Mieux véhiculer les soins infirmiers - L'Infirmière Libérale Magazine n° 255 du 01/01/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 255 du 01/01/2010

 

FINISTÈRE

Initiatives

Chez les pompiers, la présence sur les lieux d'intervention d'un véhicule spécifique aux infirmiers continue de se développer. C'est le cas depuis moins d'un an dans le Finistère, où le lieutenant Thérésanne Garde, pompier volontaire et infirmière libérale, est régulièrement appelée à intervenir sans perdre de temps aux côtés des héros du feu.

Ses dernières vacances, il y a un an, n'ont duré qu'une semaine. Et son planning ne désemplit pas. Ce mois-ci, à ses dix-huit jours comme libérale dans un cabinet de La Forêt-Fouesnant (Finistère) s'ajoute son engagement comme pompier volontaire. Gardes en caserne ; astreintes à domicile pendant lesquelles elle est joignable par bip ; vaccination contre la grippe au Service départemental d'incendie et de secours ; animation d'une formation en secours à personne, durant laquelle elle peut aussi être sollicitée comme «soutien sanitaire» pour des pompiers qui se blesseraient en intervention... « Vous ne me ferez pas rester trois jours à la maison. Même s'il pleut, j'ai besoin d'aller dehors », affirme Thérésanne Garde. Et cette mère de deux enfants, qui peut compter sur le soutien de son mari Sylvain, de relativiser : il lui reste quand même quelques jours de repos...

« Les pieds dans les bottes »

Les premiers pas de Thérésanne chez les pompiers datent d'il y a quinze ans. À cette époque, fraîchement diplômée, elle exerce en gériatrie, près de la frontière suisse, à Gex. « Un facteur m'a dit que ce serait bien que des infirmières rejoignent la caserne, pour apporter un plus en termes de formation, de connaissances. » Avec deux autres hospitalières, la jeune femme de 23 ans met « les pieds dans les bottes ». Et devient «homme de rang». Cinq ans plus tard, la Costarmoricaine s'installe en Bretagne, en libéral.

Mais comment concilier ce mode d'exercice avec la garde, une semaine sur quatre, de pompier volontaire ? La création des Services de santé et de secours médical change la donne : Thérésanne entre chez les pompiers finistériens comme infirmière. « Le fonctionnement est différent : on donne nos disponibilités par rapport au temps qui nous reste dans le mois. »

Se sent-elle infirmière ou pompier ? « Je suis d'abord infirmière, mais aussi pompier. Je ne peux pas différencier. » Simplement, son rôle a changé. L'infirmière bretonne ne va plus au feu, ce qui n'est pas forcément pour lui déplaire, à en croire le récit qu'elle fait d'un incendie de véhicules qu'elle a combattu en première ligne.

Désormais, comme infirmière, elle réalise de nombreuses missions : des visites médicales pour les pompiers jusqu'aux opérations de secours. Elle monte alors dans l'ambulance avec les autres pompiers ou, depuis le 1er mars 2009, les rejoint sur place à bord du véhicule de liaison infirmier (VLI). Un véhicule opérationnel le week-end pour le moment, puis tous les jours quand le nombre de vingt-cinq infirmiers - douze de plus qu'aujourd'hui - sera atteint dans le groupement de Concarneau-Quimperlé.

Davantage d'autonomie

Médicaments, matériel pour piqûres, détecteurs de monoxyde de carbone, rampe de distribution d'oxygène, scope : dans le VLI, la professionnelle trouve de quoi dresser un bilan infirmier et prodiguer certains soins, par exemple aux pompiers victimes de brûlures ou d'intoxications au cyanure causées par les fumées d'incendies. Et pour toute personne secourue, l'infirmière peut, selon son diagnostic, appliquer des protocoles de soins d'urgence, sorte d'ordonnances validées à l'avance. Le VLI est ainsi appelé, en attendant une médicalisation, dans des situations précises, lors d'une crise convulsive, d'un arrêt cardiaque, d'un problème de tension, d'une hypoglycémie, d'une hémorragie, d'une douleur - comme pour cette patiente, victime d'une fracture du col du fémur, dont il fallait améliorer le confort avant son transport à l'hôpital et le franchissement de dos d'âne... Dans une poche de son uniforme, Thérésanne conserve des fiches plastifiées, avec des arbres décisionnels. Elle n'hésite pas à les consulter : « Pour être sûre de ce que je fais, pour ne pas faire d'erreur par rapport au dosage d'un médicament. » Car urgence ne rime pas avec précipitation.

L'avantage du VLI de Thérésanne, qui intervient dans une zone de vingt minutes autour de Quimperlé ? « Nous sommes plus autonomes. Pendant que les autres pompiers amènent la personne à l'hôpital, je rentre à la caserne et je peux alors être disponible pour une autre intervention. »

Toute infirmière est lieutenant, un grade qui modifie le montant de son indemnisation(1), mais pas l'exercice du commandement : « Nous ne sommes pas là pour prendre la direction de l'intervention. » La création du VLI clarifie les rôles des hommes de rang et des infirmiers sapeurs-pompiers (ISP). Pendant la prise en charge de la victime par les premiers (interrogation, mesure du pouls, ventilation, etc.), les seconds se tiennent « en retrait », en fonction des informations. Si les premiers effectuent un massage cardiaque, les seconds peuvent s'occuper des perfusions. Le seul médicament que tout pompier est habilité à prodiguer est l'oxygène, alors que les pompiers médecins et infirmiers peuvent délivrer d'autres substances ou piquer. L'ISP peut également interroger le patient sur les médicaments qu'il a pris, épauler les autres pompiers lors de la désincarcération d'une victime de la route ou lors du secours porté à un homme suicidaire. Il peut de plus contacter le 15 pour informer un médecin de ses actes et lui demander s'il peut faire quelque chose de plus.

La présence infirmière, réalisée sous encadrement médical mais presque toujours en absence d'un médecin des pompiers, a pour ambition l'intérêt du patient comme celui des secours. « Nous sommes de mieux en mieux acceptés par les pompiers. Nous bossons ensemble », se réjouit Thérésanne. Dans ce «monde d'hommes», il fallait « faire son trou sans s'imposer ». Et il n'y a « pas de concurrence » non plus avec l'équipe médicale du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) : le VLI lui apporte « un complément » lorsque le Smur n'est pas envoyé. En revanche, « pour un arrêt cardiaque, une crise d'asthme chez l'enfant, un accident de voiture, tout le monde peut être là... » « Quand le Smur arrive, l'ISP passe la main. Il peut aussi être appelé à la demande du Smur », ajoute Franck Le Viavant, infirmier en chef des pompiers finistériens. La coordination des secours et les missions des ISP sont des thèmes cruciaux, récemment abordés à l'Assemblée nationale(2).

Savoir dompter l'urgence

La diversité des interventions fait que le mot «routine» ne fait presque pas partie du vocabulaire pompier. « Même en formation : on rencontre toutes sortes de caractères », note Thérésanne. L'activité libérale est-elle plus répétitive ? « Ce n'est pas comparable. Le libéral, c'est beaucoup plus calme, plus routinier. Mais quand même, nuance l'ancienne infirmière de gériatrie, ce n'est pas de la routine, par rapport à l'hôpital. » Et les logiques des deux activités ne sont, bien sûr, pas les mêmes. « Chez les pompiers, on ne peut pas arrêter une réanimation cardiopulmonaire. En libéral, pour une fin de vie, on utilisera peut-être même de la morphine pour soulager la douleur. » Il arrive aussi que, au cours d'une visite en libéral, survienne une urgence. Un dimanche, une patiente présentait les signes d'un infarctus : Thérésanne a ainsi composé le 15 et transmis les informations aux secours dépêchés sur place. Grâce aux tournées en libéral, elle connaît les patients, leurs pathologies, ce qui peut être utile pour faire un bilan plus précis et rapide.

À l'inverse, son expérience de pompier se révèle utile pour Thérésanne «à la ville». « Je suis plus à l'aise dans l'urgence », assure-t-elle. Elle en a eu confirmation lors d'une formation aux premiers secours destinée aux libérales. « Beaucoup d'infirmières ont des problèmes avec l'urgence », en raison, selon elle, d'un programme de formation insuffisant et faute de pratique régulière, sur mannequin par exemple. « Pour un massage cardiaque, tout le monde sait appuyer. Mais il faut quand même une technique [régulière] pour être efficace, ou savoir combien de fois souffler. » Thérésanne a bénéficié de la «lourde» mais nécessaire formation des pompiers. Son expérience en secours lui permet de nouer des contacts avec ses patients, en lisant avec eux le compte-rendu d'interventions dans le journal. En revanche, elle ne peut leur dévoiler la raison d'une intervention dont ils auraient entendu parler... D'autant qu'elle-même ne sait pas toujours ce que deviennent les personnes auxquelles elle a, en tant que pompier, porté secours. « Un peu frustrant, confie-t-elle. Mais aux urgences, en Smur ou en réa, il y a pas mal d'infirmiers [pompiers] qui nous donnent des nouvelles. »

(1) Chez les volontaires, le montant de la vacation horaire - non imposable - dépend du grade, de l'heure de la journée et du type d'activité : pour un officier, elle va de moins d'un euro pour une astreinte, à 10,52 euros en intervention avant 22 heures.

(2) Cf. le rapport d'information du 8 juillet 2009 (consultable sur ). Le rôle des quelque 4 500 ISP français est également reconnu dans le référentiel «Organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente» du 25 juin 2008 (téléchargeable sur ).

EN SAVOIR +

Pour ses 50 000 interventions annuelles (en majorité des secours à personne), le Service finistérien d'incendie et de secours s'appuie sur 2 450 pompiers, dont 450 «pros». Parmi eux, 79 infirmiers, dont quatre «pros», ont participé à 1 100 interventions dans les onze premiers mois de 2009. Trois véhicules de liaison infirmier - concept qui existe aussi dans d'autres départements - sont en service. Dans le groupement de Thérésanne Garde, les treize infirmiers sont libéraux, hospitaliers, urgentistes ou militaires.