Développer ses compétences psychosociales - Objectif Soins & Management n° 259 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 259 du 01/10/2017

 

SUR LE TERRAIN

Dossier

Marie-Pierre Ecuer*   Alexandra Curt**   Bruno Thévenet***  

Alors qu’à l’approche du diplôme d’État, les étudiants infirmiers semblent souffrir de manque de confiance en eux, l’équipe pédagogique a mis en place une formation sur le développement des compétences psychosociales auprès de la promotion 2014/2017. Une collaboration avec les membres de l’Ireps, une organisation bien pensée et un enthousiasme débordant de la part de chacun ont engendré une belle réussite de cette formation.

Actuellement, l’évolution des préoccupations de la santé a mis en avant le rôle des comportements individuels et collectifs dans la survenue de maladie, dans les processus de guérison mais aussi dans le maintien d’une bonne santé. La notion de “compétences psychosociales” (CPS) est liée à l’évolution du concept de santé qui s’inscrit dans une ressource indispensable à la vie quotidienne et professionnelle, et donc lors des études supérieures et la formation professionnelle. L’équipe pédagogique de l’IFSI Saint-Joseph/Saint-Luc de Lyon (Rhône) propose de relater l’expérience relative au développement des CPS auprès des étudiants infirmiers de 3e année.

GENÈSE DU PROJET

Les formateurs ont constaté que, chaque année, un certain nombre d’étudiants de 3e année ressentent de l’appréhension, du stress quant à la perspective de leur future prise de poste. Ce constat a fait l’objet d’une réflexion d’équipe dans le cadre d’une réunion pédagogique en juillet 2016. Cette réflexion s’est orientée vers les notions de confiance en soi, d’estime de soi. Les formateurs référents de la promotion de 3e année 2014/2017 ont mis en place un projet tourné autour des compétences psychosociales qui s’avèrent être en lien avec la problématique constatée. Ce projet a pris forme avec la participation de deux personnes chargées de projet de l’Ireps (Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé) Rhône-Alpes. L’objectif initial de cette formation était de renforcer ou de valoriser l’estime de soi des étudiants pour qu’ils se sentent capables, prêts à exercer la profession d’infirmier et ainsi être en mesure de faire face aux différentes situations de soins.

APPROCHE CONCEPTUELLE

Notion

Bien que cette approche par les CPS ne soit pas clairement décrite dans le référentiel de formation des infirmiers, nous pouvons nous référer à la finalité de la formation dans laquelle il est mentionné : « L’étudiant apprend à reconnaître ses émotions et à les utiliser avec la distance professionnelle qui s’impose. Il se projette dans un avenir professionnel avec confiance et assurance, tout en maintenant sa capacité critique et de questionnement. »(1)

Bien reconnu actuellement dans les milieux professionnels, les compétences se réfèrent à l’intelligence du “savoir comment” plutôt que du “savoir que”(2). Elles se situent dans une perspective d’action, sont en grande partie apprises et sont structurées en combinant savoir agir, vouloir agir et pouvoir agir. Elles sont impliquées dans tous les moments de la vie (life skills), notamment dans l’apprentissage scolaire et la santé.

Évolutions

• En 1993, l’OMS définit les CPS comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adaptant un comportement approprié et positif, à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. Les compétences psychosociales ont un rôle important à jouer dans la promotion de la santé dans son sens le plus large, en termes de bien-être physique, mental et social ».

• La notion de CPS (life skills) est présentée en 1986 dans la charte d’Ottawa comme un élément essentiel dans la promotion de la santé. C’est un axe d’intervention majeur dans le cadre du développement des compétences individuelles.

• En 1993, le concept de CPS est mis en avant dans le cadre d’un document de référence publié par l’OMS qui souligne l’importance de promouvoir ces compétences afin de favoriser la santé globale positive (physique, psychique et sociale).

• En 2000, l’Unicef a publié de nombreux rapports sur les CPS et cherche à favoriser l’implantation de programmes ou de parcours éducatifs visant à développer les CPS dans le monde entier.

En amont et en parallèle du développement du concept via les grands organismes de santé publique, les CPS ont été travaillées et promues dans le cadre de programmes de prévention de la santé sur différentes thématiques (santé mentale, addictions, santé sexuelle, etc.).

Les CPS se situent à la croisée de la promotion de la santé et de la prévention des problèmes de santé, de la santé mentale et de la santé physique. Elles sont reconnues comme un déterminant clé de la santé et du bien-être sur lequel il est possible d’intervenir avec efficacité.

Les compétences personnelles et sociales jouent un rôle important dans la détermination des comportements, dans les apprentissages scolaires ou professionnels ou bien dans les relations interpersonnelles quotidiennes (voir la liste des dix CPS page suivante).

PHASE DE CONSTRUCTION DU PROJET (FORMATION, ORGANISATION)

La réalisation de ce projet novateur a demandé aux trois formateurs de 3e année de se former sur les CPS afin d’être en mesure d’animer des ateliers en collaboration avec les formatrices de l’Ireps. Cette formation sur trois jours courant janvier 2017 a porté sur une approche des CPS en promotion de la santé (appropriation du concept à partir de nos représentations), sur la démarche et posture professionnelle autour des CPS (relation éducative avec une réflexion sur la posture professionnelle, les pratiques éducatives et les conditions d’apprentissage) et sur la pratique et l’environnement professionnel (au travers des mises en situation et expérimentation de technique d’animation et analyse de la posture).

Cette formation fait appel à une démarche participative et impliquante de la part des membres du groupe qui alterne des apports théoriques, des travaux de groupes et des échanges dans le groupe.

Des réunions de travail entre formateurs IFSI et Ireps ont conduit à l’élaboration d’un programme de formation sur deux journées. Le choix du site, dans un lieu neutre, s’est rapidement imposé afin de favoriser un décentrage des étudiants et une relation différente avec les formateurs et les professionnels de l’Ireps. La formation s’est déroulée à Annecy-le-Vieux à 140 km de Lyon. L’intendance (hébergement/repas) et le transport ont été organisés par les formateurs, les étudiants, la directrice de l’IFSI et la responsable de la structure d’accueil. Le coût de cette formation a été entièrement pris en charge par l’IFSI.

Les étudiants ont géré l’animation de la soirée, pour laquelle ils ont été inspirés.

MISE EN ŒUVRE DU PROJET

Le fil conducteur de ces deux journées est “prendre soin de soi pour aller vers le prendre soin des autres”. Cet objectif se décline autour d’un programme qui comprend des temps en promotion entière et des temps en petits groupes.

Première journée

Elle a été consacrée à l’appropriation des CPS au travers d’ateliers et d’une présentation par groupe afin que les étudiants se découvrent sous un autre aspect.

• Se connaître autrement : présentation des dix groupes sur un temps court. Chaque groupe doit faire sa “promotion”, identifier les qualités, les points forts du groupe à partir des individualités de chacun.

• Prendre soin de soi : réalisation d’un métaplan par groupe de vingt étudiants à partir de mots/idées émis par eux puis regroupés en promotion entière pour faire émerger les idées fortes.

• Word café autour de cinq tables afin de travailler les dix CPS, par un échange/discussion entre étudiants. Le formateur anime le groupe et rédige la synthèse des échanges pour la restituer en promotion complète. Un animateur régule le temps afin de faire tourner les groupes sur les ateliers.

• L’apport théorique sur les CPS est organisé en fin de journée.

Seconde journée

Elle a été menée exclusivement autour d’ateliers mobilisant les dix compétences.

• Premier atelier, “Savoir résoudre les problèmes – savoir prendre des décisions” : l’objectif consiste à faire identifier par les étudiants des situations stressantes pour eux, à prendre conscience de leurs réactions physiques et/ou émotionnelles pour identifier les étapes d’une résolution, dans l’idéal, de leur problème.

• Deuxième atelier, “Savoir communiquer efficacement, être habile dans ses relations interpersonnelles” : l’objectif est d’apprendre à mieux se connaître et de reconnaître les qualités de l’autre afin de communiquer dans un climat de confiance.

• Troisième atelier, “Avoir conscience de soi, avoir de l’empathie pour les autres” : l’objectif est de faire prendre conscience aux étudiants infirmiers de leurs atouts afin qu’ils puissent avoir des ressources face aux situations dans lesquelles ils sont stressés ou sous pression.

• Quatrième atelier, “Savoir gérer son stress, savoir gérer ses émotions” : l’objectif est d’identifier ses émotions, la difficulté pour percevoir l’émotion chez l’autre et la différence d’estimation entre soi et l’autre.

• Cinquième atelier, “Avoir une pensée créative, avoir une pensée critique” : l’objectif est de permettre aux étudiants de prendre du recul pour analyser diverses situations afin de répondre de façon alternative et avec souplesse aux situations de la vie quotidienne.

Posture des formateurs

Pour réussir l’animation de ces ateliers, les formateurs ont dû adopter une certaine posture qui se caractérise par les actions suivantes :

• ils accompagnent et participent au processus et ne se posent pas en “sachant” dans une position dominante ;

• ils respectent la liberté de choix et d’autodétermination individuelle ;

• ils accueillent le vécu que les participants expriment au cours de l’atelier sans jugement, avec bienveillance et humilité ;

• ils ont le souci d’une action globale et évitent de dissocier compétences personnelles et compétences sociales.

BILAN DES ÉTUDIANTS

Un premier bilan a été réalisé “à chaud” sur le site. Les étudiants ont exprimé leurs satisfactions pour cette première expérience, avec une manifestation des émotions explicites et une certaine nostalgie à quitter les lieux. Puis un second bilan a été réalisé à l’IFSI en fin de formation. Il est tout aussi satisfaisant quant à l’impact des CPS tant sur leur vie professionnelle que sur leur vie personnelle.

Les étudiants ont apprécié autant le cadre que l’organisation et les thématiques travaillées.

• Le choix de la délocalisation de cette formation s’est avéré important pour eux : « Très bonne idée d’avoir pu partir en dehors du contexte de l’école et partager ce moment ensemble. » « Le cadre de la formation, qui se déroulait en dehors de la ville de Lyon, était agréable et reposant, puisqu’il nous amenait tous à une réelle “déconnexion”, et donc à pouvoir profiter de cette formation dans d’excellentes conditions. »

• Ils ont souligné plus particulièrement la notion de cohésion, terme qui revient le plus souvent dans l’analyse de leurs bilans : « Ces journées ont vraiment contribué à la cohésion entre les différents groupes de la promotion », « Merci pour ces deux journées qui ont permis de souder la promotion et de découvrir nos formateurs/collègues dans d’autres conditions ». « Ce séjour a permis aussi une cohésion “immense” entre les différentes personnes de la promotion et a permis, pour beaucoup d’entre nous, de nous découvrir, autant grâce aux présentations que nous avons faites que par les différents ateliers auxquels nous avons participé »,

• Un impact certain est à prévoir sur leur vie professionnelle au travers de leurs commentaires : « Très belle expérience qui nous a beaucoup apporté sur comment prendre soin de nous et des autres. » « Les conseils et méthodes proposés vont me permettre, je l’espère, de pouvoir poursuivre mon activité avec des ressources supplémentaires et complémentaires à celles enseignées au cours de notre formation et par la vie en général. » « Une expérience enrichissante qui a suscité une réflexion sur notre façon d’être et notre caractère permettant de mieux appréhender le stage de projet professionnel qui a suivi mais également je pense qui sera fort utile au début de l’exercice de notre profession. »

• Sur la posture des formateurs dans le développement des CPS, les étudiants ont noté « des formateurs accessibles et généreux » « qui se soucient de nous et nous ont fait confiance, ce qui fait plaisir ».

• À propos de la notion de partage, les étudiants ont noté « de bons moments partagés avec les formateurs dans un tout autre cadre », « cela a permis de nous rapprocher avec l’ensemble de la promo et les formateurs ».

Nous conclurons par ce témoignage : « Projet très enrichissant, il n’est pas toujours facile d’avoir confiance en soi. Notre formation nous demande beaucoup de travail sur notre personnalité, c’est très intéressant de pouvoir en parler, partager nos difficultés et apprendre à prendre confiance en nous. J’étais surprise de la richesse des ateliers, à refaire ! »

PERSPECTIVES

Le travail de réflexion mené par l’équipe pédagogique pour aboutir à ce projet a porté ses fruits. Il apparaît ainsi nécessaire de poursuivre le développement des compétences psychosociales pour les étudiants au sein de notre institut, peut-être en le perlant davantage ou en incluant certains ateliers dans le cadre des unités d’enseignement notamment l’UE 4.2 “soins relationnels”. La décentration de cette formation s’avère indispensable, bien que le lieu puisse changer. Un bilan à six mois sera réalisé auprès de ces étudiants, diplômés à ce jour, afin de mesurer l’impact des CPS à plus long terme. Nous offrant de nouvelles perspectives ?

En conclusion, nous pouvons dire que nous avons atteints nos objectifs au-delà de nos attentes.

Le travail d’équipe se poursuit pour améliorer encore cette formation et l’ajuster aux promotions à venir. Les CPS seront probablement mises à l’ordre du jour de certaines journées pédagogiques afin d’envisager un projet impliquant l’ensemble de l’équipe. Pour la cohérence du projet pédagogique, la question se pose de la participation volontaire ou non des cadres formateurs à cette formation.

NOTES

(1) Le référentiel de formation, via le lien raccourci http://bit.ly/2kfW6Xj

(2) Bruner, 1966 cité par Jeannine Batisse, Sandie Bernard (2014), “Éducation à la santé et liens avec le socle commun de connaissances et de compétences”. Revue Éducation, Santé, Sociétés. Vol. 1, n° 1, pp. 19-34. Éditeur : UNIRéS.

BIBLIOGRAPHIE

• Bruner, 1966 cité par Jeannine Batisse, Sandie Bernard (2014), “Éducation à la santé et liens avec le socle commun de connaissances et de compétences”. Revue Éducation, Santé, Sociétés. Vol. 1, n° 1, pp. 19-34. Éditeur : UNIRéS • Ministère des Affaires sociales et de la Santé (2009). Code de la santé publique. Arrêté du 31 juillet 2009, relatif au diplôme d’État d’infirmier, paru le 7 août 2009 au Journal officiel, Profession infirmier, Recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’État et à l’exercice de la profession (2014). • OMS, Unesco. Life skills education in schools. Genève : OMS, 1993.

La liste des dix CPS (ou aptitudes essentielles) Cette liste, définie par l’OMS et l’Unesco*, est présentée par couple

1 Savoir résoudre les problèmes, savoir prendre des décisions

• Savoir reconnaître une situation à risque (conduites addictives, violences intra ou extra familiales, sexualité, troubles des conduites alimentaires, accident (prévention et secours civiques).

• Connaître les ressources grâce à une information appropriée.

• Connaître au moins une démarche de résolution de problème.

2 Avoir une pensée créative, avoir une pensée critique

• Développer une éthique dans l’utilisation des nouveaux modes de communication et dans l’utilisation d’Internet (vie privée/publique, facebook, diffusion d’images enregistrées par soi, fiabilité des sites).

• Développer l’esprit critique par rapport aux influences du groupe, des médias, des stratèges du marketing. Notion de dynamique de groupe.

3 Savoir communiquer efficacement, être habile dans ses relations interpersonnelles

• Développer des compétences dans l’affirmation (non violente) de soi.

• Comprendre les freins et facilitateurs d’une communication efficace, en fonction de la situation.

• Connaître quelques stratégies utilisées pour influencer autrui et pour résister aux pressions et manipulations.

4 Avoir conscience de soi, avoir de l’empathie pour les autres

• Connaître les définitions de sphère publique, privée et intime.

• Connaître des outils pour le développement de l’estime de soi, du respect de soi et d’autrui

• Comprendre les mécanismes et effets des discriminations.

• Connaître les particularités de quelques populations minoritaires et reconnaître que nous faisons ou pouvons tous faire partie d’une population minoritaire à certains moments de notre vie. Différence entre les notions de “norme” et de “normalité”.

5 Savoir gérer son stress, savoir gérer ses émotions

• Connaître les principales émotions, leur utilité, leurs manifestations. Notion de gestion des émotions.

• Connaître des notions de gestion du temps.

• Développer des stratégies pour reconnaître et gérer son stress.

Ces compétences sont regroupées en trois grandes catégories.

• Les compétences sociales (ou interpersonnelles ou de communication) : les compétences de communication verbale et non verbale (écoute active, expression des émotions, capacité à donner et recevoir des feedback). Les capacités de résistance et de négociation ; gestion des conflits, capacités d’affirmation, résistance à la pression d’autrui. L’empathie ou la capacité à écouter et comprendre les besoins et le point de vue d’autrui et à exprimer cette compréhension. Les compétences de coopération et de collaboration en groupe. Les compétences de plaidoyer qui s’appuient sur les compétences de persuasion et d’influence.

• Les compétences cognitives : les compétences de prise de décision et de résolution de problème.

La pensée critique et l’auto-évaluation, qui impliquent de pouvoir analyser des médias et des pairs, d’avoir conscience des valeurs, attitudes, normes, croyances et facteurs qui nous affectent, de pouvoir identifier les sources d’informations pertinentes.

• Les compétences émotionnelles ou d’autorégulation : les compétences de régulation émotionnelle ; gestion de la colère et de l’anxiété, capacité à faire face à la perte, à l’abus et aux traumatismes.

Les compétences de gestion du stress, qui implique la gestion du temps, la pensée positive et la maîtrise des techniques de relaxation. Les compétences favorisant la confiance et l’estime de soi, l’auto-évaluation et l’auto-régulation.

* OMS, Unesco. Life skills education in schools. Genève : OMS, 1993.