Suivi du traitement morphinique - L'Infirmière Libérale Magazine n° 258 du 01/04/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 258 du 01/04/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme G. est suivie à la suite d'une fracture du bassin. Elle a une prescription d'antalgique morphinique sous forme d'un Skénan® matin et soir et d'un Actiskénan® à 10 h et à 16 h, à prendre en fonction de la douleur. Vous la trouvez algique à la visite du soir et elle vous confie ne pas prendre la dose intermédiaire d'Actiskénan®.

Vous essayez de lui faire développer ses craintes vis-à-vis du médicament prescrit. Vous reprenez avec elle l'intérêt et le choix de sa prescription, en vérifiant qu'elle ne présente pas d'effets indésirables liés au traitement tels qu'ils imposent de le modifier.

STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES

En fonction de la douleur

La prescription d'opioïdes forts d'emblée est une possibilité en cas de douleur par excès de nociception très intense. Une douleur quotidienne intense et permanente conduit à recommander une forme à libération prolongée (LP). Des douleurs intenses mais intermittentes peuvent justifier le recours à une forme à libération immédiate (LI).

Posologie

Avec la morphine, il n'y a pas de limite supérieure tant que les effets indésirables sont contrôlés. Les doses efficaces sont déterminées individuellement dans le but d'obtenir un soulagement correct en dépit d'effets indésirables qui doivent rester acceptables.

Il ne faut pas s'attarder sur une posologie qui s'avère inefficace. Le patient doit donc être vu de manière rapprochée, principalement à l'instauration du traitement, tant que la douleur n'est pas contrôlée.

Voie d'administration

La voie orale est privilégiée, chaque fois qu'elle est possible.

La voie parentérale (sous-cutanée ou intraveineuse) est intéressante en cas de vomissements, de tumeurs gastro-intestinales ou ORL. Cette voie permet également de traiter les douleurs instables qui réapparaissent entre deux prises de morphine orale. En cas de traitement prolongé par pompe ou seringue autopropulsée, la voie intraveineuse est préférée à la voie sous-cutanée.

Les voies invasives, médullaire (péridurale ou intrathécale), ou intra-cérébro-ventriculaire, peuvent être utilisées chez certains cancéreux dont les douleurs sont mal contrôlées ou mal tolérées par des doses maximales de morphine par voie orale ou injectable.

QUELQUES IDÉES REÇUES

On me prescrit de la morphine, c'est grave ?

L'utilisation de la morphine est liée à l'intensité de la douleur et non à la gravité de la maladie. Si une douleur est intense, cela ne signifie pas forcément que sa cause est grave. Les douleurs de la «rage de dent» ou de la colique néphrétique sont parmi les douleurs les plus intenses.

C'est la «mort fine»

À tort, la morphine est souvent associée à l'idée de mort parce qu'elle a longtemps été réservée aux personnes en fin de vie. Aujourd'hui, elle est reconnue comme médicament indispensable pour lutter contre certaines douleurs intenses, cancéreuses ou non. Elle a permis d'améliorer la prise en charge de la douleur.

Cela fait dormir

La somnolence est fréquente au début du traitement ou lorsque les dosages augmentent. Cet effet est dû à la fois au manque de sommeil accumulé à cause de la douleur et à l'action sédative des opioïdes. La somnolence est généralement passagère et s'atténue progressivement. Si elle persiste ou s'accentue, le médecin peut adapter le traitement en diminuant la posologie ou en changeant de médicament («rotation des opioïdes»).

C'est une drogue qui rend «accro»

Dans le passé

Au XIXe siècle, la morphine, dont on ne connaissait pas les effets indésirables, était en vente libre et utilisée massivement pour tous types de douleurs ou autres symptômes. Cette situation a provoqué des phénomènes de toxicomanie chez des personnes prédisposées ou l'ayant mal utilisée.

Aujourd'hui

La morphine est classée comme stupéfiant et son utilisation est réglementée. Les études scientifiques montrent que la morphine utilisée dans de bonnes conditions pour traiter la douleur n'entraîne pas de toxicomanie, même si elle est prise à long terme. L'utilisation de la morphine est aujourd'hui basée sur des données scientifiques.

Après la morphine, plus rien ne marchera

La morphine utilisée pour des douleurs gardera son efficacité pour d'autres contextes. En revanche, une douleur mal soulagée peut s'installer, devenir plus forte, et nécessiter des doses plus importantes de morphine. Par ailleurs, des opioïdes plus puissants que la morphine peuvent être utilisés si la morphine n'est pas suffisamment efficace.

Les effets secondaires sont pires que la douleur

Les effets secondaires de la morphine ne sont pas systématiques et peuvent être contrôlés par des traitements adaptés (antiémétique contre les nausées et laxatifs quotidiens contre la constipation). Les effets secondaires les plus redoutés - les hallucinations, les troubles psychiques - sont extrêmement rares et souvent transitoires. Ils sont dûs en général à un surdosage qui est facilement contrôlé.

SURVEILLANCE DES EFFETS INDÉSIRABLES

La constipation

L'effet le plus fréquent

Les opioïdes entraînent presque toujours une constipation. Elle doit être surveillée pendant toute la durée du traitement. Elle doit être combattue par la prescription simultanée de laxatifs.

Il est conseillé de prendre ce laxatif dès la première prise du traitement opioïde et pendant toute sa durée. Le but est de maintenir le transit habituel du patient. En cas de diarrhée (plus de trois selles quotidiennes), la dose de laxatif est diminué avec l'accord du médecin.

Définition de la constipation

On peut considérer qu'une personne est constipée lorsqu'elle présente moins de 3 selles spontanées par semaine et un ou plusieurs autres symptômes relatifs aux selles :

→ la sensation d'une impression d'exonération incomplète ;

→ les difficultés d'évacuation des selles (efforts de défécation) ;

→ des selles grumeleuses ou sous formes de petites billes.

Quelques conseils

→ Boire très souvent de petites quantités de liquides : eau, jus de fruits, tisanes, laitages, soupes, café, thé, lait...

→ Consommer des fruits et légumes crus et cuits, sous toutes les formes (frais, surgelés, en conserve ou secs).

→ Limiter les aliments ralentissant le transit (riz, carottes cuites, bananes).

→ Maintenir une activité physique dans la mesure du possible.

→ Se masser le ventre.

→ Maintenir des conditions confortables pour aller aux toilettes et y aller régulièrement, même sans envie.

Nausées et vomissements

Action émétique

Des nausées ou des vomissements sont possibles en début de traitement. Non systématiques, ils disparaissent généralement en une semaine environ. S'ils durent plus, le médecin peut adapter le traitement. Si le traitement antalgique est efficace, il est préférable de traiter les nausées plutôt que d'abandonner le médicament antalgique. Un traitement antiémétique prescrit en prévention pourra être interrompu la plupart du temps après quelques jours.

Quelques conseils

→ Privilégier les aliments froids ou tièdes, moins odorants que les chauds.

→ Éviter les aliments lourds, difficiles à digérer (aliments frits, gras ou épicés...).

→ Consommer plutôt des aliments blancs (purée, riz, poulet, crème...) : moins excitants visuellement que les couleurs, ils provoquent moins de sensations de nausées.

→ Privilégier plusieurs petits repas, plutôt que deux repas traditionnels, plus longs à digérer.

→ Manger lentement afin de faciliter la digestion.

→ Éviter de boire pendant les repas, boire plutôt avant ou après. Les boissons gazeuses fraîches, à base de cola notamment, aident parfois à diminuer les nausées.

La somnolence

Un effet transitoire

La morphine peut agir sur le comportement psychomoteur et provoquer, selon les doses et le terrain, sédation ou excitation. La somnolence survient essentiellement en début de traitement et disparaît en quelques jours. La persistance ou la réapparition d'une somnolence au-delà de quelques jours doit faire rechercher un trouble métabolique (notamment hépatique ou rénal) ou une potentialisation par des traitements associés.

Un signe de surdosage

La somnolence peut constituer un signe d'appel précoce de l'apparition d'une dépression respiratoire. Elle s'accompagne alors d'autres signes de surdosage : myosis extrême, hypotension, hypothermie, coma.

Autres troubles neuropsychiques

Désorientation et vertiges sont fréquents lors de l'instauration du traitement. Ils diminuent souvent après quelques jours de traitement. Lorsqu'ils existent malgré une mise en route progressive du traitement et après élimination de toute autre cause potentielle (troubles métaboliques, atteinte neurologique...), ils peuvent être traités par prescription conjointe d'un neuroleptique. →

La rotation des opioïdes

→ La rotation des opioïdes se définit par le changement d'un opioïde par un autre et se justifie lorsqu'il survient une diminution du ratio bénéfice/risque.

→ L'indication principale de la rotation des opioïdes est la survenue d'effets indésirables rebelles (troubles des fonctions cognitives, hallucinations, myoclonies et nausées), malgré un traitement symptomatique adéquat.

→ L'autre indication de la rotation est la survenue exceptionnelle d'un phénomène de résistance aux opioïdes. Il se définit par une absence d'efficacité de l'opioïde, et par une absence d'effet indésirable, malgré une augmentation massive et rapide des doses de l'opioïde.

Conduite à tenir en cas de surdosage par opioïdes

→ Le surdosage par morphine orale, et par opioïdes en général, est principalement caractérisé par une somnolence croissante. Celle-ci s'accompagne d'une insuffisance respiratoire caractérisée par une bradypnée par augmentation du temps de pause expiratoire (risque d'apnée).

→ Le traitement de la dépression respiratoire sévère (fréquence respiratoire inférieure à 8/minute environ) est principalement assuré par l'arrêt de l'opioïde, la stimulation du malade, une oxygénothérapie, l'injection de naloxone. Une surveillance permanente est nécessaire, voire un transfert médicalisé en réanimation.