsi, il est impensable de ne pas porter de masque lors d’une simulation d’accouchement. Aujourd’hui, pourtant, cette contrainte n’est pas forcément respectée. » Les autorités s’intéressent elles aussi de très près au sujet. Ainsi, l’arrêté du 26 septembre 2014 relatif au diplôme d’État d’infirmier (1) incite fortement à développer la simulation à des fins pédagogiques, et ce, dès la formation initiale.

Séance de simulation

Une demande anticipée par l’Ifsi du CH Val-d’Ariège à Foix, qui a inauguré en octobre dernier un véritable laboratoire dédié à la formation, composé de deux chambres, d’une salle de décontamination et d’une salle de soins. Un équipement très rare en France qui a pour but « de mettre les soignants en situation afin de leur apprendre à mettre en œuvre les recommandations », explique Christine Stervinou, directrice des Ifsi du CH Val-d’Ariège. Pour cela, des scénarios ont été élaborés en collaboration avec l’équipe opérationnelle d’hygiène du CH. Chaque séance de simulation commence par un briefing d’un quart d’heure, lors duquel les règles du jeu sont édictées. « Un scénario consiste par exemple à réaliser la toilette intime d’un patient victime d’un AVC, atteint de dysphasie, dans les conditions d’hygiène attendues, développe Christine Stervinou. Il se réalise en binôme infirmière/aide-soignante, ce qui permet de décliner le processus de collaboration, de voir comment chacune se positionne par rapport au patient. Cette simulation se déroule dans un environnement pointu, un minihôpital au plus près de la réalité. » En outre, les patients sont figurés par des mannequins interactifs (ils parlent, toussent, leur tension peut chuter…). Leurs réactions sont imprévisibles, comme dans la « vraie vie ». Une passerelle d’observation a été aménagée au-dessus du labo et l’expérience est retransmise grâce à des caméras afin que le plus grand nombre puisse en bénéficier. Une fois le processus de soins réalisé, tous assistent au débrief. « On ne donne pas la solution, mais on les amène à la trouver. L’intérêt de la simulation, c’est surtout le réalisme : on est dans un cadre spécifique, avec des horaires et on se situe par rapport à un vrai patient », rappelle Christine Stervinou. Tout cela a un coût : le laboratoire, qui accueille également tout au long de l’année des formations continues(2), a nécessité plus de 200 000 euros d’investissement.

Des chambres des erreurs

À une échelle plus modeste, la simulation s’invite de plus en plus dans les hôpitaux sous forme de « chambres des erreurs », des dispositifs éphémères invitant les soignants à tester leurs connaissances sur l’hygiène hospitalière sur un mode ludique. Des initiatives assez simples à mettre en place et appréciées des soignants. « À la suite de la Semaine de la sécurité des patients, avec la direction des soins, la direction qualité et la Commission du médicaments et des dispositifs médicaux stériles (Comedims), nous avons conçu en décembre dernier une chambre des erreurs à visée pédagogique pour les professionnels de santé, se souvient Martine Lère, cadre de santé hygiéniste au CHU de Toulouse. Le même scénario a été déroulé sur les deux sites du CHU : il s’agissait de repérer des erreurs en matière d’hygiène et du circuit médicamenteux autour d’une personne opérée. Pour cela, nous avons reproduit une chambre, avec un mannequin, un lit, une armoire à pharmacie… Ainsi qu’une salle de soins, dans laquelle on trouvait un pilulier, ou encore un dossier de soins comportant des prescriptions erronées. » Pour faire venir les professionnels au stand, les organisateurs ont communiqué en amont auprès du CHU et des cadres, ainsi que sur l’intranet de l’établissement. Une fois sur place, ils devaient repérer un maximum d’erreurs et les noter sur une fiche. En matière d’hygiène, il fallait par exemple remarquer que le patient portait un masque FFP2 destiné aux soignants ; sa sonde vésicale était reliée à un collecteur d’urine non stérile ; le robinet de la ligne veineuse n’était pas obturé par un bouchon ; le collecteur d’aiguilles débordait… Une hygiéniste était présente pour corriger les erreurs dès la sortie de la chambre. « Pour cette première édition, seules 148 personnes se sont déplacées, mais ceux qui l’ont fait étaient très satisfaits, se réjouit Martine Lere. Le plus de ce genre d’expérience, c’est que c’est visuel, du pratique. La vraie vie ! Nous allons certainement recommencer l’an prochain. »

Un « TP » hospitalier

Susciter l’intérêt par une mise en scène ludique, c’est également le pari fait depuis 2003 par la direction et le service qualité du CH Le Montaigu, à Astugue (Hautes-Pyrénées), dans le cadre du processus d’accueil des nouveaux arrivants. Ainsi, ils ont conçu un « Trivial Pursuit » hospitalier en remplaçant les thèmes du jeu traditionnel par six nouvelles catégories : la connaissance des services, les droits du patient et la culture générale hospitalière, la démarche qualité, les ressources humaines, la sécurité des biens et des personnes et, enfin, l’hygiène. « Dans cette dernière catégorie, les joueurs doivent par exemple citer cinq maladies à déclaration obligatoire, retrouver les noms des responsables du Cclin dans l’établissement, décrire la procédure à suivre en cas de gale », explique Dimitri Marie, cadre de santé en charge de l’organisation du jeu. Ce sont les responsables de chaque domaine qui ont mis au point les questions et les réponses. Le Trivial est conçu de sorte à permettre aux soignants de trouver eux-mêmes les informations dont ils ont besoin et d’identifier les personnes ressources, comme les référents hygiène. Au fil des années, l’organisation s’est adaptée à leurs attentes. Au début, le jeu durait une journée entière ; aujourd’hui, il est réduit à une demi-journée et couplé à la formation incendie. Cinq à sept sessions sont proposées chaque année ; l’ensemble du personnel doit y assister tous les ans ou tous les deux ans. « Au-delà de l’aspect ludique – nous avons fabriqué un plateau de jeu et des camemberts ! –, ce qui est intéressant, c’est qu’on se retrouve tous autour d’une table : soignants, agents techniques, administratifs, cuisiniers… Cela permet d’échanger sur les pratiques des uns et des autres, dans la bonne humeur », apprécie Dimitri Marie, qui assure que les soignants sont satisfaits de ce moment de partage. Il a reçu beaucoup d’appels d’autres hôpitaux intéressés par le concept. Qui a dit que les protocoles d’hygiène étaient rébarbatifs ?

1- http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do? cidTexte=JORFTEXT000029527714

2- http://www.chi-val-ariege.fr/pagesEditos.asp?DPAGE= 50&sX_Menu_selectedID=m3_737221A3

SERIOUS GAMES

RÉVISER EN S’AMUSANT

Pour ceux qui souhaitent tester leurs connaissances en quelques minutes, où qu’ils se trouvent, le Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (Cclin) Sud-Ouest a élaboré une série de serious games sur la thématique de l’hygiène. En 2012, il portait sur la gale, en 2013, sur la grippe et en 2014, sur la prévention de la diffusion des bactéries hautement résistantes. Une dizaine de questions permettent d’évaluer les connaissances du joueur. « Des tests réalisés en Ifsi nous ont montré qu’après un quart d’heure, les étudiantes retenaient entre une et trois recommandations d’hygiène », assure le Dr Christophe Gautier, responsable de l’Antenne régionale de lutte contre les infections nosocomiales (Arlin) Aquitaine, qui a participé à la conception des jeux. Ceux-ci sont disponibles gratuitement, sur ordinateur ou smartphone.

www.cclin-sudouest.com/pages/info_dojo.html