Objectif Soins n° 268 du 01/04/2019

 

Qualité des soins

Dossier

Hélène Cochard-Graslin  

Quelles méthodes pédagogiques adapter aux nouvelles générations d'étudiants infirmiers pour aborder l'enseignement de l'hygiène hospitalière, dans un double objectif d'en comprendre les enjeux mais plus particulièrement le rôle futur qu'ils auront à jouer sur le terrain en tant qu'acteurs du parcours de soins ?

Formatrice à l'IRFSS Croix-Rouge française Centre-Val de Loire, j'ai exercé auparavant en tant qu'infirmière hygiéniste coordinatrice au sein d'une ARLIN (antenne régionale de lutte contre les infections nosocomiales), nouvellement appelée CPIAS (centre de prévention des infections associées aux soins).

Mon expertise en hygiène et ma sensibilité particulière pour ce domaine m'ont conduite à piloter l'unité d'enseignement 2.10 « Infectiologie, hygiène » auprès des étudiants infirmiers de première année.

Nouvelle dans cette fonction de formatrice auprès d'étudiants, mais avec une certaine expérience de la formation auprès d'adultes professionnels hygiénistes, je me suis questionnée sur la façon d'aborder l'hygiène, et plus particulièrement sur les modes de transmission des valeurs et principes de base pour qu'ils soient utilisés à bon escient sur le terrain et de manière pérenne.

Les étudiants sont les professionnels de santé de demain. Leur compréhension et la traduction de leurs apprentissages sur le terrain sont primordiales pour maintenir un haut niveau de qualité de prise en charge des patients.

Comment susciter l'intérêt pour cet apprentissage, captiver leurs esprits et faire comprendre l'importance des règles de bonnes pratiques, des recommandations, des outils... tout aussi nombreux que le monde microbien ?!

À travers cet article, mon objectif est de témoigner des difficultés auxquelles peuvent être confrontés les formateurs et les étudiants arrivant en Ifsi et de proposer des outils pédagogiques pour faciliter l'apprentissage.

Complexité de l'enseignement

Dans le cadre des études formant à la profession d'infirmier, l'hygiène est enseignée dès le premier semestre de formation, et beaucoup de notions doivent être abordées avant le premier stage, ce qui conditionne l'organisation de l'apprentissage.

D'autres difficultés sont à considérer.

La première consiste à initier des étudiants qui, pour la plupart, n'ont jamais été confrontés à l'univers hospitalier et dont les notions sur l'hygiène se résument aux principes de base inculqués durant leur enfance.

Afin d'établir un constat de départ sur les représentations que peuvent avoir les étudiants sur l'hygiène hospitalière à l'entrée en formation, un nuage de tags a été réalisé.

À la question : « Que représente pour vous l'hygiène hospitalière en trois mots », les étudiants munis de leur smartphone ont majoritairement et par ordre décroissant voté : savon, propreté et désinfection.

Des termes plus précis comme : gel hydroalcoolique, asepsie, micro-organisme, microbe, antiseptique... ont été également cités mais de façon nettement moins fréquente.

Les représentations des étudiants arrivant en formation sont donc très réductrices.

Les enjeux de formation sont pourtant multiples :

• prise de conscience par l'étudiant de l'importance de l'hygiène hospitalière, avec une compréhension élargie de la spécialité ;

• inscription très tôt dans une culture de la prévention et de la gestion du risque infectieux ;

• avoir des connaissances actualisées, fiables, en adéquation avec les orientations régionales et nationales ;

• se considérer acteur dans le parcours de santé du patient par la transmission et le partage de ses connaissances auprès des professionnels de santé ;

• avoir une culture de recherche ;

• donner du sens et de la réflexion à cette spécialité qui est une unité « socle », puisqu'elle s'intègre et s'adapte à chaque domaine et qu'elle évolue de manière importante grâce à de nombreuses recherches scientifiques.

Une deuxième difficulté que j'ai pu identifier est le fait que l'enseignement de l'hygiène peut paraître rébarbatif ou futile, alors qu'il revêt un tout autre intérêt quand, au lieu d'évoquer le ménage, on parle de bionettoyage, valorisant dans le même temps les agents dédiés à cette fonction. Parce que le bionettoyage est bien un maillon indispensable de la chaîne de prévention du risque infectieux et que l'activité est indissociable de la prise en soins du patient et de son parcours.

Les termes sont d'ailleurs très importants et variés en hygiène. Comment ne pas s'y perdre entre lavage des mains, hygiène des mains, désinfection des mains, friction des mains... ?

Sans compter que les termes changent fréquemment, selon les courants, les dogmes des experts, les sociétés savantes... Par exemple, la détersion était auparavant appelée nettoyage, puis a été nommée détersion, et de nouveau nettoyage... On parle de désinfection pour une surface et d'antisepsie pour la peau, mais paradoxalement on parle de désinfection des mains lors de l'utilisation d'un produit hydroalcoolique !

Quant à l'hygiène des mains, beaucoup de questions se posent de l'ordre de : quand, où, comment, pourquoi... pour un geste si banal, ou du moins semble-t-il banal, mais néanmoins indispensable, primordial et complexe !

Une troisième difficulté vient du message parfois erroné et controversé véhiculé par les médias concernant par exemple les vaccins ou les produits hydroalcooliques, et ce malgré des campagnes nationales voire internationales les préconisant...

Dans ce contexte, comment regagner la confiance ? Comment convaincre du bien-fondé de ces mesures face à une population qui accède à de multiples sources d'informations, dont la fiabilité et l'expertise peuvent être parfois questionnées et dont font partie ces étudiants ?

Importance de la spécialité

L'hygiène hospitalière est bien une préoccupation constante et s'inscrit totalement dans la politique d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.

La Haute Autorité de Santé assure la campagne de suivi des indicateurs de qualité et de sécurité des soins (IQSS) sur le thème des infections associées aux soins.

Le Programme national de prévention des infections associées aux soins (Propias) (1) a défini en 2015 comme prioritaire le développement de la prévention des infections associées aux soins tout au long du parcours de santé, en impliquant les patients et les résidents ainsi que le renforcement de la prévention et la maîtrise de l'antibiorésistance dans l'ensemble des secteurs de l'offre de soins.

La préoccupation majeure actuelle reste la prévention de la diffusion et de la sélection des bactéries multirésistantes (BMR) et des bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe).

Les étudiants doivent intégrer ces connaissances et se sentir concernés très tôt.

Pour répondre aux enjeux de formation des étudiants et de la prévention du risque infectieux, il me semble nécessaire de poursuivre cette réflexion et d'aborder deux autres aspects : le profil actuel des étudiants infirmiers et les méthodes pédagogiques à employer pour un apprentissage le plus efficient possible.

La génération Z et ses particularités

La grande majorité des étudiants entrant en formation appartiennent à la génération Z, c'est-à-dire nés après 1995.

Une étude menée par le Swiss Education Group (2) de décembre 2016 à mars 2017 auprès de 3 000 étudiants a mis en évidence plusieurs points importants.

Cette étude révèle notamment que chez cette génération ultraconnectée et pragmatique, il ne faut que 12 minutes pour que les jeunes se désintéressent d'une activité pourtant plaisante.

Un premier enjeu est donc de capter et maintenir leur attention.

Cela nous questionne alors sur l'intérêt de cours magistraux se déroulant sur trois ou quatre heures, et diffusés à des promotions de 150 étudiants massés dans un amphithéâtre...

Ainsi, cette unité d'enseignement s'appuie sur un certain nombre de cours magistraux (20 heures) imposés par le référentiel, que j'anime en complémentarité avec un praticien hospitalier hygiéniste.

Mais selon Yvan Dürrenberger (3), « c'est l'étudiant qui construit son savoir, et pour cela, il est nécessaire de lui proposer des activités diverses, lui permettant de s'approprier les connaissances nouvelles ».

Il est donc important de proposer des activités variées et séquencées.

Ingénierie pédagogique et stratégie d'apprentissage

Nos supports visuels ont été démultipliés en utilisant des outils numériques : quizz, vidéos, présentations Power-Point, utilisation d'outils régionaux, « HygiPhone » (4) par exemple.

Des lectures d'articles scientifiques sur le thème de l'hygiène ont été proposées afin d'aborder la recherche scientifique dans ce domaine.

Des ateliers pratiques sur l'hygiène des mains ont également été organisés, offrant ainsi des dynamiques pédagogiques diversifiées.

Mon diplôme interuniversitaire en sciences de la simulation m'a permis de développer une expertise dans ce domaine. Ainsi, des séances de simulation fondées sur un scénario ayant pour thématique les précautions standard ont été organisées. Cette méthode pédagogique permet à l'étudiant d'être acteur, de se confronter le plus possible à la réalité, en toute sécurité et d'avoir accès à un apprentissage en petit groupe (12-15 étudiants).

L'équipe pédagogique de l'IRFSS a fait le choix d'évaluer cette unité d'enseignement (UE) avec deux autres unités : UE1.3, « Législation, éthique, déontologie », et UE4.1, « Soins de bien-être et de confort ».

Ce choix a été fixé il y a deux ans afin de donner du sens aux unités, toutes trois reliées à une même compétence, la compétence 3 : « Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens ».

Cela a permis également d'être au plus près de la réalité du terrain puisqu'une situation vécue devait être rédigée et rapportée par les étudiants puis analysée en tenant compte des trois domaines traités dans ces unités d'enseignement.

Orientations

Nous savons que les étudiants infirmiers issus de la génération Z ont des besoins et des attentes bien spécifiques en matière d'apprentissage. Les méthodes pédagogiques ont déjà évolué pour que cet apprentissage de l'hygiène soit en adéquation avec ces attentes et besoins. Mais le constat actuel nous demande de poursuivre cette évolution.

Les pistes possibles pour améliorer ce dispositif et cet enseignement seraient de faire participer les étudiants à des actions de prévention sur le thème de l'hygiène et de valoriser leur travail dans le cadre de publications pour les amener à participer activement à la politique de prévention du risque infectieux en tant que futurs professionnels de santé. Le service sanitaire des étudiants en santé, imposé par le décret no 2018-472 du 12 juin 2018 (5), pourrait aider en partie à cette évolution.

Pour l'année 2018-2019, nous avons décidé d'accompagner les étudiants de première année dans la création en groupe d'une vidéo pour présenter l'hygiène des mains (sous forme de slam, ou autre), avec pour consigne l'originalité. Un concours sera organisé pour aiguiser leur motivation dans un but ultime de valorisation en congrès.

Conclusion

L'hygiène est donc bien plus qu'une unité à enseigner. C'est un véritable challenge qui commence dès les premiers pas des étudiants en formation afin qu'ils deviennent de futurs professionnels sensibilisés et investis dans une dynamique d'amélioration de la qualité du soin auprès des patients.

Si l'étudiant doit construire son savoir, le formateur doit faciliter l'accès à cet apprentissage par la compréhension des besoins de l'étudiant et l'adaptation de ses modes de communication.

C'est lui permettre d'investir une posture d'apprenant de plus en plus acteur, en laissant place à l'autonomie, avec l'appui des technologies numériques.

Loin d'être « une plaie » à enseigner, l'hygiène permet de stimuler la créativité et l'innovation pour le plus grand plaisir du formateur et des étudiants !

(1) Source : ministère des Solidarités et de la Santé (lien raccourci : https://„bit.ly/„2GCpsJg).

(2) Voir le site du Swiss Education Group (lien raccourci : https://bit.ly/2TAzUUO).

(3) In Anne-Claude Allin-Pfister (dir.), Le guide du formateur : une approche par compétences, Rueil-Malmaison, Éditions Lamarre, 2013, 328 p.

(4) Voir le site du RHC-Cpias (lien raccourci : https://„bit.ly/„2Tz4huZ).

(5) Consulter sur : https://„bit.ly/„2TGsSxK