Pratique hospitalière Jurisprudence de Janvier et février 2021 - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Droit

Gilles Devers  

Dans le cadre de décisions de jurisprudence récentes, cet article permet de découvrir l'analyse de situations relatives au transport par ambulance, à l'organisation des services, à travers deux affaires concernant la journée de 12 heures, à la question du statut, avec la modification des fonctions pour raison de santé. Des questions de droit disciplinaire : acte de caractère ou faute disciplinaire ? ; faute disciplinaire d'un cadre de santé pour harcèlement sexuel, et de responsabilité : décès par intoxication médicamenteuse à l'hôpital ; faute dans le non-diagnostic d'un hématome épidural sans traumatisme sont également présentées.

1/ Transport par ambulance

En l'absence d'urgence, tout transport par ambulance sur plus de 150 kilomètres doit faire l'objet d'une entente préalable.

(Cour de cassation, 2e Chambre civile, 28 janvier 2021, no 19-25858).

 

Selon les articles R. 322-10 et R. 322-10-4 du code de la sécurité sociale, sauf urgence attestée par le médecin prescripteur, la prise en charge des frais de transport, y compris ceux liés à une hospitalisation, exposés sur une distance excédant 150 kilomètres, est subordonnée à l'accord préalable de l'organisme social.

Pour dire que la caisse devra prendre en charge les frais de transport litigieux, le jugement retient essentiellement que le transport, d'une distance de 163 kilomètres, étant lié à une hospitalisation et nécessité par l'état du malade en position couchée, la demande d'entente préalable n'était pas requise.

En statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'urgence attestée par le médecin prescripteur, le transport litigieux, effectué en un lieu distant de plus de 150 kilomètres, ne pouvait être pris en charge, à défaut du respect de la formalité de l'entente préalable, le tribunal a violé les textes applicables.

2/ Organisation des services

Journée de 12 heures (1)

La durée quotidienne de travail continu dans les établissements hospitaliers ne peut, par dérogation, atteindre douze heures, que si les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence.

(CAA de Douai, 2 février 2021, no 19DA01270)

Faits

Par une décision du 14 mars 2016, le directeur d'établissement a fixé à douze heures la durée quotidienne de travail au sein du service infirmier des cinq unités de réanimation, de l'unité d'accueil et de déchocage et de l'unité de surveillance continue toxicologique du pôle réanimation, après avoir recueilli un avis favorable du CHSCT de l'établissement le 8 octobre 2015 et un avis défavorable du comité technique d'établissement le 11 janvier 2016.

Les syndicats ont contesté cette décision.

Droit applicable

En application de l'article 7 du décret no 2002-09 du 4 janvier 2002, la durée quotidienne de travail continu dans les établissements hospitaliers ne peut, par dérogation, atteindre douze heures, que si les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence.

Analyse

Le directeur a dérogé à la durée quotidienne du travail, en la portant à douze heures, pour les infirmiers des services de réanimation, de l'unité d'accueil et de déchocage et de l'unité de surveillance continue toxicologique du pôle réanimation, afin de prendre en compte les contraintes de continuité propres à ces services.

En particulier, cette réorganisation des cycles de travail doit permettre d'assurer un meilleur suivi des patients en impliquant des interventions plus longues à leur chevet, une meilleure collaboration entre infirmiers et médecins et une limitation de la fréquence des transmissions grâce à un roulement moins fréquent du personnel infirmier. Cette nouvelle organisation des cycles de travail minimisera les risques d'infections en limitant le nombre de personnes intervenant quotidiennement auprès de patients ayant subi des interventions chirurgicales.

Ces justifications suffisent, indépendamment de l'adhésion majoritaire des personnels en cause évoquée par le centre hospitalier régional universitaire de Lille, à regarder la décision attaquée comme ayant été prise en raison des contraintes de continuité de service public exigeant en permanence une durée quotidienne de travail atteignant le maximum légal dérogatoire.

Journée de 12 heures (2)

Dans un plan de retour à l'équilibre financier, le directeur peut introduire une durée quotidienne de travail de douze heures sous réserve que les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence.

(Conseil d'État, 19 février 2021, no 430606).

Faits

En raison de la situation financière dégradée d'un centre hospitalier, le directeur a élaboré, sur le fondement de l'article L. 6143-3 CSP, un plan de retour à l'équilibre. Par une note de service du 2 avril 2015, il a décidé l'entrée en vigueur, à compter du 4 mai 2015, des principales mesures de réorganisation du temps de travail prévues par ce plan, dont l'introduction d'une durée quotidienne de travail de douze heures pour les infirmiers et les aides-soignants du service de pédiatrie, ainsi que les infirmiers des services d'accueil des urgences, de neurologie, de cardiologie, de gastro-entérologie et de gynécologie-obstétrique.

Deux syndicats ont demandé l'annulation de cette note.

Droit applicable

Selon l'article L. 6143-3 CSP, le directeur général de l'ARS, lorsqu'il estime que la situation financière de l'établissement l'exige, demande à un établissement public de santé de présenter un plan de redressement, dans le délai compris entre un et trois mois.

L'article 7 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements publics de santé définit les règles applicables à la durée quotidienne de travail, continue ou discontinue. En cas de travail continu, la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, et 10 heures pour les équipes de nuit. Toutefois lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence, le chef d'établissement peut, après avis du comité technique d'établissement, ou du comité technique, déroger à la durée quotidienne du travail fixée pour les agents en travail continu, sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures.

Selon la jurisprudence, compte tenu des spécificités du service public hospitalier, ces textes permettent le recours à une durée quotidienne de travail allant jusqu'à douze heures dans les services où, en permanence, le niveau adéquat de qualité des soins des patients accueillis justifie le maintien auprès d'eux des mêmes personnels soignants pendant cette durée. Cette nécessité s'apprécie au regard des exigences de continuité, de qualité et de sécurité des soins propres à chaque service, en tenant compte le cas échéant, du plan de redressement souscrit par l'établissement en application de l'article L. 6143-3 CSP.

Analyse

Pour juger la validité de ce passage à 12 heures, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'il n'était pas établi que cette amplitude horaire dérogatoire ne répondrait pas à des contraintes de service public, eu égard au type de patients qui y sont accueillis.

Or, elle devait relever les motifs de nature à justifier, compte tenu des particularités des services en cause et des engagements souscrits par l'établissement dans le cadre d'un plan de redressement, que l'organisation du travail des agents en cycle de douze heures était nécessaire pour assurer la continuité et le maintien d'un niveau adéquat de qualité des soins. Aussi, la décision de justice est annulée, et la décision du directeur, peu motivée, parait compromise.

3/ Statut

Modification des fonctions pour raison de santé

Une infirmière recrutée comme cadre de santé peut, après un arrêt pour maladie simple, être affectée sur un poste d'infirmière, si l'établissement justifie cette évolution par l'intérêt du service

(CAA de Bordeaux, 23 février 2021, no 19BX02251)

Faits

Une infirmière a été recrutée le 23 juin 2014 par un EHPAD en qualité de cadre de santé. Placée en congé de maladie ordinaire du 17 décembre 2015 au 22 mars 2016, elle a été réaffectée, par une décision du 24 mars 2016, sur un poste d'infirmière dans les services de soins.

Elle a à nouveau été placée en congé de maladie ordinaire du 25 mars 2016 au 12 février 2017 puis autorisée, par une décision du 13 février 2017, à exercer ses fonctions à temps partiel pour raison thérapeutique pour une durée de 3 mois.

Elle conteste ces deux décisions.

Décision du 24 mars 2016

Elle soutient que cette décision mettant un terme à ses fonctions de cadre de santé pour l'affecter sur un poste d'infirmière est illégale dès lors qu'un tel changement d'affectation n'était pas justifié par l'intérêt du service.

Toutefois de nombreuses pièces, notamment des comptes-rendus de séances du CHSCT, du comité technique d'établissement et de différentes réunions du personnel établissent que l'intéressée rencontrait d'importantes difficultés dans l'exercice de ses fonctions de cadre de santé. En particulier, des problèmes de management ainsi que des difficultés récurrentes dans l'organisation du planning des agents nuisaient au bon fonctionnement de service, et l'intéressée ne parvenant pas à les corriger. Dans ces conditions, la décision du 24 mars 2016 était justifiée par l'intérêt du service.

Décision du 13 février 2017

Le médecin du travail, consulté pour évaluer l'aptitude à l'issue de son congé de maladie, a évalué, au terme d'un entretien qui a duré près d'une heure et demie, l'aptitude à reprendre les fonctions d'infirmière en soins, et la décision du 13 février 2017 l'autorisant à exercer ses fonctions à temps partiel pour raison thérapeutique est donc justifiée.

4/ Droit disciplinaire

Acte de caractère ou faute disciplinaire ?

L'affirmation, par un IBODE, d'une posture professionnelle stricte devant la mise en place incertaine de la nouvelle réglementation de l'exclusivité, même en termes forts et insistant, ne traduit pas une faute, si elle reste respectueuse et dans le cadre de l'équipe

(CAA de Nancy, 16 février 2021, no 19NC02467)

Faits

Un infirmier IBODE exerce ses fonctions dans un centre hospitalier depuis le 5 septembre 2000.

Par une décision du 8 octobre 2018, le directeur lui a infligé une sanction disciplinaire consistant en un blâme.

Droit applicable

Aux termes de l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986, soit le statut de la fonction publique hospitalière, l'avertissement et le blâme sont des sanctions du premier groupe, et seul le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire. Il est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période.

Dans un tel recours, il appartient au juge de rechercher si les faits reprochés constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Analyse

Pour infliger ce blâme, le directeur a retenu que le comportement de l'infirmier consistant à exercer des pressions sur certains de ses collègues était inapproprié dans de nombreuses circonstances et à l'origine d'une dégradation des conditions de travail dénoncée par une grande majorité des intervenants médicaux et non médicaux, et que ses propos relatifs aux évolutions réglementaires des fonctions d'IBODE étaient de nature à semer le doute parmi ses collègues. Le directeur a également relevé que l'infirmier avait manqué de respect vis-à-vis de ses collègues, des médecins, de la hiérarchie et l'institution.

La décision litigieuse mentionne que l'infirmier ferait preuve d'un « corporatisme exacerbé » en tant qu'IBODE dans la mise en œuvre de la réforme prévue par le décret du 27 janvier 2015 relative aux actes infirmiers relevant de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire.

Toutefois, la lettre du 13 juin 2017 entre le directeur et l'infirmier par laquelle celui-ci s'interroge sur la conformité au « cadre légal » de la présence d'un représentant d'un laboratoire lors d'une intervention réalisée le 12 juin 2017 consistant en la pose d'une prothèse de genou, au regard de la réglementation relative aux interventions chirurgicales, ne saurait, eu égard à ses termes neutres et à son objet qui tend à alerter le directeur du centre hospitalier sur la conformité des pratiques par rapport aux nouveaux textes réglementaires, être regardée comme un manquement de l'agent à ses obligations professionnelles de nature à justifier une sanction disciplinaire.

De même, il est reproché à l'infirmier d'avoir instauré un mauvais climat au sein du bloc opératoire, d'avoir un « regard inquisiteur » et de porter des jugements ou des remarques désobligeants sur le travail de ses collègues et médecins. Les neuf attestations produites dans le cadre de la présente procédure par le centre hospitalier, signées deux ans plus tard, par des médecins et collègues de travail, si elles évoquent la mauvaise ambiance qui aurait été instaurée par le comportement de cet infirmier, révèlent, en réalité et principalement, le sentiment d'insécurité et d'incompréhension du personnel soignant à la suite de l'édiction des textes relatifs aux actes exclusifs des IBODE au bloc opératoire et soulignent la nécessité de revoir l'organisation des soins au sein du bloc opératoire. Par suite, ces attestations ne permettent pas de confirmer le grief reproché à l'infirmier.

Enfin, lors de l'entretien du 25 septembre 2017 préalable à la sanction disciplinaire, le directeur de l'établissement a évoqué un courrier du 26 juin 2017 signé par plusieurs médecins du centre hospitalier, démontrant selon lui, l'attitude irrespectueuse adoptée par l'infirmier sur son lieu de travail. Toutefois, il ressort de ce courrier que l'infirmier, s'il fait état de ce que certains IBODE du bloc opératoire font peser une menace morale et verbale sur l'ensemble du personnel soignant et non soignant, paramédical et médical quant à la future impossibilité pour certains IDE de pouvoir, à terme, continuer d'exercer au sein du bloc opératoire ou de voir restreintes leurs possibilités de participation aux actes chirurgicaux, de sorte qu'un climat très tendu s'est instauré au sein du bloc, ne met pas en cause l'infirmier expressément. Par suite, le manque de respect de cet infirmier vis-à-vis des collègues, des médecins, de la hiérarchie et de l'institution ne peut être regardé comme établi.

En l'absence de faute, la sanction disciplinaire doit être annulée.

Faute disciplinaire d'un cadre de santé pour harcèlement sexuel

Des faits de harcèlement sexuel constituent une faute disciplinaire, mais pour apprécier la gravité de la sanction, le directeur doit tenir compte du contexte, et de mauvaises habitudes du service.

(CAA de Nancy, 4 février 2021, no 18NC01983)

Faits

Un IDE depuis 1986, a été recruté à compter du 1er octobre 2016 par un centre hospitalier spécialisé pour exercer les fonctions de cadre de santé au sein d'un service psychiatrique. Après avoir été suspendu de ses fonctions le 25 novembre 2016, il a été exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux années, au motif d'attitudes et de propos constitutifs de harcèlement sexuel, par une décision du directeur du 11 avril 2017.

La décision a été prise au motif que l'agent avait eu des propos et des attitudes constitutifs de harcèlement sexuel : d'une part, il a tenu, à l'égard de certaines collègues féminines et de deux élèves-infirmières en stage, des propos « à caractère sexuel déplacés, répétés, corroborés et systématiques », et ce « en dépit des demandes réitérées des intéressées de les voir cesser » ; d'autre part, il a eu « des attitudes menaçantes et des paroles, dont la teneur était parfaitement étrangère au service, à l'égard de personnels féminins, lors de la fixation de leurs plannings, dans le seul but d'exercer une pression morale à leur endroit ».

Droit applicable

En application de l'article 6 ter de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 et selon la jurisprudence, sont constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante.

Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public.

Existence de la faute

Il ressort des entretiens effectués dans le cadre de l'enquête administrative que plusieurs membres du personnel féminin ont reconnu ne pas avoir été les témoins directs des faits reprochés et s'être contentés de rapporter les rumeurs ayant couru à son propos.

Toutefois, ont été réunis des témoignages concordants d'agents féminins ayant fait l'objet des propos et attitudes de cet agent, ou ayant été les témoins directs de ces propos et attitudes. Celui-ci s'exprimait fréquemment de façon vulgaire, faisait preuve d'un humour systématiquement salace, avait des gestes déplacés et employait des termes à connotation sexuelle ou exprimant sa misogynie. Par exemple, il a appelé de ses vœux le retour au « droit de cuissage », et il a touché les cheveux d'une élève-infirmière, lui reprochant de s'être lissé les cheveux sans lui demander sa permission et en évoquant à cette occasion ses poils pubiens. Dès lors, la matérialité des faits reprochés à l'égard du personnel féminin du service doit être regardée comme établie.

Les propos et attitudes reprochés étaient à connotation sexuelle. Ces propos et attitudes présentaient un caractère répétitif, et correspondaient à une manière habituelle de s'exprimer à l'égard du personnel féminin et, tout spécialement, à l'égard d'une aide médico-administrative, de deux adjointes administratives et d'une infirmière. Ces comportements, non désirés par les agents qui en étaient les destinataires, comme en témoigne le malaise qu'ils ont créé dans le service, étaient de nature à porter atteinte à la dignité des personnels concernés ou à créer à leur encontre une situation intimidante ou offensante.

Il est indifférent qu'ils aient été tenus dans un contexte de laisser-aller généralisé au sein du service, où les attitudes et propos à caractère sexuel étaient fréquents. De telle sorte, ces faits sont constitutifs de harcèlement sexuel, au sens des dispositions de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983.

Gravité de la sanction

Le statut de l'agent, cadre de santé, aurait dû lui commander de faire preuve d'un comportement irréprochable, en particulier à l'égard du personnel féminin du service. Toutefois, l'habitude avait été prise de tenir des propos à connotation sexuelle dans le service, antérieurement à son arrivée. En outre, son comportement, infirmier depuis 1986, n'avait jamais posé des problèmes avant son arrivée récente dans le service. De plus, la hiérarchie ne l'avait pas mis en garde officiellement et par écrit, avant d'engager à son encontre une procédure disciplinaire, et elle n'avait pas tenté de remédier aux pratiques délétères qui avaient déjà cours avant son arrivée dans le service. Par suite, la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux années présente un caractère disproportionné.

5/ Responsabilité

Décès par intoxication médicamenteuse à l'hôpital

En l'absence de faute prouvée dans l'évolution d'un patient hospitalisé pour addictions, et dans son comportement, la survenance dans le service d'une intoxication massive suivie d'un décès n'engage pas la responsabilité

(CAA de Bordeaux, 23 février 2021, no 19BX00139)

Faits

Un homme âgé de 31 ans, qui présentait des conduites poly-addictives associées à des troubles de comportement, a été hospitalisé dans un établissement psychiatrique le 14 janvier 2014 à la demande de son père après un épisode de conduite d'un véhicule à contresens en état alcoolique et sous l'emprise de benzodiazépines.

Le dimanche 15 juin 2014 à 7 h 30, son corps sans vie a été découvert sur son lit par un aide-soignant qui effectuait sa ronde de réveil des patients.

Les analyses toxicologiques des prélèvements réalisés lors de l'autopsie ont mis en évidence la présence dans le sang de très nombreux médicaments, et notamment d'une concentration létale de Bromazépam, spécialité dont la toxicité, qui s'exprime par une dépression du système nerveux central aboutissant à un arrêt cardiaque et respiratoire, a pu être augmentée par le Zopiclone retrouvé en concentration significative.

En droit

Aux termes de l'article L. 1142-1 I CSP, la responsabilité des professionnels de santé et des établissements de soins est engagée en cas de faute.

Analyse

Le dossier témoigne d'une part d'une amélioration de l'état du patient, qui avait bénéficié en juin 2014 de sorties qui s'étaient bien déroulées, avait participé avec satisfaction à un stage de récupération de points de son permis de conduire et commençait à élaborer des projets pour sa sortie de l'hôpital, et d'autre part, de la persistance de l'addiction aux médicaments. Aussi, le décès n'est pas imputable à un suicide, mais à une intoxication sans volonté de se donner la mort d'un patient hospitalisé en raison de ses conduites addictives.

Le Bromazepam, le Zopiclone et le Tramadol à l'origine du décès ne faisaient pas partie du traitement dispensé dans le service. L'hypothèse selon laquelle le patient aurait dérobé ces médicaments dans l'armoire à pharmacie de l'hôpital ne repose que sur une anecdote qu'il aurait rapportée à une patiente selon laquelle, à une date indéterminée, l'infirmier l'aurait laissé seul dans la salle de soins pour répondre à un appel téléphonique, ce qui lui aurait permis de « prendre les boîtes qu'il connaissait ». Cette hypothèse est en contradiction avec les explications de l'infirmier sur les précautions prises du fait des addictions des patients de l'unité de soins, ainsi que sur le contrôle du stock de médicaments deux fois par semaine, les erreurs constatées ne portant que sur de petites quantités, et jamais sur des boîtes. Par suite, le fait que le patient a eu à sa disposition des doses létales de médicaments ne peut être imputé à une négligence du personnel de l'établissement hospitalier.

Le patient a pu se procurer les médicaments en cause soit par échange avec d'autres patients, soit à l'occasion de ses sorties autorisées. Lors de son séjour, le patient, qui se trouvait sous le régime de l'hospitalisation sous contrainte, a bénéficié d'autorisations de sortie, avec ou sans surveillance, en fonction de l'évolution de son état de santé appréciée par les médecins. Ces autorisations ont été suspendues après une intoxication à l'alcool et aux anxiolytiques lors d'un week-end en famille au début du mois de mai 2014, et elles ont repris au mois de juin, notamment avec sa sœur et ses parents, et elles se sont alors bien déroulées. L'autorisation de sortie du samedi 14 juin, au cours de laquelle le patient a pu se procurer des médicaments, n'apparaît pas comme fautive au regard de cette évolution de l'état de santé.

Une plaquette de Zopiclone presque vide a été trouvée dans la poche du bermuda du jeune homme après son décès. Le dossier montre qu'en cas de suspicion, les affaires du patient étaient inventoriées, mais il faut admettre qu'il est « impossible de tout fouiller car tout peut se cacher ». Alors qu'aucun texte ne prévoit la pratique des fouilles corporelles dans les établissements hospitaliers, l'existence d'un défaut de surveillance à raison de l'absence de recherche de médicaments la veille du décès ne peut être déduite du seul fait de l'existence de cette plaquette de Zopiclone.

Lors de son audition par les services de police le 5 mai 2015, une patiente a déclaré que le samedi 14 juin 2014, le patient « allait bien » au retour de sa sortie en début d'après-midi, qu'il s'est ensuite absenté, qu'au moment du goûter il salivait et était léthargique au point de ne pas pouvoir manger, qu'il n'a pas davantage pris le repas servi à 18 h 30, et qu'il est allé se coucher après que l'infirmière lui ait donné son traitement. Or, ce témoignage isolé, exposé près d'un an après les faits, n'est corroboré par aucune autre pièce. Par suite, il n'est pas établi que l'infirmière aurait vu le patient dans un état anormal qui aurait dû l'alerter.

Dans ces circonstances, l'absence d'identification d'un état d'intoxication la veille du décès ne peut être regardée comme fautive.

Faute dans le non-diagnostic d'un hématome épidural sans traumatisme

Face à un patient entrant, dont le diagnostic n'est pas établi, des retards dans la surveillance, la réalisation des examens, et le transfert vers un autre établissement, même pour un diagnostic difficile, sont des fautes engageant la responsabilité.

(CAA de Lyon, 11 février 2021, no 19LY01723.)

Faits

Le vendredi 25 septembre 2009, vers minuit, un homme né le 29 janvier 1946, s'est rendu aux urgences d'un centre hospitalier pour une sensation de blocage cervical et une faiblesse des membres inférieurs. En début d'après-midi, le patient a été transféré en ambulance au centre hospitalier de Valence et une IRM réalisée vers 16 heures a mis en évidence une masse dorso latérale gauche au niveau des vertèbres C6, C7 et D1.

Le patient a été transporté dans un CHU de Saint-Etienne par hélicoptère vers 21 heures pour y être opéré le jour même vers 23 heures 30 d'un hématome du rachis. Il a ensuite été pris en charge pour convalescence et rééducation entre le 5 octobre 2009 et le 30 décembre 2010.

Après consolidation, il présentait une tétraplégie basse de niveau C 5. Il est décédé le 17 juin 2017.

Droit applicable

Aux termes du I de l'article L. 1142-1 CSP, les professionnels de santé et les établissements de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Analyse

Le vendredi 25 septembre 2009 vers minuit, le patient s'est rendu de lui-même aux urgences du centre hospitalier de proximité en raison d'une douleur rachidienne d'apparition brutale sans traumatisme avec faiblesse des membres inférieurs que l'expert estime évocateur d'un syndrome médullaire aigu. Le centre hospitalier, s'appuyant sur un rapport critique d'un professeur de médecine, neurochirurgien, fait certes valoir que ce tableau clinique n'était pas évident compte tenu notamment d'un antécédent de spondylose ankylose des vertèbres, mais il n'est pas établi que cette pathologie ait été portée à la connaissance du médecin faisant fonction d'interne exerçant aux urgences.

A la suite de l'examen clinique effectué par ce médecin ayant notamment conclu à un test de Babinski négatif, le patient n'a pu se remettre sur ses jambes, et il a été hospitalisé avec un traitement par antalgique.

Vers trois heures du matin, l'infirmière a alerté le médecin faisant fonction d'interne aux urgences d'une diminution de force des jambes de la victime. Ce médecin a indiqué ne pas s'être déplacé au chevet du malade en raison d'une surcharge de travail et non parce qu'il aurait estimé une absence de changement au regard de ses constatations initiales. Cette aggravation rapide de l'état de santé, confirmée avec l'apparition de paresthésies des quatre membres à son réveil vers huit heures puis d'une incontinence vers dix heures, aurait dû conduire ce médecin à envisager de nouvelles investigations, et notamment la réalisation d'une IRM médullaire, alors même que l'hématome épidural sans traumatisme dont a souffert la victime serait une pathologie rare.

Si, à partir de neuf heures, le médecin faisant fonction d'interne aux urgences a pris l'avis du neurologue de garde du centre hospitalier de Valence, qui lui a conseillé de réaliser un scanner, et de deux neurochirurgiens, l'un de cet établissement précité, l'autre du CHU de Montpellier, lui recommandant d'effectuer une IRM en urgence, il est constant que le transfert vers ce centre hospitalier de Valence pour y effectuer cette IRM n'a eu lieu qu'en début d'après-midi alors que la victime présentait une paralysie des membres inférieurs.

Le centre hospitalier ne disposait pas d'IRM mais seulement d'une vacation hebdomadaire le jeudi pour utiliser l'appareil d'un établissement voisin, mais une telle circonstance ne justifie pas d'une impossibilité de recourir d'urgence à un transfert vers un établissement de santé disposant d'un tel équipement.

Le centre hospitalier se prévaut de l'indication de bonnes pratiques selon lesquelles le traitement des hématomes développés dans l'espace épidural doit intervenir dans un délai de 24 à 48 heures, mais la réalisation plus précoce d'une IRM objectivant la lésion médullaire et conduisant à la réalisation d'une opération de décompression en urgence aurait permis à la victime d'éviter une aggravation de son état de santé dès lors qu'une paraplégie flasque était constatée à son arrivée au centre hospitalier de référence, vers 16 heures et qu'il était atteint d'une tétraplégie basse à son admission au CHU de Saint-Etienne vers 21 heures.

Il découle de ce qui précède que l'équipe du premier établissement a commis une faute tenant à un retard de prise en charge à l'origine d'une perte de chance d'éviter les séquelles subies.

L'expert a reproché au neurologue de garde du centre hospitalier de Valence d'avoir conseillé au médecin faisant fonction d'interne aux urgences d'effectuer un scanner, inutile au regard de la pathologie, mais une telle circonstance n'est pas de nature à caractériser une faute alors que ce neurologue de garde n'avait pas la responsabilité de la prise en charge de la victime et ne disposait d'aucune pièce médicale et alors que le médecin faisant fonction d'interne aux urgences a également reçu le conseil d'un neurochirurgien du CHU de Montpellier de faire réaliser une IRM médullaire.

De même, l'expert reproche au neurochirurgien de garde du même hôpital de ne pas avoir recommandé un transfert direct du patient au CHU de Saint-Etienne dès lors qu'il n'y avait plus de place dans son service, mais la prise en charge de ce dernier ne lui incombait nullement. Il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être reprochée au CH de Valence, ainsi qu'au CHU de Saint-Etienne en tant qu'exploitant unique de l'antenne délocalisée de neurochirurgie au sein de l'établissement précité selon une convention de coopération du 4 mai 2005.

La responsabilité du premier centre hospitalier est engagée pour un retard fautif de prise en charge à l'origine d'une perte de chance d'éviter les séquelles subies. Vu les circonstances, cette perte de chance peut être estimée à 40 %.

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