La matrice des compétences, un outil informatique au service de la polyvalence - Objectif Soins & Management n° 272 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 272 du 01/12/2019

 

Management des soins

Dossier

Patricia Boissin  

La maîtrise de la matrice des compétences garantit une prise en charge de qualité par les différents secteurs d'activité d'un service. Ses modalités structurantes permettent d'interroger la pratique managériale du cadre de proximité dans l'accompagnement du maintien et du développement des compétences des professionnels. La matrice des compétences s'articule dans un processus complet et mobilise des fonctions managériales en lien avec des outils d'évaluation.

Un outil informatique peut-il garantir la mise en adéquation des besoins et des ressources humaines disponibles, dans un souci de maintien et de développement des compétences des professionnels de même métier ?

Un service organisé en plusieurs unités d'activité privilégie souvent une organisation par secteur avec l'affectation d'un groupe de professionnels, caractérisés d'« experts » ou de « piliers ». Les limites de ce fonctionnement reposent sur la faculté de chaque secteur à rester autonome en termes de ressources humaines. Or, dans un système qui manage aujourd'hui des professionnels qui revendiquent leur droit à l'équité et les mêmes contraintes pour tous, pourquoi imposer la polyvalence à certains professionnels et pas à d'autres ? L'affectation des derniers recrutés aux secteurs les moins attractifs permet-elle la fidélisation des effectifs ?

La polyvalence bouscule les codes des établissements de santé mais elle rend possible la complexité de gestion des organisations en mettant en adéquation les ressources et les besoins tout en permettant à tous les professionnels d'exercer dans différents secteurs qu'ils considèrent plus ou moins attractifs.

Cependant, il est nécessaire de connaître les limites de la polyvalence dans un système qui connaît une complexification des organisations. Le cadre de proximité reste le garant des compétences des professionnels dans un souci de prise en charge de qualité de l'activité de chaque secteur.

Dans cet objectif, mener un projet de polyvalence implique que le cadre de proximité développe des outils de management qui vont transformer le rough de polyvalence en projet de polycompétences.

Les réticences à la polycompétence

Conduire un projet de polycompétences soulève des appréhensions de la part des professionnels ; ces dernières sont en lien direct avec l'accompagnement au changement mais également directement engendrées par le pragmatisme questionnant des personnels quant à la mise en œuvre du projet.

En amont, malgré le déploiement progressif du projet, la question récurrente reste l'intérêt de celui-ci. Pour les personnels, le rôle du cadre est alors de créer de la régulation sociale en favorisant des espaces de communication facilitant les échanges autour du projet. Au-delà des questions les plus fréquentes comme le choix, le nombre, la durée et la périodicité de retour sur un secteur d'affectation, l'interrogation centrale concerne la garantie du maintien des compétences et des performances de tous les professionnels.

Les modalités d'application

Le processus est structuré et comprend différents outils de management qui composent la matrice des compétences. Au vu de la singularité de chaque secteur, le nombre d'agents formés nécessaire à la prise en charge globale de l'activité peut être différent.

Le cycle de rotation sur les différents secteurs d'activité

Il définit :

• le nombre de professionnels formés nécessaire pour prendre en charge l'activité du secteur ;

• pour chaque professionnel, son groupe de polycompétences et les secteurs associés à ce groupe (nombre de compétences), mais aussi la rotation sur les différents postes d'un même secteur ;

• la durée d'affectation sur chaque secteur et/ou sur chaque poste ;

• la périodicité de retour en poste sur chaque secteur.

Idéalement, le cycle de rotation doit prendre en compte :

• une durée suffisante qui permet à chaque professionnel d'intégrer un secteur à une période différente de l'année ; cela permet de répartir les contraintes de certains mois sur un groupe de professionnels différent (surcharge d'activité, contrainte des jours fériés...) ;

• le maintien systématique d'un nombre suffisant de professionnels en poste afin de favoriser la transmission d'informations ;

• la rotation systématique sur les différents postes d'un même secteur : la polycompétence est appliquée aux différents secteurs mais également aux différents postes de chaque secteur.

Chaque professionnel doit pouvoir s'approprier l'outil afin de faciliter l'adhésion et la compréhension de l'organisation mise en place.

Le suivi des postes

Le planning des présences est couplé à un planning de postes qui attribue tous les jours le secteur et le poste de travail de chaque professionnel sur ce secteur.

Le suivi des postes garantit l'adéquation entre le cycle défini et la réalité de la rotation sur les postes de travail, par professionnel et par poste.

Le suivi des postes peut être réalisé en saisie manuelle sur tableur ou sur le logiciel métier de gestion des présences de l'établissement, ce qui permet de formaliser directement un planning des présences qui correspond au secteur et aux postes d'affectation par secteur. Une extraction est ensuite possible du logiciel métier vers un tableur. Cette réalisation n'est possible qu'à l'issue d'un travail de coopération entre le cadre de proximité et le service de gestion du temps de travail de la direction des ressources humaines.

Le suivi des formations

Il faut distinguer les différents types de formations et leur mode d'évaluation :

• la formation initiale, formalisée dans un ou des livrets de formation, qui définit :

– la durée d'accompagnement du professionnel sur le secteur concerné ; cette durée peut être aléatoire en fonction des professionnels (2 semaines ± 1 semaine) ;

– les différents postes du secteur concerné ;

– le tuteur de formation ;

– les entretiens d'évaluation de la formation ;

– les modes d'évaluation des compétences acquises : observation, quiz, questionnaire, mise en situation, entretien... ;

– les documents à lire impérativement avant la prise de poste ;

– la ou les fiches de tâches ;

• la formation après une absence, liée au cycle de rotation de polyvalence, à une absence maladie, maternité ou un congé de formation. L'accompagnement et l'évaluation sont définis en fonction de la durée de l'absence. Cette formation définit :

– la durée d'accompagnement si celui-ci est nécessaire ;

– le mode d'évaluation des compétences nécessaires à la prise de poste : observation, quiz, questionnaire, mise en situation, entretien... ;

– les informations liées au changement d'organisation ou au développement de nouvelles activités ;

– la prise de connaissance de documents nouveaux ou modifiés.

Le suivi des habilitations

C'est un document qui regroupe les dates de prise effective de poste par un professionnel. Il doit corréler chaque agent avec les postes qui lui sont confiés, la périodicité d'évaluation ou de réévaluation aux postes et le mode d'évaluation. Ce document permet d'avoir une vision globale des professionnels habilités pour un poste donné. Créé à l'aide d'un tableur, il permet de mettre en place un système d'alerte afin de préparer les réévaluations aux postes dans des délais acceptables.

La transposition de l'outil à une organisation ?

La genèse de cet outil de gestion est née d'un travail collaboratif regroupant la créativité et l'expertise des biologistes, des cadres de santé et de l'ingénieur qualité, associés au développement et la maîtrise d'un outil informatique et régulé par les exigences du COFRAC dans le cadre de l'accréditation du pôle Biologies-Pathologie du CHU de Nîmes (1). Après avoir développé un tableur spécifique de gestion des compétences, il a été testé puis déployé par les cadres de santé et biologistes du pôle.

Ce dernier, nommé matrice de gestion des compétences a ensuite été expérimenté puis préformé pour accompagner le projet de polyvalence au sein de la pharmacie à usage intérieur de l'établissement. Le service de la pharmacie propose des postes de préparateurs sur 10 secteurs différents répartis sur 8 sites (dispensation sur 3 sites, dispensation ambulatoire, commandes, dispositifs médicaux, essais cliniques, stérilisation, unité de préparation des cytotoxiques, unité de préparation des médicaments). Un projet de polyvalence était annoncé depuis dix ans mais la modélisation tardait à venir.

Les articulations à privilégier aux différentes étapes du projet

• À la prise de poste, le rapport d'étonnement réalisé par un manager est un outil stratégique qui permet l'émergence d'informations directement liées à l'organisation en place : les process, les valeurs, le management, l'ambiance de travail... un inventaire complet des forces et faiblesses de l'organisation. L'articulation du rapport défini suivant trois axes principaux, le positif, le négatif et les axes d'amélioration, va laisser la possibilité de proposer de nouvelles pistes qui vont répondre aux dysfonctionnements.

• La mise en œuvre d'un projet de polycompétences n'est possible qu'avec le développement d'un travail coopératif entre le cadre de proximité, le personnel médical et les équipes. La matrice de compétences doit mettre en adéquation les ressources et les besoins mais doit également répondre aux exigences de chaque secteur.

• Le projet est présenté aux organisations syndicales en instance.

• La définition et le suivi des indicateurs de gestion des ressources humaines sont indispensables au suivi du projet : le taux d'absentéisme, le nombre de formations, la stabilité des effectifs, l'appropriation du lieu de travail, le codéveloppement.

• L'atteinte d'objectifs précis et quantifiables dans le délai défini au début du projet avec une présentation pragmatique et concrète à l'ensemble de l'équipe. Les personnels doivent pouvoir s'approprier l'outil développé.

• La maîtrise des outils institutionnels donne au cadre de proximité toute la crédibilité dont il a besoin à sa prise de poste : logiciel de gestion du temps, appropriation des organisations, conduite de projet.

• L'atout relationnel du cadre de santé est de savoir faire preuve d'altruisme et de respect envers chacun tout en utilisant le « je » pour affirmer son positionnement, quelle que soit la situation.

Le bilan du projet à 12 mois

Les 12 premiers mois, le service a accompagné 36 formations tous secteurs confondus (la durée de temps de formation étant différente selon le secteur).

• La construction du projet autour de la mise en évidence des besoins a permis de réaliser une mise en œuvre qui répond aux attentes du pharmacien chef de service.

• L'évaluation à douze mois a permis de répondre aux nombreux pragmatismes questionnants des personnels.

• La construction de ce projet a nécessité la coopération des pharmaciens responsables de secteur et du cadre de santé quant à la durée de positionnement dans chaque secteur, à la périodicité de retour au poste mais aussi quant à l'élaboration des manuels de formation et des modes d'évaluation de compétences.

• En mars 2018, lors de la visite de certification HAS V2014 du CHU de Nîmes, l'expert visiteur en charge de la prise en charge médicamenteuse du patient a relevé la plus-value de la polycompétence des préparateurs en pharmacie, managée par la matrice des compétences, et la transposition possible de ce dispositif innovant à d'autres établissements de santé.

Conclusion

La complexification des organisations nécessite une remise en question perpétuelle des modes de management des cadres de santé. La création et la mise en place d'outils de management innovants permettent l'accompagnement de projets tels que la polyvalence tout en garantissant le maintien des compétences des professionnels en poste. Le déploiement de ces outils à d'autres unités favorise l'appropriation de ceux-ci par le cadre, qui doit développer des habiletés cognitives afin de permettre l'adhésion de ses collaborateurs.

La matrice de compétences est un de ces outils en perpétuelle évolution qui doit s'adapter aux besoins émergents. Comprendre et définir ses limites permet une meilleure appréhension et l'application de la juste mesure.

(1) Accréditation 8-3367 Liste des portées disponibles sur : http://www.cofrac.fr%29/