« Les représentants des patients à l'hôpital permettent de faire descendre la montgolfière » - Objectif Soins & Management n° HS_2019 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2019 du 01/04/2019

 

Dossier

Management des soins

Marie Citrini  

Marie Citrini a joué bien des rôles dans les hôpitaux. Du simple statut de malade à celui de patiente-enseignante, en passant par la fonction de représentante des usagers, elle a accompagné l'une des plus importantes mutations que les établissements ont connues ces dernières années : le changement de statut du patient, qui n'est plus un simple bénéficiaire des soins mais un acteur à part entière du système de santé. Elle revient sur son parcours et son engagement pour Objectif Soins & Management.

Comment votre engagement associatif en faveur des patients a-t-il débuté ?

Marie Citrini : Je fais partie de la « génération Sida ». Avec mon mari, nous nous sommes engagés très tôt aux côtés de nos amis qui étaient malades. Dans les années 1980, j'ai de plus en plus fréquenté les hôpitaux, et j'ai réalisé que la stigmatisation, la discrimination dont étaient victimes les personnes auxquelles je rendais visite n'étaient pas une spécificité du VIH. Si un malade posait des questions, cherchait à comprendre, c'était souvent vécu par le personnel de santé comme une forme d'opposition : beaucoup d'entre eux avaient tendance à se draper dans leur blouse blanche et à se réfugier dans leur statut de « sachant ». C'était une époque où le patient était plus objet que sujet : on disait « le greffé de la chambre 122 », pas « M. X, qui a bénéficié d'une greffe ».

Puis vous êtes vous-même tombée malade...

MC : Oui, en 1990, je me suis retrouvée moi-même porteuse d'une pathologie chronique. J'ai connu des hospitalisations, des hauts et des bas, le tout au départ dans une certaine méconnaissance de ma maladie. J'ai aussi ressenti une forme de désocialisation : quand vous êtes malade, une sorte de clivage s'opère, et le système vous fait perdre une part de votre humanité. Je n'étais plus Marie Citrini, qui a une vie, des envies, mais Marie Citrini la malade. C'est ainsi que je suis entrée dans le milieu associatif, d'abord dans le cadre du Collectif national des associations d'obèses, puis à la Fédération française des insuffisants respiratoires [voir l'encadré, ndlr].

Vous avez vécu de près le tournant de la loi Kouchner en 2002...

MC : Oui. L'hôpital a toujours été un lieu où il y avait beaucoup de travail associatif, mais ce travail n'était pas valorisé. Les professionnels de santé sous-estimaient la masse providentielle d'informations que pouvaient leur apporter les associations. Avec la loi de 2002, ils ont été contraints et forcés d'accueillir les usagers dans certaines instances. Au début, cela a été difficile, il y avait des a priori de chaque côté. Mais avec l'appui de la HAS [Haute Autorité de santé, ndlr], notamment, nous avons mis en place des outils, des bonnes pratiques, et nous avons appris à travailler ensemble. Nous sommes désormais partie prenante dans la sécurité et la qualité des soins qui sont offerts aux patients.

Pouvez-vous nous donner des exemples de situations où vous avez vu que l'implication des patients a été déterminante pour améliorer la qualité des soins ?

MC : Je me souviens d'un service de pédiatrie où l'on posait sur des enfants des dispositifs qui se bouchaient très rapidement car le personnel ne parvenait pas à expliquer correctement aux parents comment faire la toilette de leurs enfants avec un tel dispositif. Par le biais de la commission des usagers, nous avons organisé des focus groups avec des parents pour leur demander quelles étaient les informations qui leur manquaient, et nous avons réalisé un document qui utilise un vocabulaire à la fois compréhensible pour l'usager et pour le professionnel.

Vous avez également été impliquée dans l'amélioration de la signalisation de certains établissements...

MC : Oui, je me rappelle d'un établissement où l'un des bâtiments avait été autrefois une herboristerie, et où l'administration avait décidé de refaire toute la signalisation avec des pictogrammes et des noms se référant aux plantes. Nous leur avons dit que c'était trop compliqué, et qu'il serait préférable d'utiliser de simples numéros. Par ailleurs, il se trouve que cet établissement était l'un des plus grands centres européens de traitement de la DMLA [dégénérescence maculaire liée à l'âge, ndlr], et nous avons suggéré de tester la nouvelle signalisation avec des patients atteints de cette maladie. Nous avons ainsi fait venir deux personnes : l'une souffrant de DMLA, et l'autre en fauteuil. Elles ont chacune passé quatre heures dans l'établissement, et ont expliqué tout ce qui n'allait pas : telle couleur qui fait mal aux yeux, telle marche à franchir qui nécessite un plan incliné... L'hôpital a donc entamé une mise à jour de sa signalétique, en se fondant sur l'expérience de ces deux patients.

Quels sont les canaux dont disposent les patients pour faire entendre leur voix au sein des établissements ?

MC : Ils sont au nombre de trois. Il y a d'abord la commission des usagers, qui se réunit au moins une fois par trimestre. Elle centralise les éloges et réclamations des usagers, ce qui permet d'effectuer des recommandations sur les grands chantiers de l'hôpital. Il y a également la commission de l'activité libérale, qui se réunit au moins une fois par an, et qui permet de vérifier que l'activité libérale des praticiens se fait bien de manière conforme à la réglementation. Il y a enfin le conseil de surveillance, qui se réunit également une fois par trimestre, souvent présidé par le maire de la ville. C'est un endroit où l'on va essayer de construire au plus près le lien ville-hôpital, pour qu'il y ait le moins de ruptures possibles dans le parcours de soins pour l'usager.

Y a-t-il des différences en fonction des établissements ?

MC : Oui. Par exemple, dans certains établissements où les associations d'usagers en ont les capacités, elles participent aux commissions de lutte contre les infections nosocomiales. Et au-delà de cela, il y a ce que le directeur décide. Dans presque tous les établissements, par exemple, nous sommes en lien direct avec la direction de la qualité et de la gestion des risques. Cela permet souvent, quand les administratifs montent trop haut, de faire redescendre la montgolfière en montrant ce qui se passe sur le terrain.

Si l'on se place au niveau des équipes soignantes, quels conseils donneriez-vous aux professionnels de terrain pour mieux prendre en compte l'expérience du patient ?

MC : Je pense que l'on peut faire en sorte que les services soient plus pertinents dans la manière dont ils interrogent les patients. Cela peut se faire par des questionnaires comme dans les évaluations de satisfaction de la HAS, mais cela aussi passer par des focus groups, par exemple. Si on a quelques instants devant soi, on peut aller trouver le patient, lui demander son avis sur une question précise qui se pose au service. Cela peut devenir une habitude, et gagne à être formalisé. Il suffit de définir quatre ou cinq questions qui permettent de dégager des pistes pour que l'ensemble du groupe se mette à réfléchir à la façon d'améliorer le système.

Les patients doivent-ils également jouer un rôle en matière de formation ?

MC : Oui. J'interviens dans le cadre de la formation des internes de médecine générale de Paris-13 : chaque trimestre, nous nous retrouvons avec ces jeunes médecins pour échanger autour de cas pratiques qu'ils ont rencontrés à l'hôpital ou en libéral, et qui leur ont posé question. Les internes et le médecin enseignant réfléchissent sur l'aspect médical, et le patient enseignant vient souvent ajouter l'aspect psychosocial. Chacun garde son expertise propre : je n'ai pas de compétence pour dire si l'interne a fait le bon geste, a prescrit le bon médicament, mais je peux l'aider sur la manière dont il a accompagné ce geste ou cette prescription.

Votre présence est-elle bien acceptée par les internes ?

MC : Cela fait quatre ans que je fais cela, et au cours de ces quatre années, j'ai assisté à une évolution considérable : l'interne ne se pose plus la question de la légitimité du patient enseignant, et en viendrait presque à éprouver un manque s'il était absent. Les instituts de formation des paramédicaux commencent aussi à se poser la question : nous intervenons par exemple également auprès des élèves masseurs-kinésithérapeutes de la Pitié-Salpêtrière.

Comment sont financées les différentes missions des patients que vous avez évoquées depuis le début de cet entretien ?

MC : L'engagement purement associatif, au lit du malade, c'est du bénévolat. Nous essayons tout au plus de prendre en charge le transport ou le repas de la personne si elle doit rester à l'hôpital. La représentation des usagers dans les instances des hôpitaux est également bénévole, même si nous sommes parfois défrayés par les établissements. Certains représentants peuvent être chargés de mission de grosses associations, mais ils sont minoritaires.

Comment les personnes qui assument ces différentes missions sont-elles formées ?

MC : Chacune de nos associations dispose de programmes de formation : quand les bénévoles de ma structure se rendent au pied du lit d'insuffisants respiratoires, je m'assure qu'ils disposent des outils nécessaires et je fais en sorte de les faire monter en compétence. Dans le cadre de l'engagement en tant que représentants des usagers, quatre associations reçoivent des subventions de l'État pour assurer des formations. Un problème de financement se pose en revanche pour ce qui est du patient expert dans l'enseignement : pour assurer ce rôle, il faut une formation validante de 40 heures ou un DU de 125 heures avec remise de mémoire. C'est quelque chose de difficile à prendre en charge pour des associations de petite taille. La nôtre arrive par exemple à former un maximum de trois personnes par an.

Quels sont d'après vous les défis qui restent à relever pour assurer une meilleure représentation des patients ?

MC : Il reste encore nécessaire de convaincre certains soignants que le savoir d'une personne vivant avec une maladie ou celui d'un accompagnant dans les maladies où ceux-ci sont de véritables acteurs (Parkinson, paraplégie, etc.) ne s'opposent pas au savoir professionnel. Ils viennent l'enrichir, lui donner une autre perspective, lui apporter un soutien. On a fait de grands pas dans cette direction, mais il reste du pain sur la planche. Il y a par ailleurs la partie financière, notamment pour ce qui concerne l'éducation thérapeutique ou l'enseignement. Aujourd'hui, on voit certaines situations incroyables où une personne qui est par exemple en invalidité ne peut pas se faire payer pour enseigner car si elle le fait, ce sera décompté de son indemnité d'invalidité. Je pense que ce type de mécanisme peut contribuer à maintenir les personnes dans une situation de passivité alors qu'elles pourraient être plus actives.

L'action associative n'est-elle pas parfois un peu envahissante dans la vie de certains patients ?

MC : Il faut bien reconnaître qu'il faut quand même être un peu fou pour s'impliquer à fond dans la représentation des patients. C'est un engagement très prenant. Mais je suis convaincue que cela a du sens, car le monde associatif et le monde soignant militent pour la même chose. Pour accueillir, prévenir, soigner, et parfois guérir, il faut partager et se retrouver.

Un engagement protéiforme

Marie Citrini n'est pas la femme d'un seul combat, d'une seule association. Après s'être engagée dans le Collectif national des associations d'obèses (CNAO), dont elle a assuré le secrétariat général jusqu'en 2014, elle a milité au sein de l'association d'insuffisants respiratoires « Respire à cœur », dont elle est aujourd'hui la vice-présidente.

Elle assure aussi des fonctions de représentante des usagers au centre hospitalier intercommunal de Créteil (Chic), ainsi qu'au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris : en plus d'être membre qualifiée du conseil de surveillance du mastodonte de la capitale, elle est vice-présidente de la commission des usagers de l'hôpital Saint-Antoine.

Côté enseignement, elle joue aussi sur plusieurs tableaux. Elle est patiente-formatrice au sein du pôle de ressource en éducation thérapeutique du patient (ETP) d'Île-de-France, et enseigne également dans le cadre du diplôme universitaire (DU) de médecine générale de l'université de Bobigny.