Quelle place pour les aidants ? | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2019 du 01/04/2019

 

Dossier

Sur le terrain

Sandrine Paugam  

Les séjours hospitaliers peuvent être difficiles à vivre pour le patient mais également pour ses proches. Ces tiers ne sont pas à négliger car ils interviennent dans la dynamique sociale du patient. On peut ainsi se demander quelle place leur laisser ? Ces dernières années, celle-ci a largement été reconsidérée, tant d'un point de vue éthique, que législatif.

Le contexte législatif

Les lois françaises intègrent la notion de proche depuis peu. Surtout depuis la loi du 4 mars 2002 (1), dite loi Kouchner, qui définit le rôle de la famille ou des proches auprès du patient. Elle prévoit que toute personne majeure peut désigner une personne de confiance pour l'aider dans ses décisions, l'accompagner dans ses démarches et assister aux entretiens médicaux, recevoir l'information à sa place et être consultée lorsque l'intéressé(e) est hors d'état d'exprimer sa volonté. Cette personne peut être un parent, un proche, le médecin traitant... et devient l'interlocuteur des médecins. Seule l'urgence ou l'impossibilité constituent des dérogations au principe de la consultation de l'entourage. Le rôle de l'entourage auprès d'un malade en fin de vie, mais surtout le rôle de la personne de confiance a été renforcé par la loi du 22 avril 2005 (2).

La loi donne du pouvoir aux aidants en prévoyant que les proches puissent aider le patient dans sa prise de décision. Mais surtout, le proche joue un rôle considérable auprès du patient hospitalisé lorsque ce dernier ne peut pas s'exprimer. Ce cadre juridique permet à chacun de trouver sa place : soignants et proches. Nous ne sommes plus uniquement dans une relation soignant-soigné mais dans une triade soignant-soigné-aidant.

Les textes législatifs ont plus de dix ans et, par héritage du passé, on constate à ce jour que l'intégration des proches est un sujet qui n'est pas toujours réfléchi dans les services de soins ou dans les lieux de vie. Alors des questions se posent : Quelle place laisser aux aidants ? Comment les introduire dans notre quotidien de soignant ?

L'aidant, partenaire des soins

Les équipes paramédicales sont en première ligne pour répondre aux sollicitations des patients et de leurs aidants. Pour Pascale Thibault-Wanquet, cadre supérieur de santé, « la présence des familles dans les services de soins fait partie intégrante des changements qui s'opèrent dans l'histoire de l'hôpital. Elle relève de la dynamique de soins » (3). Et selon Anne Vega, docteure en anthropologie sociale et ethnologie, « les proches du patient (...) peuvent également aider ponctuellement les soignants à comprendre ce qui est important pour les soignés » (4). Les professionnels gagnent à prendre en considération les proches afin de comprendre leurs attentes et mieux communiquer avec eux. Pour y parvenir, le premier contact est déterminant. L'accueil ne se limite donc pas à un simple « bonjour ». Il consiste à présenter les lieux, à expliquer le fonctionnement de l'unité, à donner des informations sur les soins et surtout sur l'état de santé du patient, selon son champ de compétences. Pour ce faire, le professionnel doit adapter son langage au niveau de compréhension de l'aidant. L'accueil, associé à une écoute bienveillante du soignant, va contribuer à diminuer les craintes, l'anxiété et les sources de conflit de la part des aidants et du patient. L'accueil joue un rôle non négligeable dans la création d'une relation de confiance.

Actuellement, on constate que dans beaucoup de services, les visites ne sont pas autorisées le matin, créneau horaire qui permet d'effectuer les soins d'hygiène, la réfection des pansements, les soins techniques... Pourquoi n'accueille-t-on pas l'aidant sans contrainte horaire ?

Pour certains soignants, ne plus imposer d'horaires de visite désorganiserait le fonctionnement de l'unité. La crainte du jugement, le manque d'expérience du soignant peuvent aussi être des freins, tout comme les habitudes ! Les professionnels pensent être protecteurs en demandant aux proches de sortir lors d'un soin, par peur que ceux-ci soient mal à l'aise ou par respect pour le patient. Mais la présence des proches pendant les soins peut être perçue différemment selon que l'on est à la place du soignant ou à celle du soigné.

En effet, cette participation peut avoir un effet apaisant sur le patient et rassurant pour l'aidant, qui est dans son rôle naturel de soutien. Ainsi, en 2001, Hugues Joublin, membre du département de recherche en éthique de l'université Paris-XI, aborde un nouveau concept : la « proximologie » (5). Il s'intéresse à l'étude des relations entre la personne malade ou dépendante et ses « aidants ». Selon ce concept, l'entourage joue un rôle déterminant dans l'environnement du patient et dans sa prise en charge globale au sein de l'hôpital, offrant la possibilité au patient de conserver un lien social avec l'extérieur, avec ses habitudes. Cela contribue à améliorer la qualité de son bien-être et donc la qualité des soins. Le proche ne reçoit pas seulement des informations. Il s'implique dans la prise en soins en posant des questions, en renseignant les soignants et en apportant son soutien au patient. Il devient donc un allier, un partenaire de soin.

Expérience au CH des Pays de Morlaix

Le personnel paramédical du service de réanimation et de surveillance continue a souhaité que ce sujet soit réfléchi afin d'ouvrir le service vers l'extérieur et de diminuer les syndromes post-traumatiques chez les patients, ainsi que chez leurs proches. Les professionnels ont cependant exprimé des craintes concernant :

• l'impact dans l'organisation des soins ;

• la gestion des familles trop envahissantes ;

• des problèmes de logistique et de personnel : comment accueillir ? qui accueille ?

• le temps nécessaire pour répondre aux attentes des familles ;

• l'attente longue pour les familles si des gestes techniques sont en cours.

Règles antérieures de fonctionnement

Auparavant, les visites se limitaient à deux personnes en même temps sur les créneaux horaires suivants : 15 h - 16 h et 18 h - 20 h. Les familles trouvaient ces horaires trop « restreints » et « contraignants », malgré les dérogations que nous pouvions parfois accorder à certains aidants en fonction de leurs contraintes, dérogations parfois difficiles à justifier auprès des autres familles. Le service était cependant ouvert 24 h sur 24 pour les proches des patients en fin de vie.

Les familles sonnaient à l'entrée du service, un aide-soignant les accueillait dans le vestiaire et s'assurait que chaque visiteur porte une surblouse. Lors de la première visite, l'aide-soignant les accompagnait jusque dans la chambre et présentait l'environnement du patient. Pour les visites suivantes, il leur ouvrait la porte et les laissait aller seuls dans la chambre. Mais les aides-soignants devaient répondre systématiquement aux sonnettes, entraînant des interruptions dans leur tâche. Un proche était par ailleurs désigné par la famille pour recevoir toutes les informations.

Réorganisation de l'accueil des familles

Après concertation pluridisciplinaire, l'équipe médicale et paramédicale s'est accordée sur la mise en œuvre de ce projet, qui devait être réalisé dans de bonnes conditions.

Pour ce faire, nous avons dans un premier temps commencé par installer un visiophone contrôlé à distance, à partir de la salle de soins, l'objectif étant d'impliquer l'ensemble des professionnels de l'unité dans la démarche d'accueil.

Ainsi, lors d'une première visite, un professionnel accueille les proches dès le vestiaire, leur présente le service, la chambre, et explique les règles de fonctionnement de l'unité. Lors des visites suivantes, la porte du vestiaire est ouverte à distance. Les proches se rendent seuls jusqu'à la chambre du patient sauf s'il y a des informations à leur communiquer sur l'état de santé de celui-ci. Cet accueil n'est plus exclusivement réalisé par les aides-soignants comme auparavant. Les infirmiers ou les médecins peuvent également être amenés à le faire.

Dans un deuxième temps, les peintures du salon des familles ont été refaites et du nouveau mobilier a été acheté afin de le rendre plus chaleureux. Puis, nous avons travaillé avec le service d'hygiène afin de supprimer, pour les visiteurs, le port systématique de la surblouse. Celui-ci est dorénavant limité aux familles des personnes en isolement septique. Les procédures ont donc été révisées.

Enfin, nous avons établi notre propre charte de fonctionnement, pour une ouverture aux familles 24 h sur 24 :

• tous les professionnels du service participent à l'accueil des familles ;

• lors de la présentation du service, nous ne stipulons pas qu'il est ouvert 24 h sur 24 mais nous disons aux proches qu'ils peuvent venir en fonction de leurs disponibilités ;

• les soins restent prioritaires sur les visites, et aucune famille n'attend dans le couloir ;

• le nombre maximal de visiteurs dans chaque chambre est de trois personnes ;

• l'information n'est transmise qu'à une seule personne (ses coordonnées sont prises et les règles de communication sont fixées) ; celle-ci devra faire le lien entre le service et les autres proches ;

• les nouvelles sont données à la famille en fonction des disponibilités des soignants. Si l'état du patient est stationnaire, c'est l'infirmière qui donne des nouvelles ; sinon la famille rencontre le médecin soit, selon ses disponibilités, au moment de la visite, soit sur rendez-vous ;

• nous leur remettons une note d'information concernant le fonctionnement de l'unité ; celle-ci est également affichée dans le salon des familles et dans le vestiaire familles.

Bilan après un an de fonctionnement

Un an après la mise en place de cette expérimentation, nous avons pu mettre en évidence les bénéfices suivants :

• l'ouverture des services n'entraîne pas directement une surcharge de travail, mais plutôt une modification de l'organisation des soins ;

• les visites sont souvent plus courtes car les familles ne se sentent pas obligées de rester comme auparavant tout le temps défini (en moyenne, temps inférieur à 3 h par jour) ;

• les visites sont plus fluides sur la journée, il n'y a pas d'afflux de familles en attente d'informations ;

• les soins ne sont pas paralysés sur certains créneaux horaires ; de plus, les familles ne viennent que très peu la nuit et en début de matinée ;

• certains aidants restent pour les soins non complexes : changement de seringue, repas, administration des traitements... et ne se sentent pas exclus de la prise en soins ;

• diminution des états de stress chez les aidants comme chez les patients ;

Nous constatons une :

• diminution du nombre de demandes de copie de dossiers patients ;

• amélioration du contact avec les proches.

Mais nous sommes aussi parfois confrontés à des dérives, des familles à recadrer, des attentes longues dans le salon des familles pendant que le patient est en soins... d'où l'importance de rappeler régulièrement les règles de fonctionnement. Les nouveaux professionnels doivent être sensibilisés sur les règles de l'accueil dès leur prise de poste. Et il faut aussi savoir poser des limites aux familles en fonction de l'état de fatigue du patient.

Pour conclure

L'ouverture aux aidants est une réflexion à mener en équipe pluridisciplinaire. Un cadre doit être posé, il faut établir des règles de fonctionnement afin de tenir un seul et unique discours envers les visiteurs et de ne pas désorganiser le service. Cependant intégrer les aidants diminue leur sentiment d'impuissance et contribue à l'amélioration de la qualité du séjour. À l'hôpital, ils sont surtout intégrés pour l'aide au repas, les promenades, parfois les soins d'hygiène. Ils sont davantage intégrés lors d'une hospitalisation à domicile ou dans les lieux de vie où ils peuvent participer aux animations, au conseil de vie sociale. Certaines unités vont plus loin et les font participer aux réunions de consultation pluridisciplinaire, en accord avec le patient.

Aujourd'hui, cette évolution sociétale est à prendre en considération dans notre quotidien de soignant. Ainsi, pour une infirmière de réanimation : « Ouvrir, c'est augmenter la reconnaissance des familles car elles voient le travail que l'on fait réellement. »

Et pour finir, il faut retenir que des proches mieux intégrés et informés sont des personnes vulnérables mieux accompagnées.

Qu'en est-il pour les personnes en situation de handicap ?

Pour les personnes handicapées, un texte de loi régit la notion d'aidant. Dans la loi du 11 février 2005 (6), il est fait notion d'« aidant naturel ». L'aidant naturel est là pour accomplir les gestes de la vie quotidienne. On constate donc qu'il y a une prise en compte des incapacités physiques mais que les incapacités cognitives sont ignorées, à la différence du Canada où les deux sont prises en considération. Pour Hugues Joublin : « Nous sommes donc encore loin en France de la reconnaissance d'un statut d'aidant aux centaines de milliers de profanes qui s'occupent au quotidien de personnes atteintes de maladie d'Alzheimer... » (7). Il reste encore du chemin à parcourir...

1 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, articles L. 1110-4, L. 1111-4, L. 1111-6 du Code de la santé publique.

2 Loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

3 Pascale Thibault-Wanquet, Les aidants naturels auprès de l'adulte à l'hôpital, Issy-les-Moulineaux, Masson, 2008, p. 20.

4 Anne Vega, Soignants/Soignés : pour une approche anthropologique des soins infirmiers, Bruxelles, De Boeck, 2004, p. 135.

5 Hugues Joublin (coord.), Proximologie – Regards croisés sur l'entourage des personnes malades, dépendantes ou handicapées, Paris, Flammarion Médecine-Sciences, 2006, p. 11.

6 Loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, article 9.

7 Hugues Joublin, Le proche de la personne malade dans l'univers des soins : enjeux éthiques de proximologie, Toulouse, Érès, 2010, p. 31.