« L’acquisition des compétences, par le principe de la pédagogie réflexive est, en grande partie reliée aux stages. »
Le milieu de soins peut s’appréhender à plusieurs niveaux. Si nous centrons notre propos sur l’institution hospitalière, d’un point de vue anthropologique : « L’hôpital est une institution fondée sur un regroupement social autour du procédé thérapeutique, mais surtout un monde foisonnant, qui croise des dimensions de l’homme quasi infinies. »
Le tutorat, issu à la fois du monde de la production et de celui de la formation, a semble-t-il toujours existé
Responsable de la formation du tutoré, « le tuteur est une interface entre le stagiaire, le terrain de stage et l’institution de formation »
Cette définition nous amène vers une seconde fonction en amont et en aval de la fonction pédagogique auprès de l’apprenant, celle d’ingénierie de la formation. C’est à ce niveau que le tuteur se rapproche de la fonction managériale, pour organiser et optimiser les conditions d’apprentissage du tutoré. De même, la fonction d’ingénierie de la formation convoque des compétences didactiques dans le sens où le tuteur va agir sur les interactions du système didactique, ou triangle didactique, au niveau des trois éléments qui le composent : « La relation didactique est habituellement décrite comme une relation entre deux partenaires, l’enseignant et l’élève, et avec un savoir. »
Le tuteur est un acteur singulier au sein d’un service de soins, sa posture convoque nécessairement des compétences relationnelles plus larges que la relation soignant-soigné. Parmi les compétences relationnelles, émerge la compétence d’accompagnement : « Le tutorat est une des formes singulières de ce que l’on nomme aujourd’hui, de façon plus générique, l’accompagnement. Les dispositifs dits “d’accompagnement”, qu’il s’agisse ou non de tutorat, ont bien souvent pour fonction première l’aide à la mise en situation de travail, de manière à augmenter l’efficacité de celle-ci. »
Le tuteur est également un vecteur identitaire. « On tend, en effet, à parler de tutorat chaque fois que l’on constate auprès d’agents dont ce n’est précisément pas la fonction principale, et pour une durée qui reste généralement limitée, la présence d’activités qui contribuent directement à la survenance chez d’autres agents de transformations identitaires correspondant au champ même de cette fonction principale. »
En synthèse, il nous semble que la définition la plus en phase avec la complexité du rôle de tuteur nous vient des champs des sciences de l’éducation : « L’alchimie qui fait un bon tuteur est celle-ci : l’association de compétences académiques (l’expertise) et de qualités personnelles (la congruence sociale). Ce savant mélange dote la personne d’une qualité très appréciée : la congruence cognitive. »
Étymologiquement, « la coopération vient du latin cum, avec, et operare, faire quelque chose, agir »
La première plus-value est la caution hiérarchique du cadre de santé. Un niveau hiérarchique sépare maître et tuteur de stage, même si les acteurs sont issus de la même corporation, souvent infirmière. Le cadre de santé, de par sa légitimité, fournit une caution au projet tutorial. Mais la distance hiérarchique ne doit pas constituer une barrière à une posture réflexive interactive. En effet, la rencontre entre le maître de stage et le tuteur invite à la genèse d’un conflit sociocognitif permettant une coopération effective et in fine, une co-construction d’un dispositif de formation clinique efficient.
Une seconde plus-value découle du niveau hiérarchique, il s’agit de la vision stratégique. En effet, si le tuteur de stage est centré sur l’activité au niveau proximal et sur les apprentissages cliniques, le maître de stage est davantage distancié. Interface entre l’institution, le pôle de rattachement et l’unité fonctionnelle, le cadre de santé apporte une plus-value par sa vision élargie. Ainsi, il peut non seulement suivre les besoins en compétences liés à l’activité de soins quotidiennes, mais, plus avant, s’inscrire dans une évolution à moyen, voire à long terme en prise directe avec le projet de pôle, lui-même inclus dans celui d’établissement (ou actuellement de groupements hospitaliers de territoire). Par exemple, le cadre de santé est le garant du respect et de la traduction écrite des axes stratégiques institutionnels prescrits dans le cadre de la rédaction du livret d’accueil des stagiaires. La communication et l’explicitation des axes stratégiques institutionnels revêtent une importance certaine puisque le tuteur de stage est lui-même un maillon communicationnel entre les stagiaires, l’équipe de soins et la politique institutionnelle.
Une troisième plus-value est rattachée à la gestion du temps. Maître de stage et tuteur ne vivent pas nécessairement en synergie temporelle. Nous l’avons évoqué, si le tuteur de stage vit au rythme de l’activité clinique de son unité fonctionnelle, en prise directe avec les soignés et les autres membres de l’équipe soignante, a contrario, le cadre de santé “surfe” sur des temporalités différentes liées à sa posture interfaciale entre le service qu’il anime et le pôle institutionnel auquel il appartient. Le cadre de santé se trouve écartelé par des tâches de plus en plus morcelées, dichotomiques, en proie à des injonctions paradoxales, telles qu’être présent auprès des agents, des familles, des patients, tout en gérant l’absentéisme depuis son ordinateur, ou encore participer à de nombreuses réunions institutionnelles qui l’éloignent de son service, ou autres missions dites “transversales” ! La plus-value temporelle se présente donc en premier lieu au niveau de la rencontre et de la création d’espaces de disponibilité, de proximité entre interlocuteurs. Pour coconstruire, maître de stage et tuteur se doivent d’être présents l’un à l’autre. Avec des emplois du temps chargés, rehaussés de nombreux imprévus à gérer, il est donc indispensable de se donner comme priorité des créneaux de travail en commun. C’est aujourd’hui devenu un véritable challenge ! Pour y parvenir, il semble incontournable que le cadre de pôle reconnaisse et soutienne ce partenariat. De même, si l’idée est de permettre au tuteur de stage de créer un livret de stage en autonomie et ensuite de le faire vivre, il est incontournable d’aménager son planning afin qu’il dispose de plages horaires pour travailler cet outil. En pratique, le cadre de santé se doit de doubler le tuteur afin qu’il soit libéré ponctuellement de son activité soignante et puisse se focaliser sur son activité tutorale. L’affaire n’est d’ailleurs pas gagnée pour autant. Une infirmière tutrice soulignait il y a peu que, si elle garde sa tenue professionnelle, même doublée, elle se retrouve immanquablement en situation de soignante ! D’elle-même, elle a donc décidé de venir travailler en tenue civile pour se consacrer en toute quiétude à la réalisation du livret d’accueil des stagiaires. Aujourd’hui, le cadre de santé est considéré comme un manager. En ce sens, en référence aux dix rôles du cadre proposés par Mintzberg
Une quatrième plus-value est liée à l’expertise soignante du cadre de santé. Pour élaborer un livret d’accueil cohérent avec les finalités d’une unité fonctionnelle et le développement des compétences afférentes, une analyse de la file active des patients est nécessaire. Cette analyse débouche sur l’identification des situations reflétant les pratiques cliniques les plus représentatives, autrement dit les situations emblématiques : « les situations les plus fréquentes devant lesquelles l’étudiant pourra se trouver »
Une cinquième plus-value est identifiable : l’apport méthodologique du cadre de santé. En effet, force est de constater que nombre des tuteurs de stage, malgré leur bonne volonté, leur engagement, souffrent d’un manque de compétences méthodologiques. Ce défaut est lié d’une part à une formation initiale qui ne les prépare pas à contribuer à la réalisation de documents institutionnels. Il est aussi lié à un manque de pratique ou/et au fait que les cadres sont souvent ceux qui sont mandatés en priorité sur ce type d’exercice. Les principales lacunes méthodologiques portent notamment sur le fond et la forme du livret de stage qui doit comporter des items prédéfinis nationalement et qui contient des données institutionnelles plus facilement accessibles par le cadre de santé que par le tuteur (durée moyenne de séjour, GIR moyen pondéré…). Une autre carence méthodologique porte sur la construction des situations emblématiques. Les tuteurs de stage ont parfois des difficultés à passer de la narration de cas clinique à la présentation didactique de problématiques cliniques.
De même, une sixième plus-value du cadre de santé concerne les compétences scripturales. Il est en effet connu chez les corporations soignantes, dont les infirmières, que le passage à l’écriture constitue un frein
Au sein de l’établissement où nous exerçons, nous avons l’opportunité de développer une coopération élargie entre cadres de santé et tuteurs de stage. Un groupe de travail institutionnel sur le tutorat est créé depuis 2016. Il est composé, au niveau de son pilotage, par deux cadres de proximité et deux cadres formateurs en IFSI. L’un des cadres de proximité possède une solide expertise en ingénierie de la formation lui permettant de prendre une posture de coordinateur de formation clinique. Vingt-cinq tuteurs issus de l’ensemble des pôles sont inscrits au groupe de travail. Trois rencontres annuelles sont planifiées.
Actuellement, le pôle “gériatrie et soins de suite” ainsi que le pôle “mère-enfant” se sont rapprochés pour coopérer à la mise en forme de situations emblématiques. En pratique, suite au ciblage des situations emblématiques de leurs unités fonctionnelles par la triade cadre de santé maître de stage/tuteur/médecin chef de service, l’utilité d’un soutien méthodologique et scriptural a motivé la formalisation de ces situations dans le cadre des réunions du groupe de travail institutionnel.
L’avancée de la réflexion et des réalisations au sein de ces deux pôles, nourrie de l’expertise des pilotes du groupe de travail institutionnel, dont le cadre coordinateur de formation clinique, s’apparente à un dispositif expérimental tout autant qu’à un catalyseur du dispositif de formation clinique pour les tuteurs des autres pôles.
L’environnement actuel de travail n’est pas facilitant pour le déploiement d’un dispositif de formation clinique optimal. « La charge de travail n’a jamais été aussi lourde, et les moments qui permettaient aux équipes de se parler et de transmettre leurs savoir-faire aux étudiants sont réduits au minimum. »
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