Inclure la Culture dans les enseignements en soins infirmiers : une innovation pédagogique pour la professionnalisation et la qualité des soins. - Objectif Soins & Management n° 0283 du 14/10/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0283 du 14/10/2021

 

DOSSIER

Yannick Moszyk  

S’ouvrir à la Culture afin de développer des postures mieux adaptées auprès des patients, tel est le parcours proposé aux élèves de l’IFSI Paul-Guiraud de Villejuif. Un pari réussi de l’équipe pédagogique.

Intégrer la Culture dans l’apprentissage des soins infirmiers constitue une innovation pédagogique. Dans ce projet, ce support est utilisé comme une médiation facilitant les apprentissages professionnels de publics, pour la plupart post-adolescents et parfois en difficultés scolaires et sociales, que l’équipe pédagogique de l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) Paul-Guiraud de Villejuif accueille. De plus, cette action sert la réflexivité nécessaire au développement continu dans l’éducation tout au long de la vie. Elle s’est développée dans un contexte d’adaptation aux étudiants et un souci de renouvellement des méthodes d’enseignement.

Pourquoi la Culture ?

Savoir développer sa propre sensibilité, notamment en étant en capacité de se mettre à la place de l’autre, n’est pas chose facile. Cette difficulté est également présente lorsqu’il s’agit de savoir s’adapter à cet autre, à son degré d’élaboration intellectuelle, à ses problématiques ou à ses connaissances spécifiques. Les expériences de dialogue et de cohabitation permettent de l’apprendre mais parfois les défenses psychiques alimentent les conflits lors de la rencontre avec celui qui est en face de soi.

Au sein de l’IFSI Paul-Guiraud, ces réflexions et ces apprentissages sont habituellement accompagnés à partir des enseignements tels que les soins relationnels, le raisonnement ou encore la démarche clinique, ou au travers de retours de pratiques expérientiels.

Toutefois ces élaborations se heurtent parfois aux propres possibilités de symbolisation des étudiants accueillis. Les conséquences s’en ressentent alors en stage, dans la prise en charge des patients, avec des risques d’incompréhensions dans le dialogue et des menaces dans la qualité des soins.

C’est pourquoi, dans un contexte de travail prescrit par le programme, il nous est apparu judicieux d’inclure un complément d’apport pédagogique par la Culture pour travailler autrement le développement postural des futurs professionnels que nous formons.

Des constats nécessitant de diversifier notre pratique pédagogique

La formation en soins infirmiers est répartie en 59 unités d’enseignement permettant de développer des compétences spécifiques utiles à la prise en charge des patients. Cette organisation est commune à tous les instituts pédagogiques qui contribuent à la professionnalisation infirmière. Néanmoins, au-delà de la dimension prescrite du travail réalisé, les réflexions relatives à l’accompagnement des étudiants restent, au sein des écoles, des questions vives qui doivent se contextualiser pour être mieux abordées.

Ainsi, dans un environnement particulier où l’équipe pédagogique de l’IFSI constatait régulièrement des manquements de la part des étudiants en soins infirmiers dans l’accompagnement du patient, il est apparu que les méthodes pédagogiques de l’équipe de formateurs se devaient de penser la relation autrement pour que, à leur tour, les futurs professionnels puissent instiller un supplément d’âme dans leurs prises en soins.

Plus précisément, ce sont de multiples constats qui ont pu mettre en évidence dans notre réflexion pédagogique la nécessité de diversifier nos actions de formation :

<0x00A0> Les éléments générationnels, tels qu’une plus grande proximité, des représentations semblant naïves ou peu élaborées induisant des adaptations dans les méthodes d’apprentissage, nous ont forcé à remettre en question notre pratique habituelle pour la transformer et permettre de réels bénéfices pédagogiques à destination de la tâche thérapeutique.

<0x00A0> Beaucoup d’étudiants rencontraient par exemple des difficultés cognitives telles que celles liées à la compréhension ou à la lecture dans son ensemble. Cela avait alors des conséquences dans les apprentissages. Il y avait donc nécessité de nous adapter sur le fond de nos enseignements.

<0x00A0> De plus, nous accueillons des groupes d’étudiants que nous constituons en amont de leur entrée en formation. Chacun des membres acceptait chaleureusement la notion de groupe de camaraderie mais subissait comme une contrainte la notion d’équipe de travail. Il y avait donc aussi une obligation à travailler la culture de service commune ou l’esprit d’entraide via des formes diverses.

<0x00A0> Il existait également parfois des phénomènes liés à la dynamique de groupe assez importants (blocage, découragement) qui légitimaient le fait de trouver d’autres méthodes d’accompagnement.

<0x00A0> En outre, des mécanismes et processus psychologiques assez préjudiciables pour les enseignements (sentiment de toute-puissance, agressivité), et des processus sociologiques du même acabit (notamment domination) s’invitaient également au quotidien dans la formation. Sur ce point, il y avait également un intérêt majeur à repenser nos pratiques pédagogiques.

Une intervention explicative semblait en conséquence insuffisante pour générer un changement dans les postures et attitudes. Il y avait donc là aussi un bien-fondé à varier nos positions pédagogiques au sein de l’IFSI.

Dans un contexte où la conformité au groupe « promotion » avait une importance considérable pour chacun des étudiants, notamment quand des conduites de changement étaient en jeu, il y avait lieu de s’adresser à un ensemble pour faire « bouger » le particulier. Cependant, la complexité des situations professionnelles rencontrées et la subtilité qui caractérise une pratique soignante ne pouvaient pas tellement s’aborder individuellement en raison des défauts d’analyse des étudiants. Il y avait donc quelque chose à travailler pour penser les rapports individuels et groupaux.

Bien plus, en tant que cadres de santé formateurs, nous n’arrivions pas à faire comprendre d’une façon optimale aux étudiants en soins infirmiers la culture des soins. Pour travailler l’adaptation en vue d’une qualité d’enseignement, un média semblait opportun. La Culture nous paraissait donc un point de convergence intéressant pour rendre complémentaires les enseignements obligatoires avec les efforts d’adaptation nécessaires à la fois à une professionnalisation de qualité et à une prise en considération plus soucieuse des patients par les étudiants en soins infirmiers.

Penser la notion de Culture

Étant donné le caractère polysémique et la difficulté de trouver une définition universelle de la Culture, l’équipe pédagogique s’est confrontée à un véritable travail de convergence des représentations pour ériger des fondamentaux communs à l’ensemble des formateurs autour de l’objet culturel.

Parmi une centaine de définitions de la Culture, l’une d’entre elles* remportait l’adhésion de tous. Celle-ci indique que la Culture est « cet ensemble complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert l’homme en tant que membre d’une société ». En tant qu’acteur de la professionnalisation, cette définition présentait alors l’avantage d’être un support et un médiateur à l’amorce de relations différentes qui pouvaient s’opérer entre les enseignants et les étudiants, puis entre ces derniers et les patients.

Dans un contexte de prédominance de la dimension interculturelle (culture liée aux origines géographiques, aux parcours scolaires, aux professions exercées précédemment), ce qui aurait pu se concevoir comme une richesse a ajouté une difficulté dans la réflexion pour implémenter les méthodes pédagogiques de l’équipe et pour parfaire le bien-être et le bien-travailler ensemble. En effet, les croyances, les valeurs et les normes des individus sont venues se confronter en matière de conception des situations professionnelles et d’organisation du travail, sans pour autant engendrer incompréhensions et problèmes relationnels.

C’est pourquoi partir de cette définition permettait de travailler la prise en compte de la perspectivité aussi bien présente dans le développement scolaire des étudiants que dans l’histoire de vie des patients. 

Bien plus, cette définition de la Culture permettait de travailler la notion d’intégration (des apprentissages mais surtout des particularités des personnes prises en charge) du fait qu’est considéré comme intégré celui dont le comportement correspond au comportement normatif du lieu où il vit ou étudie. C’est pourquoi il nous est apparu intéressant de prendre la notion de Culture comme point de départ inclusif, pour arriver à une culture de service basée sur le développement normatif comportemental.

La Culture sert alors de prétexte pour arriver à un enrichissement mutuel, une ouverture d’esprit au contact de l’autre, un partage, mais aussi au respect de la diversité des compétences ou de la force motrice et créatrice du groupe interculturel grâce à la confrontation des points autour du média culturel.

De la Culture à la culture de service

Le parallèle pouvait être fait avec l’objectif du développement d’une culture de service dans la mesure où la Culture pouvait servir à aller vers l’apprentissage d’une culture commune : à savoir un cadre qui serait à la fois référence normative et système de valeurs et de représentations partagées par tous. Il était ici autant question de phénomène collectif que de construit social permettant un fonctionnement cohérent des acteurs concernés dans des domaines tels que la transmission d’informations ou d’apprentissages, l’interaction sociale, ou encore l’organisation de l’activité. Il était également question du développement postural et d’harmonisation (des représentations, des pratiques, etc.).

Inclure la Culture au quotidien de la formation en SI

Intégrer la médiation culturelle dans les enseignements infirmiers est donc passé par un projet institutionnel permettant de développer les apprentissages et la réflexivité des étudiants en transversalité des enseignements pratiques et théoriques obligatoires.

Au travers d’actions culturelles variées telles que la découverte d’expositions, le visionnage de documentaires, la rencontre d’acteurs spécifiques du soin, les étudiants ont découvert de nouvelles méthodes pédagogiques inclusives et ont ainsi travaillé différemment l’ensemble des concepts utiles à leurs progressions pédagogiques. Ils ont alors utilisé en filigrane la Culture comme un moyen de transformation psychique et sociale à partir d’objectifs éducatifs variés.

Des résultats positifs

Cette intégration des apprentissages par la Culture comporte plusieurs dimensions : sociale, politique et philosophique, qui rendent plus subtile la réflexion des étudiants face aux situations de soins, par une meilleure conscientisation et un dépassement de leurs propres représentations jusqu’ici plus limitées. 

Face au constat d’étudiants en difficultés scolaires et sociales, il nous est apparu que l’IFSI était, en premier lieu, un endroit pouvant être vécu comme repérant, structurant et sécurisant pour les personnes formées. La prise en charge intégrative est donc passée par ces moyens développés en équipe pédagogique pour leur faire retrouver le goût et l’envie d’apprendre, tout en travaillant la question de l’accompagnement spécifique et adapté pour poursuivre le processus de valorisation du développement des compétences. La Culture a donc été ce lien innovant dans une démarche compréhensive d’éducation. En effet, plutôt que de constater les difficultés liées aux milieux sociaux, nous avons voulu faire le pari d’étendre et de prendre cette notion comme un vecteur de réussite sociale.

C’est pour cette raison qu’inclure la Culture dans les enseignements s’est inscrit dans une démarche au service d’une meilleure connaissance culturelle et d’une recherche de sens de toutes les composantes ou caractéristiques psychologiques, sociologiques, anthropologiques ou encore spirituelles qui constituent un groupe social.

Les règles, lois, savoirs, coutumes et habitus créés par l’Homme ou acquis au fil du temps se sont mieux formalisés. Petit à petit, la différence n’a plus fait peur aux étudiants en soins infirmiers et un « prendre soin » du patient dans ce qu’il avait d’unique est apparu. La sensibilisation aux notions de différences et de stigmatisation fonctionnait.

Malgré les contextes de vie parfois compliqués des étudiants, les objectifs pédagogiques et humains que nous nous étions fixés ont été atteints puisque chacun d’entre eux savait désormais prendre la Culture comme une ressource dans l’appréhension qu’il se faisait d’une situation : que ce soit dans le cadre d’un apprentissage ou dans celui d’une analyse plus générale pour chercher le sens d’un mode d’existence, d’une histoire, et d’un ancrage pour mieux s’ouvrir à la réflexion et envisager les perspectives d’actions et de changements pour l’avenir du patient pris en charge.

L’inclusion de la Culture dans les enseignements a donc servi aussi bien les étudiants que les soins qu’ils prodiguent et prodigueront. Ce projet continue en effet d’exister. Soutenues par l’institution et par les étudiants, d’autres actions sont en cours et permettent de toujours rendre plus qualitative la pédagogie vers la professionnalisation et l’adaptation aux patients.

Une intention de qualité

Le bilan de cette action centrale est très positif. Ce qui était à l’origine un pari s’est révélé être un bienfait. La médiation par la Culture permet aujourd’hui le développement des apprentissages chez les étudiants de l’IFSI Paul-Guiraud. Et même si leurs contextes de vie restent difficiles, si l’équipe pédagogique constate toujours des difficultés d’apprentissages concernant la compréhension et la lecture, les formateurs ont compris à quel point la Culture est un moyen et une chance pour les étudiants de se développer.

Chacun témoigne de l’ouverture des regards apportés aux situations, de l’augmentation du niveau de réflexion, du développement des postures professionnelles et de la facilitation des apprentissages. C’est pourquoi nous pouvons évaluer le projet sous l’angle de la construction.

Inclure la Culture dans les enseignements infirmiers a suivi les étapes de modélisation de la cohésion d’un groupe, comme aller vers les autres pour abaisser les barrières et s’habituer à chacun pour développer la confiance et la productivité et ainsi travailler dans un groupe avec un but commun sur une base efficace et coopérative. Non seulement elle a nourri les intentions de chacun des étudiants pour développer une professionnalisation mais, au-delà, elle a nourri une intention de qualité des soins de façon sensible et éthique.

Pour en savoir plus :

<0x00A0> Renaud A. Et si les soins infirmiers s’apprenaient aussi sur scène ? OSM no 182, août-septembre 2021, p. 12-13.

<0x00A0> Renaud A. Les étudiants se révèlent sur les planches. L’Infirmière no 12, septembre 2021,  p. 61.

Des enjeux toujours aussi importants

On pourrait penser ce projet comme trop atypique pour être généralisable dans d’autres IFSI. Pour autant, les sciences humaines émaillent les savoirs théoriques et pratiques contenus dans la formation infirmière et il n’existe pas, dans ce domaine, une méthode pédagogique plus attendue ou plus normalisée qu’une autre pour les intégrer. La prise en charge de l’Humain dans sa globalité nécessite une réflexion profonde qui part de soi pour aller vers les autres. La Culture favorise la découverte, l’apprentissage et la réflexion en permettant l’éveil et la mise en lien nécessaires à une qualité de présence à l’autre et à sa vulnérabilité.

Cette médiation artistique est également une véritable initiation. Dans le contexte du territoire du Val-de-Marne, ce projet Culture est apparu comme un révélateur de changement car l’accès à la Culture a permis aux étudiants de découvrir un milieu qu’ils ne connaissaient pas et d’en faire profiter leurs familles. Certains n’étaient par exemple jamais entrés dans un musée. Ce projet a permis de « dédramatiser » les codes pour accéder à la Culture.

Ce projet de médiation par la Culture est donc une véritable réussite qu’il convient de mettre en avant car ce qui peut apparaître comme un simple moyen pédagogique est, en réalité, un support innovant de valorisation des apprentissages, de mise en éveil et de développement de soi. Cela permet bien plus qu’une assimilation des connaissances et participe à un processus pour mieux être avec soi pour soigner l’autre, c’est-à-dire de façon plus engageante, plus qualitative, plus éthique et plus créative.

Par le biais de ces apprentissages, la Culture influe sur les prises en charge en apportant du soin dans les soins, en y ajoutant une touche particulière qui replace l’individu dans sa globalité, dans son contexte cultu

Des difficultés toujours présentes

Certaines difficultés restent sur notre route. La première est de l’ordre du travail invisible. En effet, discuter et argumenter pour trouver du sens pédagogique, harmoniser les pratiques, construire les projets, rencontrer les équipes culturelles, faire de la médiation auprès des étudiants, cela nécessite énormément de temps. Il a donc été difficile de concilier l’ensemble des tâches invisibles avec le travail pédagogique attendu plus classiquement.

Par ailleurs, chacune des actions a un coût financier. Le contexte budgétaire de l’institut ne permet pas de financer l’ensemble des actions. Il a donc fallu faire appel aux étudiants pour participer symboliquement. Cela aurait pu constituer un empêchement pour certains qui, en difficulté financière, comptent à l’euro près. La solidarité a permis de passer outre cette difficulté.

Enfin, la dernière difficulté réside dans la temporalité et la compréhension du caractère pérenne des actions culturelles. Il faut parfois du temps pour que la mise en liens se fasse dans le processus réflexif de l’étudiant. Parfois l’évaluation de l’action culturelle se fait avant la finalisation du processus interne. Il faut donc admettre n’avoir aucune prise sur ce qui mute psychiquement pour l’étudiant mais faire le pari que la mutation se fera. Pour beaucoup, des comportements ont changé, des apprentissages se sont améliorés mais nous ne pouvons évaluer la temporalité nécessaire à chacun pour que les évolutions se fassent.

  • * TYLOR EB, La civilisation primitive. Tome 1 (1920). Édition numérique réalisée par Michel Hamel disponible en ligne.