Soigner l’image des défunts - L'Infirmière Libérale Magazine n° 309 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 309 du 01/12/2014

 

Frédéric Nicolas, thanatopracteur à Chartrettes (Seine-et-Marne)

La vie des autres

ANNE-LISE FAVIER  

Il a commencé comme coiffeur, et il continue de « rendre les gens beaux », mais dans un autre registre. Frédéric Nicolas est thanatopracteur depuis dix-sept ans : c’est lui qui s’occupe d’habiller, maquiller et coiffer les défunts pour renvoyer une dernière image d’eux apaisée.

La première fois que j’ai été en contact direct avec la thanatopraxie a failli être la dernière. J’avais 21 ans. Mon futur beau-père était lui-même thanatopracteur et j’avais voulu voir de quoi il s’agissait. Je suis sorti avant même d’avoir pu approcher le défunt », confie d’emblée Frédéric Nicolas, thanatopracteur et dirigeant de sa propre société, APM, Assistance post mortem. Pourtant, depuis ses 15 ans, il s’était lancé en apprentissage dans la coiffure. Mais, lorsque le salon de coiffure dans lequel il travaillait a été racheté, c’était pour lui l’occasion d’opérer un changement : « Je me suis dit qu’il fallait changer de métier et j’ai voulu essayer la thanatopraxie. Je savais ce que faisait un thanatopracteur puisque mon beau-père m’avait déjà expliqué en quoi cela consistait. »

Dans l’intimité du défunt

Il se décide donc à se former pour devenir thanatopracteur : « J’ai passé l’examen national en 1998 et je me suis formé principalement dans l’entreprise où mon beau-père travaillait. À l’époque, la profession n’était pas encore régie par un numerus clausus. Depuis, les choses ont évolué et l’État régule le flux de nouveaux professionnels formés. »

Après une année de formation dont une dizaine de semaines de théorie pour connaître l’anatomie et la physiologie, Frédéric Nicolas progresse sur le terrain, au gré des évolutions du marché funéraire, toujours en mouvance. Si la profession de thanatopracteur a un statut officiel depuis 1971, la majorité des professionnels travaillent en indépendant, les entreprises de pompes funèbres faisant appel à leurs services pour une partie de la prise en charge des défunts. « Les familles pensent souvent que nous faisons partie de l’entreprise de pompes funèbres, c’est très rare que les proches des défunts fassent appel à nous directement », explique-t-il. Et pourtant, c’est lui qui est en première ligne lors d’un décès : il se déplace au domicile du patient, pénètre dans l’intimité des familles, cherche à mieux connaître les habitudes du défunt pour ensuite lui prodiguer des soins adaptés et mieux le préparer : « Je me renseigne pour savoir si la personne était coquette, par exemple, pour éviter de maquiller une mamie qui ne l’avait jamais été de sa vie. » Mais le domicile n’est pas le seul endroit où Frédéric Nicolas pratique la thanatopraxie puisqu’il se déplace beaucoup dans les hôpitaux et les funérariums : « C’est beaucoup plus pratique pour nous de travailler dans ces endroits plutôt qu’au domicile, car nous avons un environnement de travail qui facilite les choses, avec notamment une table que nous pouvons mettre à notre hauteur pour tourner autour du défunt et faire les différents soins de conservation. »

Il faut dire que les soins de thanatopraxie nécessitent de manipuler et bouger le défunt, l’habiller, effectuer des ponctions de fluide corporel ou encore des injections de solutions de conservation, ce qui n’est pas pratique et sans risque lorsque les choses se passent au domicile du patient (lire l’encadré ci-contre). Sans compter l’aspect émotionnel vis-à-vis des familles qui est bien prégnant lorsque la prise en charge se fait directement au lit du mort : « Généralement, les proches du défunt nous laissent travailler sans poser de questions, mais il m’est arrivé d’avoir des personnes “insistantes”. Une épouse a même voulu assister aux soins funéraires que j’effectuais sur son mari, qui reposait dans leur lit, et s’est assise en tailleur pendant que je le préparais », raconte-t-il.

Effacer les signes de la mort

Armé de tout un équipement individuel jetable et étanche (gants, masque, blouse), lunettes, charlotte, le thanatopracteur prépare la personne décédée pour que le corps soit présentable aux familles. « La thanatopraxie se développe de plus en plus en France car les gens veulent se détacher de plus en plus de l’image que la mort véhicule. Ils veulent faire en sorte d’effacer les signes qui y font penser. » Dans ce but, il s’arme aussi de maquillage pour redonner des couleurs aux défunts : « J’utilise du maquillage de théâtre, bien couvrant, riche en pigments pour que le maquillage tienne, et il peut également m’arriver de refaire des retouches sur les cheveux. Mais je n’accède pas aux demandes saugrenues, comme j’ai pu en avoir, de refaire une couleur ou une permanente », tempère cet ancien coiffeur. Car soigner l’image des défunts, c’est aussi réussir un savant équilibre entre souhait des familles, traditions culturelles et religieuses, mais aussi respect du défunt : « Dans certaines religions, la thanatopraxie est interdite, sauf si le corps du défunt est rapatrié dans son pays d’origine, comme pour les Musulmans ou les Juifs. Dans d’autres, il faut habiller le défunt de certaines tenues, selon les coutumes en vigueur, par exemple plusieurs épaisseurs de vêtements chez les Hindouistes du Laos, ou encore en robe de mariée chez certaines personnes issues de la communauté africaine. » Mais le professionnel s’interdit tout ce qui pourrait avoir un impact sur le respect des défunts. Quant à savoir comment il réussit à côtoyer la mort au quotidien, il s’en explique : « Une fois que je revêts ma tenue pour faire les soins, j’entre dans une routine professionnelle et rien ne m’atteint, je suis un technicien, c’est tout. » Aucune quête spirituelle derrière tout ça. Pour lui, le fil rouge, c’est de restaurer l’image des défunts, de rendre « les gens beaux » comme il aime à le rappeler. « Je travaille avant tout pour les vivants et, même si une image nous colle à la peau, je m’estime loin de tout ça, je sers les familles dans le processus de deuil. »

Il dit de vous !

« J’ai un très grand respect pour les Idels. Je crois que je ne pourrais pas faire leur travail, car il y a toute cette dimension psychologique à laquelleelles sont confrontées au quotidien avec leurs patients. Elles sont en première ligne face à la détresse des gens. Elles pourraient me rétorquer que mon métier est difficile, pour les mêmes raisons, mais je m’apparente plus à un technicien, j’effectue certains gestes de manière détachée, pas elles : elles intègrent plus d’humanité dans leurs pratiques. J’ai remarqué que certaines d’entre elles, celles qui ont le plus d’expérience dans le métier, accompagnent les défunts jusqu’au bout : il arrive qu’elles fassent leur dernière toilette, qu’elles les habillent. Actuellement, j’interviens en Ifsi pour expliquer les gestes à faire et à ne pas faire en cas de décès : il ne faut pas avoir peur des soins de conservation, il faut juste les penser différemment, comme un soin prodigué aux morts. »

SOINS AU DOMICILE

Une réglementation en attente d’évolution

Les soins de conservation peuvent exposer les thanatopracteurs à certains risques biologiques (exposition au sang, bactéries multirésistantes) ou chimiques, surtout lorsqu’ils sont réalisés au domicile des défunts. La France est d’ailleurs le seul pays où les soins funéraires peuvent encore être pratiqués au domicile mais un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (tinyurl.com/k3wwdmw) pourrait changer la donne. Il préconise notamment que la pratique de la thanatopraxie soit réservée aux seuls lieux dédiés que sont les chambres mortuaires et funéraires. Il appelle également à la levée de l’interdiction des soins pour les défunts porteurs du VIH ou de l’hépatite. Ce qui n’est pas du goût des thanatopracteurs qui y voient un risque supplémentaire dans l’exercice de leur profession.