Accompagner la fin de vie à domicile - L'Infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016

 

Cahier de formation

Savoir

Les évolutions de la médecine permettent de maintenir en vie des patients en situation avancée malgré la ou les maladies. Ces patients sont alors en droit d’attendre que la médecine les accompagne jusqu’au bout en assurant la meilleure qualité de vie possible. En considérant les derniers jours de la vie comme des jours de vie.

LA FIN DE VIE

Une notion moderne

Par le passé, l’expression “fin de vie” correspondait au stade de la vieillesse, avec ses premières complications pathologiques susceptibles d’entraîner rapidement le décès. La fin de vie était aussi, au moment de l’agonie, le moment où les représentants religieux étaient appelés afin que le mourant se prépare à la mort. Depuis les années 1960-1970, avec le développement de la médecine moderne, la fin de vie désigne un état de santé caractérisé face auquel les pratiques soignantes doivent être adaptées. Cette nouvelle approche de la fin de vie apparaît en lien avec la reconnaissance des méfaits des excès techniques (“acharnement thérapeutique”) et les premières expériences de soins palliatifs, par exemple à la Maison Jeanne-Garnier (Paris) à la fin des années cinquante.

Des situations nouvelles

Les progrès de la médecine et plus particulièrement de la réanimation ont engendré des situations nouvelles en maintenant en vie des patients qui n’auraient pas survécu auparavant, y compris lorsque le cerveau est définitivement détruit (comas plus ou moins profonds, paralysies plus ou moins étendues, états végétatifs chroniques…). Des situations qui vont aboutir ou non au décès du patient dans des délais désormais très variables. Et dans lesquelles, une fois une réanimation engagée, la décision d’interrompre les traitements était très difficile à prendre avant les lois Kouchner (2002) et Leonetti (2005) relatives aux droits des malades. La loi Leonetti ne définit pas la fin de vie mais s’appuie sur la notion de « phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable » pour développer des pratiques soignantes palliatives. Par la suite, des expressions comme “phase ultime” ou “phase terminale” ont été employées par les spécialistes pour évoquer la toute fin de vie, au sein de laquelle peuvent encore être distinguées les phases “pré-agoniques” et “agoniques”.

LE PATIENT EN FIN DE VIE

Une situation incertaine

« Sans prendre cela pour une plaisanterie, il faut bien reconnaître que c’est une fois que le malade est décédé qu’on peut dire, a posteriori, qu’il était en fin de vie… », écrivait en mai 1998 le Dr Jacques Girardier, responsable d’une unité de soins palliatifs (USP)(1). Rappelant que « dans tous les cas, cette affirmation est chargée d’incertitude », tant le moment du décès reste imprévisible, « soit par sa précocité que rien ne laissait prévoir, soit au contraire par le temps interminable qui précède sa survenue ».

Le diagnostic de fin de vie

Il implique autant la compétence médicale que l’expérience du médecin qui le pose. Il repose sur :

→ la constatation d’une altération irréversible d’une fonction vitale ;

→ l’évolution inexorable d’une maladie fatale malgré les traitements mis en œuvre ;

→ l’observation et l’examen clinique qui ne trompent guère un médecin expérimenté.

Malgré la compétence et l’expérience du médecin, « ce diagnostic n’est pas toujours exact et les erreurs ne sont pas rares, souligne le Dr Jacques Girardier. Pour preuve, les malades qui ont séjourné en USP, qui sont sortis et sont toujours en vie. » Les USP étant considérées comme le recours le plus spécialisé pour prendre en charge une fin de vie.

Les éléments du diagnostic

Ils reposent à la fois sur la (les) maladie (s) en cause et leur stade d’avancement, mis en balance avec les possibilités de la médecine curative. C’est surtout sur ce dernier point que les positions des uns et des autres divergent entre la poursuite des traitements possibles mais jugés inutiles (voire délétères) pour le patient ou leur arrêt.

Les symptômes de la maladie

Ils sont une composante importante de la souffrance du patient jusqu’à devenir insupportables pour le malade et son entourage, et parfois pour l’équipe soignante. Ce qui peut avoir des répercussions sur les choix thérapeutiques.

Le parcours de soin

L’analyse du parcours médical du patient est capitale à ce stade. Le médecin doit connaître la date du diagnostic et le temps écoulé depuis, les différentes séquences thérapeutiques mises en œuvre et leurs effets. Ce qui nécessite de disposer de dossiers médicaux bien tenus.

L’atteinte de l’intégrité du corps

Amaigrissement, cachexie, mutilations successives, handicaps et atteinte de l’image corporelle peuvent donner au malade un aspect difficile à regarder, parfois jugé repoussant, ce dont il se rend bien compte.

L’atteinte de l’état général

L’amaigrissement, la perte de force et surtout la fatigue entraînent la diminution progressive des capacités à exécuter tout ce qui représentait la vie pour le patient. Cette incapacité à agir est « la plus grande source de souffrance, explique le Dr Girardier, puisqu’elle va entraîner de multiples pertes : du rôle social et familial et de la capacité de faire encore des projets. Et tous les malades la ressentent ». Cette incapacité entraîne une extrême lassitude.

LA FIN DE VIE EN FRANCE

Le choix du domicile

Le lieu de vie privilégié

Dans son rapport publié en 2013(2), l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) met en lumière les différentes représentations du domicile. Considéré comme le lieu de l’identité, le “chez soi” est associé à une fin de vie moins “déshumanisée” qu’à l’hôpital. Le domicile est aussi le lieu des habitudes, “l’habitation” où l’on vit de façon durable, et d’une forme de stabilité dans l’existence, la “demeure”. Ainsi le maintien à domicile permet l’espoir de pouvoir préserver le plus possible ses habitudes de vie malgré les effets de la maladie. À l’inverse, l’hospitalisation porte l’idée d’une rupture du cours de la vie. Le domicile est encore le lieu de la sécurité, le “refuge”. Il donne l’espoir de pouvoir mieux lutter face à l’évolution de la maladie.

Les lieux de fin de vie/de décès

« Alors que 81 % des Français souhaiteraient passer leurs derniers instants chez eux, seuls 25,5 % des décès surviennent à domicile », rappelle le rapport de l’ONFV, ajoutant qu’il convient de distinguer les souhaits de “finir sa vie chez soi” et ceux de “mourir à domicile”. Ce qui n’est pas toujours équivalent, d’autant qu’en pratique, des allers-retours entre le domicile et l’hôpital surviennent à l’approche du décès. Ainsi, la proportion de personnes hospitalisées passe de 30 % à 63,8 % au cours du dernier mois de vie. Seul un tiers des personnes qui vivait à son domicile un mois avant son décès y meurt effectivement(2). Dans cette période, le départ de l’hôpital pour un retour à domicile est beaucoup plus rare et ne concerne que 2 % des cas de décès. La présence de l’entourage est alors un facteur essentiel : 99 % des personnes transférées de l’hôpital vers le domicile bénéficient d’un entourage familial.

Des souhaits fluctuants

Les souhaits concernant le lieu de la fin de vie peuvent évoluer au fur et à mesure que la maladie progresse. Une étude récente menée auprès de 380 patients montre que 10 % d’entre eux ont changé de préférence concernant le lieu de fin de vie, en passant du domicile à l’hôpital(2). De fait, les souhaits exprimés a priori, lorsque la personne est encore en bonne santé, doivent être accueillis avec prudence. Ils reposent plus souvent sur des projections que sur une expérience personnelle et peuvent évoluer significativement lorsque la personne est atteinte d’une maladie grave.

Des obstacles au maintien à domicile(3)

La complexité des soins

Lorsque les préférences des personnes en fin de vie sont connues du médecin, plus de la moitié d’entre elles (environ 55 %) souhaiteraient décéder à domicile, mais seules 69 % verront leur vœu se réaliser car 25 % finiront leurs jours à l’hôpital et 6 % en maison de retraite. Parmi les raisons qui l’expliquent :

→ la complexité des soins qui rend le maintien à domicile impossible et impose un transfert vers l’hôpital dans 76 % des cas ;

→ l’opposition des proches au maintien à domicile (souvent en lien avec la complexité des soins) dans 16 % des cas.

La volonté de la famille

Lorsque les souhaits du patient diffèrent de ceux de la famille, le choix de la famille est largement privilégié (82 % des cas). Quand le médecin ne connaît pas la volonté du patient à cause de son état de santé (inconscience, sédation) ou de son état mental (confusion, démence), la famille opte le plus souvent pour une prise en charge en institution : l’hôpital pour 55 % des familles et la maison de retraite pour 31 %.

LA PRISE EN CHARGE

L’adaptation des pratiques soignantes

Le stade de la fin de vie marque la sortie des thérapeutiques intensives à visée curative désormais inutiles au patient qui n’en subirait plus que les inconvénients. Elles privilégient un “prendre soin” qui a pour objectif de donner au patient la possibilité de vivre dignement cette ultime étape, jusqu’à la mort considérée comme faisant partie de la vie. La fin de vie est aussi une période où le patient peut faire des choix sur la façon de vivre le temps qui lui reste et sur les thérapeutiques envisageables. Cette conception de la fin de vie est à l’origine du développement des soins palliatifs.

Les soins palliatifs

« Le soutien d’une équipe de soins palliatifs permet de mieux répondre aux attentes du patient en fin de vie et de son entourage, tant du point de vue de l’accompagnement que d’un point de vue médical et thérapeutique. La prise en charge est beaucoup plus difficile pour l’infirmière en l’absence d’une plateforme de type EMSP [équipe mobile de soins palliatifs] ou réseau de soins palliatifs à domicile », observe Brigitte Lecointre, infirmière libérale à Nice (Alpes-Maritimes), présidente de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide) et par ailleurs membre de notre comité scientifique.

Des soins adaptés

Les soins palliatifs sont associés à la fin de vie car ils « visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage », selon la loi du 9 juin 1999(3), qui ajoute que le recours aux soins palliatifs et à un accompagnement est un droit pour « toute personne malade dont l’état le requiert ». Les soins palliatifs ne devraient pas se limiter à la toute fin de vie, pourtant les équipes de soins palliatifs sont souvent sollicitées tardivement dans la prise en charge.

Des demandes tardives

« Même si les mentalités évoluent, les réseaux et les équipes mobiles de soins palliatifs peuvent encore être appelés tardivement, à quelques jours ou heures du décès. Parfois en catastrophe pour un patient somnolent, voire comateux, une dyspnée avec encombrement bronchique, ou lorsqu’il n’y a plus de communication possible avec le patient », constate Frédérique Lacour, cadre de santé, coordinatrice du réseau Quiétude à Paris. Elle relève trois types de situations en cause :

→ lorsque le médecin traitant découvre la situation avancée d’un patient qu’il n’a pas vu depuis longtemps ou lorsque c’est un nouveau médecin généraliste qui rencontre le patient, un médecin remplaçant par exemple ;

→ lorsqu’une détérioration brutale survient sur un état de santé relativement stable jusqu’alors, par exemple en cas d’infection ;

→ lorsque l’équipe mobile a été contactée par le médecin traitant pour une situation stable, mais que la famille estime qu’il est trop tôt pour les soins palliatifs, ne souhaitant les solliciter que lorsqu’un transfert en USP s’imposera. « Il est alors utile de préciser que si le patient va trop mal, il ne sera plus transportable. Ce n’est pas toujours facile à mettre en place », avertit Frédérique Lacour.

En situation d’urgence

Le traitement des symptômes inconfortables

C’est la priorité. Le médecin coordonnateur du réseau ou de l’EMSP contacte par téléphone ou rencontre à domicile le médecin traitant et ils se mettent d’accord sur les prescriptions à rédiger. La prise en charge de symptômes comme un encombrement bronchique ou une douleur est un soulagement pour le patient et pour la famille.

L’organisation du domicile

Viennent ensuite les questions de l’organisation des soins. Y a-t-il des aides ? Lesquelles ? Sachant qu’il est difficile de mobiliser en urgence un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ou un service d’hospitalisation à domicile (HAD). Certains aidants, quoique surpris par la rapidité de l’évolution de la situation, restent mobilisés pour garder leur proche au domicile et ne demandent pas ou ne souhaitent pas d’aide supplémentaire. D’autres sont déjà soutenus par une infirmière libérale, un Ssiad ou une HAD. « Il faut néanmoins souvent renforcer les interventions des auxiliaires de vie pour la journée et parfois pour la nuit », remarque la cadre de santé du réseau Quiétude.

Prévoir une hospitalisation

« En situation d’urgence, une fois les symptômes traités, deux questions se posent. Quel délai reste-t-il à vivre au patient ? Ce qui est toujours une incertitude très difficile à prévoir. Et le patient serait-il transportable si besoin ? », explique Frédérique Lacour. C’est alors le médecin coordonnateur qui évalue la situation et fait des propositions au médecin traitant, toujours en charge des prescriptions. « Cette évaluation de la situation globale n’est pas scientifique et repose sur le ressenti de l’équipe au vu de l’état du patient, de l’état des familles et de l’organisation du domicile », note la cadre de santé. En présence d’enfants en bas âge par exemple, ou lorsque la famille est épuisée, il convient de s’enquérir de la possibilité d’une hospitalisation en USP. Lorsque celle-ci est possible, le patient, s’il est encore en capacité d’exprimer une volonté, et/ou la famille, en sont informés. « Il arrive que les familles choisissent alors de garder leur proche à domicile parce qu’il reste peu de temps, alors qu’ils avaient auparavant pensé à une hospitalisation. Les changements de souhaits pouvant se faire dans les deux sens », indique Frédérique Lacour.

(1) “Le malade en fin de vie. L’évaluation en question”, Docteur Jacques Girardier, médecin chef d’établissement, unité de soins palliatifs La Mirandière de Quétigny (Côte-d’Or), mai 1998. À retrouver sur www.usp-lamirandiere.com

(2) “Vivre la fin de sa vie chez soi”, Observatoire national de la fin de vie, mars 2013.

(3) D’après “Mourir chez soi : un souhait majoritaire mais une situation peu fréquente”, Populations et Sociétés, n° 524, juillet-août 2015.

Principales causes de décès à domicile

→ Cancers : plus d’un quart des décès par cancer survenait à domicile en 1990 contre 17,7 % d’entre eux en 2010.

→ Maladies cardiovasculaires : environ 30 % en 2010.

→ Maladies du système nerveux (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques, etc.) : ces pathologies ont largement progressé, mais elles ne représentent aujourd’hui que 6,5 % des décès à domicile.

Source : Observatoire national de la fin de vie, « Vivre la fin de vie chez soi », p.14, 2013.

Évolution des lieux de décès en France

→ La proportion de décès à domicile a sensiblement diminué au cours des vingt dernières années, passant de 28,6 % de l’ensemble des décès en 1990 à 25,5 % en 2009.

→ La part des décès survenant à l’hôpital (établissements publics et privés) est restée parfaitement stable durant cette période (57,5 % des décès).

→ La part des décès en maison de retraite est passée de 8 % des décès en 1990 à 11,6 % en 2010.

Source : Observatoire national de la fin de vie, “Vivre la fin de vie chez soi”, p. 13, 2013.