Qualité de vie au travail et management de proximité - Objectif Soins & Management n° HS_2021 du 01/06/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2021 du 01/06/2021

 

Qualité & Gestion des Risques

Dossier

Géraldine Drevet  

Le management de proximité constitue un des premiers leviers de développement des conditions de travail et de prévention du stress, donc de la qualité de vie au travail. La réussite d'une démarche de prévention intégrée et pérenne repose sur des équipes impliquées et motivées, une organisation efficiente et la fiabilité de la prise en charge.

Introduction

Ces dernières années, les organisations évoluent entre incertitudes et contraintes, telles que les variations de conjonctures et de temporalités rendant les prévisions aléatoires et la dispensation des soins plus laborieuse. La crise sanitaire actuelle en est l'expression la plus flagrante, avec son lot d'applications et recommandations sans cesse revues et corrigées. Elle bouscule les équilibres fragiles tenus au mieux par les professionnels de santé, et à ce titre, s'avère génératrice de stress.

Si les organisations requièrent flexibilité, adaptabilité permanente, amélioration continue de la qualité des soins, jusqu'à quel point peut-on faire coexister une dynamique d'évolution constante et la prévention du stress des professionnels ? En quoi le management en constitue-t-il un élément-clé ?

L'encadrement de proximité attendu, fondé sur la créativité des personnels, le sens et le partage, fait changer la temporalité du management. Auparavant axé sur une logique d'obéissance, avec un lien binaire de causalité direct, le temps du management était « court ». Il s'agissait de répondre à l'ordre donné. Aujourd'hui, fondé sur une logique de responsabilité de chacun, le management évolue dans un système complexe, au sein duquel le temps s'avère « fluctuant » dans la mesure où il s'agit de trouver collectivement les réponses les plus adaptées aux situations rencontrées.

Stress au travail, un défi à relever

On peut considérer qu'il existe un stress lorsqu'il y a rupture d'harmonie entre l'être humain et son environnement – notamment une réponse de l'organisme aux influences, modifications, sollicitations et tensions – exigeant une adaptation de la part de la personne.

Lorsqu'un individu est soumis à des exigences qui ne correspondent pas à ses capacités, à ses besoins ou aspirations, cette discordance est cause de stress. Selon Patrick Guiol, « si le sujet est capable de s'adapter à ces circonstances nouvelles, le niveau de stress diminuera ultérieurement et l'effet pourra être en fin de compte positif. Ainsi, un défi soudain, par exemple un nouveau projet difficile à exécuter au travail, peut avoir un effet stimulant et inciter l'intéressé à se dépasser. Mais s'il n'est pas capable de s'adapter et si le stress devient un élément chronique et débilitant de sa vie quotidienne, sa santé risque d'être compromise, au point même que sa vie pourra être en danger » [1]. Les mêmes pressions extérieures n'auront donc pas la même incidence sur des personnes différentes. Un alourdissement de la charge de travail qui représenterait, pour l'un, un surcroît de stress indésirable, pourra constituer, pour l'autre, un stimulant bénéfique. De fait, c'est souvent la perte de l'emploi, ou la crainte de cette éventualité, qui cause le stress le plus pernicieux.

La santé d'un individu relie intimement celui-ci à son environnement social. La santé « a toujours témoigné du niveau de développement d'une société, tant du point de vue de sa technologie que de ses rapports sociaux. Ne se limitant pas à relativiser le rôle exclusif de l'intervention médicale, la prise en compte de ce rapport porte attention à la dimension collective plutôt qu'individuelle dans l'explication des phénomènes sanitaires » [1].

Associer les personnels à la politique d'établissement

La santé des personnels représente un enjeu majeur en termes de politiques de santé publique. Si un grand nombre de travaux montrent une dégradation tendancielle des conditions de travail, qui se décline de manière très diverse en fonction du secteur, du statut socioprofessionnel de la personne ou de son sexe, ils restent néanmoins assez silencieux sur une variable qui paraît de la plus grande importance, à savoir, les politiques de management de l'entreprise, impulsées par la direction des ressources humaines. En effet, la question de la participation des personnels à la vie de l'établissement peut constituer une excellente variable de modulation des effets des conditions de travail. L'Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail en admet le principe et affirme que la participation insuffisante à la prise de décision et le manque d'autonomie sur le travail confié peuvent être considérés comme des facteurs impactant les conditions de travail, et in fine, produisant du stress.

Charge psychique et stress

Nombre de facteurs psychosociaux sont autant de causes de stress au travail : « les conflits de rôles, l'ambiguïté ou l'imprécision de la définition des responsabilités au sein de l'organisation, les relations interpersonnelles délétères, l'isolement social ou physique et les mauvais rapports avec les supérieurs [...]. Or, ces caractéristiques appartiennent au contexte du travail et non au contenu du travail. » [2] La charge psychique et le stress constituent, tout particulièrement, la manifestation de conditions de travail non satisfaisantes, qui plus est lorsqu'il existe des déficiences managériales.

Stress, organisation du travail et management : des liens tangibles

Ces deux dernières décennies, l'évolution du travail et de l'emploi dans les entreprises a également impacté les organisations hospitalières, bien que ces structures soient fondamentalement différentes.

Les principes de la « nouvelle économie », c'est-à-dire la mondialisation, la compétitivité, la flexibilité, la productivité, l'autonomie et la qualité totale, masquent une réalité dans laquelle, derrière le langage du management, se pose la question des modes de management et de leur impact sur la santé des salariés.

Il s'agit alors de rechercher une amélioration des conditions de travail dans l'organisation de celui-ci, dans la stabilisation du personnel, dans l'augmentation de l'autonomie des soignants, et par le biais de la gestion des ressources humaines.

 

Accompagner l'encadrement de proximité dans l'intégration d'une démarche de prévention de la dégradation des conditions de travail, comme facteur de performance pour l'hôpital, de qualité des soins dispensés aux patients et de qualité de vie au travail pour les personnels, peut être réalisé selon quatre dimensions [3] :

• les enjeux humains et sociaux : la sécurité au travail et la protection de l'environnement deviennent des exigences sociétales de premier ordre, bases du développement durable des entreprises. Toute atteinte à l'intégrité des femmes et des hommes au travail est considérée comme un dysfonctionnement social ;

• les enjeux managériaux : aujourd'hui, le management de la prévention doit faire partie intégrante de la compétence managériale des encadrants. Par leurs décisions quotidiennes, il leur appartient d'accompagner leurs équipes dans les changements de comportement nécessaires à la prévention des risques « santé, sécurité et environnement » ;

• les enjeux économiques : les accidents du travail et maladies professionnelles entraînent chaque année des coûts financiers colossaux dus à la fois au versement des salaires et indemnités aux personnes concernées et à la perte considérable de journées de travail ;

• les enjeux réglementaires et juridiques : des évolutions fondamentales en matière de responsabilité civile et pénale ont renforcé les exigences vis-à-vis des personnes reconnues responsables : employeurs, délégataires, encadrants et salariés, en cas d'accidents de travail ou de maladies professionnelles, ainsi que les sanctions qu'elles encourent.

La place centrale des modes de management : une réponse À accompagner...

Les modes de management diffèrent le plus souvent en fonction du type d'établissement, du positionnement stratégique, de la nature des activités de soins et du charisme de ses leaders.

Quel management pour appréhender les turbulences d'un exercice infirmier complexe et stressant ?

Des tensions pèsent sur l'organisation des systèmes de santé et tout particulièrement sur la gestion des personnels soignants. Il a été mis en exergue que les infirmières hospitalières ressentent plusieurs formes de stress dans l'exercice de leur métier, dans les champs professionnel, relationnel et organisationnel, ce qui demande une forte mobilisation de leurs compétences individuelles pour faire face à ces situations complexes. En effet, la nécessaire efficacité économique des structures de santé, la réforme du mode de financement des hôpitaux, induisent une intensification du travail, une gestion du temps parfois chaotique, et un travail sous tension. De ce fait, les infirmières tendent à mettre en œuvre « des stratégies complexes de mobilité interne ou externe, ou bien de retrait par le biais du temps partiel » [4]. L'absentéisme constitue également un moyen de se mettre en retrait, avec les conséquences qu'on lui connaît.

Le stress constitue un risque psychosocial certain. Les infirmières représentent une des professions où le stress est manifestement conséquent. Elles doivent trouver un juste équilibre entre détachement et engagement, sans manifester leur stress.

Quel management pour éviter le stress des cadres eux-mêmes ?

On parle peu des conditions de travail des cadres. S'il leur incombe d'être les garants de la qualité et sécurité des soins, de participer à la maîtrise des coûts et de constituer un élément de changement à l'hôpital, par leur place charnière entre l'organisation des activités de soins et la participation au processus décisionnel de l'hôpital, ils n'en sont pas moins des agents comme les autres, face à la pénibilité de la mission confiée et des risques – notamment psychiques – encourus.

Alors, qu'en est-il de l'environnement de travail du cadre de proximité à l'hôpital ?

En quoi les managers sont-ils soumis à des injonctions paradoxales : rechercher sans cesse la performance de l'institution au meilleur coût et, par ailleurs, se poser en leader positif et rassurant de l'ensemble des personnels placés sous leur responsabilité ? En effet, les actions de management destinées à protéger les personnels des troubles induits par les conditions de travail, ne sont pas toujours aisées à mettre en œuvre.

... Par le biais de la qualité de vie au travail

C'est une opportunité pour l'hôpital de repenser sa raison d'être économique mais aussi sociale. Il lui appartient de s'interroger sur sa contribution à l'intérêt général, en se questionnant sur le bien-être au travail. Agir sur la qualité de vie au travail s'inscrit dans une démarche européenne dont les objectifs sont d'assurer la sécurité de l'emploi et des parcours professionnels, de maintenir et promouvoir la santé et le bien-être des salariés, de développer les compétences et enfin, de permettre de concilier la vie professionnelle et la vie hors travail.

Au début des réflexions en la matière, l'Union européenne a identifié dix critères constitutifs des notions de qualité du travail et de l'emploi :

• qualité intrinsèque de l'emploi ;

• compétences et formation tout au long de la vie ;

• égalité entre les hommes et les femmes ;

• santé et sécurité au travail ;

• flexibilité et sécurité ;

• insertion et accès au marché du travail

• organisation du travail et équilibre vie professionnelle et vie privée

• performance économique générale et productivité

• dialogue social et participation des travailleurs

• diversité et non-discrimination.

La qualité de vie au travail consiste donc en une approche humaniste de l'organisation du travail et de son modèle managérial.

Par effet de balancier, elle s'érige en modérateur de la nécessaire atteinte de performance et de rentabilité financière. L'institution hospitalière se doit d'écouter son personnel et d'en « prendre soin », dans l'attente d'une contre-partie appelée la performance individuelle et collective.

La qualité de vie au travail concerne de nombreux domaines différents et variés. C'est donc une approche ouverte à toutes possibilités. Elle doit constituer un enjeu des politiques managériales hospitalières. Selon l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), elle s'articule autour de quatre axes :

• favoriser la gestion des âges tout au long de la vie (gestion des âges) ;

• promouvoir la santé au travail et prévenir les risques professionnels (santé et travail) ;

• développer les démarches liant organisation, compétences et qualifications (travail et compétences) ;

• mieux intégrer les changements technologiques et organisationnels dans l'entreprise (organisation et technologie).

... Et d'un management de proximité « prévenant »

Améliorer la qualité de vie au travail demande de faire évoluer les modes d'organisation de celui-ci afin d'accroître la satisfaction professionnelle (bien-être au travail) des soignants et l'efficacité de la dispensation des soins (performance organisationnelle).

Pour cela, le cadre de santé s'attachera à agir sur les éléments pour lesquels il est en mesure de prendre des décisions en toute autonomie :

• répartition équitable de la charge de travail, par exemple selon 3 critères simples : la toilette (complète, aidée ou autonome), l'incontinence (urinaire, fécale ou seulement nocturne, l'alimentation (aide totale, aide partielle ou autonomie) ;

• développement des compétences et des responsabilités, en octroyant des missions participant à la réflexion collective sur l'évolution des pratiques ;

• mise en œuvre de rythmes de travail conciliant, autant que possible, vie professionnelle et vie personnelle.

Inscrire la qualité de vie au travail dans une logique à la fois qualitative et quantitative favorise l'adhésion aux projets et l'adaptation au changement, en s'appuyant sur les valeurs professionnelles si chères aux soignants.

Il appartient aux cadres de santé d'apporter des améliorations visant à donner aux personnels une meilleure maîtrise de leur environnement, le rendant ainsi moins stressant. Certaines personnes se sentent parfaitement maîtres de la situation, d'autres non. Pour donner aux soignants une meilleure maîtrise de leur travail, il est opportun de promouvoir leur participation aux décisions, reconnaître leurs propositions et leur permettre d'optimiser leur propre gestion du temps.

Pour cela, un management « prévenant » s'appuiera sur différents axes de travail, proposés par Madeleine Estryn-Béhar [1], médecin du travail et experte en conditions de travail :

• favoriser le partage des connaissances de façon pluridisciplinaire (champ commun) et la reconnaissance d'un territoire propre, d'une compétence particulière (champ spécifique) pour chaque métier ;

• reconnaître une autonomie professionnelle des soignants sur leur champ spécifique ;

• améliorer l'influence des soignants sur l'organisation des soins (comment les réaliser, le meilleur moment...) ;

• permettre le développement de la recherche infirmière et la « production d'un savoir » sur les pratiques de nursing et d'éducation ;

• développer les postes de « soignant référent », « tuteur » et « expert » pour des soignants expérimentés et reconnus par leurs pairs (le tutorat aide-soignant peut être expérimenté aussi bien que le tutorat infirmier) ;

• favoriser les perspectives professionnelles pour l'ensemble des agents de tous grades ;

• démontrer que les réalisations, les pratiques de travail et la personne du soignant sont appréciées à leur juste valeur ;

• améliorer le travail d'équipe pluridisciplinaire et la circulation de l'information.

Conclusion

Orientation vers les résultats oblige, le management doit contribuer explicitement à la production des performances et d'une valeur ajoutée visible mais aussi et surtout à la qualité de vie au travail des personnels, corrélée à la qualité de prise en charge des patients.

On n'est manager qu'en situation, dans un contexte donné, dans une fonction donnée, avec des partenaires donnés. Tous les managers, ou presque, ont un certain nombre de pratiques en commun : fixer des objectifs, évaluer les performances, etc., mais ils ne les mettent pas « en musique » de la même façon selon le contexte environnemental. Développer des compétences managériales ne consiste pas seulement à décliner des savoir-faire génériques ou universels, mais passe par une mise en pratique contextualisée de ces savoir-faire.

Depuis un certain nombre d'années déjà, les approches les plus avancées du management s'inscrivent dans le « modèle de la contingence » : il n'existe pas de « bon manager » ou de « bon management » en soi, de « one best way », c'est-à-dire de meilleure pratique dans l'absolu, mais seulement des pratiques plus ou moins adaptées et performantes compte tenu de la situation. Plus le contexte est incertain (instable, changeant et imprévisible), plus l'organisation et le management devront être informels, ou intégrer une dimension informelle (intuitive, flexible, implicite, relationnelle...).

Les complexités et les incertitudes du contexte socio-économique actuel accentuent contradictions et paradoxes, mais elles sont aussi, pour une autre part, constitutives de la fonction d'encadrement qui, par nature, sait agir avec recul, tact et discernement.

Bibliographie

    Les valeurs en temps de crise

    En première approche, la valeur désigne tout ce à quoi nous attachons de l'importance. La solution généralement apportée à la classification des valeurs repose sur la distinction entre valeurs universelles et valeurs contingentes. Nous avons vu combien la crise sanitaire a montré à la population la force des valeurs hospitalières. La conscience professionnelle représente une valeur comportementale, qui sous-tend elle-même la « culture métier ». Cette dernière est très forte chez les soignants, d'où l'exigence de qualité de prise en charge des patients, quel qu'en soit le contexte.

    Les contraintes externes et internes à l'institution hospitalière n'ont pas bousculé ces valeurs, bien au contraire : elles les ont renforcées. Le respect des obligations et les valeurs intrinsèques de partage ont permis aux équipes de soins de « tenir » et de servir la nation, dans sa part la plus noble du « prendre soin ».

    (1) Estryn-Béhar M., Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe. Paris : Presses de l'EHESP, 2008.