Jean Brignon, un directeur au regard d’infirmier - Objectif Soins & Management n° 0291 du 15/02/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0291 du 15/02/2023

 

Portrait

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Claire Pourprix

  

Infirmier de formation, Jean Brignon s’est spécialisé dans la santé publique avant de devenir directeur d’hôpital. Il revient sur son parcours atypique et l’évolution de son métier, dans un contexte de territorialisation de l’offre de soins.

Ses premiers pas d’infirmier, Jean Brignon les a faits en gériatrie dans son Alsace natale, au sein d’une unité de soins de longue durée. Une orientation professionnelle sans doute influencée par l’exemple de sa mère, également infirmière. Dans les années 1990, il s’investit dans l’humanitaire, au Sénégal en particulier, où il effectue plusieurs séjours dont il gardera des liens étroits avec une association d’aide au développement. « En Afrique, alors aide-soignant à l’époque, j’ai appréhendé le métier d’infirmier en santé communautaire, à travers mon expérience auprès d’infirmiers que j’ai rencontrés dans des dispensaires. Cela m’a donné envie de me spécialiser en santé publique, avec l’idée de poursuivre en santé communautaire… Les choses ont « dérapé » et après avoir obtenu mon diplôme d’infirmier en 2003, j’ai poursuivi en management du système de santé », explique-t-il.

En 2004, il suit donc une formation complémentaire à l’École de santé publique de Nancy, où il obtient une maîtrise de sciences sanitaires et sociales mention santé publique. Il passe le concours interne de directeur d’hôpital et intègre l’École des hautes études en santé publique, à Rennes, en janvier 2007. Il en sort diplômé en 2009.

Après une première expérience de 4 ans comme directeur adjoint des centres hospitaliers de Sélestat, d'Obernai et de Sainte Marie-aux-Mines, en Alsace, il part près de trois ans en Guyane française en tant que directeur adjoint du centre hospitalier de l’Ouest Guyanais. Cette expérience à Saint Laurent-du-Maroni lui permet de mettre en application, en partie, les notions acquises à l’École de santé publique de Nancy, notamment sur le versant promotion de la santé, à travers la constitution d’un pôle de santé publique faisant la part belle à la prévention et « l’aller vers ».

De retour en métropole, en 2016, il retrouve son ancien poste pendant deux ans, avant d’embrasser un nouveau rôle : directeur des Pôles Vallée de la Bruche et Centre Alsace au sein de l’Ugecam Alsace, un groupe de l’Assurance maladie spécialisé en prise en charge de la réadaptation, de la réinsertion et du handicap. En juillet 2021, nouveau cap : il prend la direction des centres hospitaliers de Vitré et de La Guerche-de-Bretagne, tous deux situés dans le département d’Ille-et-Vilaine.

Moins d’autonomie, plus de partenariats

Pour lui, diriger un établissement de santé, c’est « manager une équipe, donner un cap à son établissement, être autonome ». Une « autonomie encadrée », sous la tutelle de l’agence régionale de santé (ARS) qui organise l’offre de soins sur le territoire et en tant qu’établissement public de santé partie prenante dans un groupement hospitalier de territoire (GHT). « Ce double cadre doit bien s’ajuster », précise-t-il.

Jean Brignon revendique être un professionnel de santé publique, par son parcours mais aussi par la nécessité de recentrer ses missions sur la prise en charge des besoins de santé sur le territoire. « Le métier de directeur d’hôpital a évolué : nous sommes sortis du système hospitalo-centré tel qu’il existait dans les années 1970, où l’hôpital était censé résoudre tous les problèmes de santé. Depuis 13 ans que j’occupe cette fonction, je vois évoluer la place de l’hôpital dans un maillage territorial, une territorialisation accrue, obligeant à travailler davantage avec les collègues des autres hôpitaux, les structures privées aussi ainsi que toute la médecine de ville. Historiquement, nous évoluions en parallèle. Mais on a vu, à travers les CPTS par exemple qui se mettent en place, ou encore avec l’accueil régulé des urgences de jour l’été dernier, l’importance de s’appuyer sur la médecine de ville pour des consultations non programmées. Je pense qu’il y a eu une réelle bascule à l’été 2022 : j’ai réellement pris conscience de la nécessité de travailler en partenariat. »

Il constate que, sur son département, tout s’est bien passé, malgré les tensions existantes car l’ensemble des acteurs de santé ont été parties prenantes : l’organisation des soins a été chapeautée par l’ARS et le GHT au niveau du territoire ; la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) s’est mise en place au même moment, les médecins de ville ont joué le jeu en ouvrant des consultations de ville non programmées. « Le SAS [Service d'accès aux soins] expérimental en Ille-et-Vilaine a aussi été un élément facilitant et aucune situation avec perte de chance n’a été déplorée. De notre côté, nous avons fait jouer la solidarité interne pour que nos médecins spécialistes de l’hôpital de Vitré soient plus disponibles pour descendre aux urgences sur appel de l’urgentiste ou de l’interne, ou permettre l’hospitalisation en circuit court des patients si besoin », ajoute-t-il.

Rentre l’établissement plus attractif

La pénurie de personnels et les difficultés de recrutement sont une réelle préoccupation pour le directeur. Dès novembre 2020, un accueil régulé de nuit a dû être mis en place, faute de médecins urgentistes en nombre suffisant. L’été dernier, la situation de crise étant à son paroxysme, l’accueil régulé s’est étendu aux urgences de jour pour un mois. « La tension est telle que cela crée un système où les tarifs s’envolent, des professionnels mercenaires font jouer l’offre et la demande ! Assurer la continuité et la permanence des soins coûte excessivement cher. »

Quelles solutions pour être plus attractif ? Dans ce bassin d’emploi très dynamique de Vitré, Jean Brignon mise sur la modernisation de son établissement datant des années 1980. Une restructuration, une extension, l’installation d’un plateau technique tout neuf, la rénovation des chambres et des sanitaires sont en projet. Il ne manque plus que le feu vert de l’ARS. Une autre piste est de poursuivre le travail de filière mené avec le GHT, permettant d’organiser des parcours de prise en charge pour que les médecins, dont plusieurs travaillent aussi sur le CHU de Rennes, soient sécurisés dans leurs pratiques en étant intégrés par spécialités au sein d’équipes territoriales, comme cela est déjà le cas pour les urgences.

Restera à régler le problème de pénurie des personnels soignants : « Nous avons beaucoup de mal à remplacer les infirmiers et aides-soignants. Les intérimaires sont volatiles, cessent leur mission sans même nous prévenir… C’est un phénomène très récent et inquiétant. Malgré les revalorisations du Ségur de la santé, la prime grand âge en plus, on constate un désamour pour la profession de soignant, sans doute imputable à un contrecoup de l’effet Covid. »

Jouer la carte de la proximité

Le tableau n’est pas aussi sombre sur tous les plans. Jean Brignon souhaite développer de nouvelles activités sur le CH de Vitré (consultations d’urologie et chirurgie urologique notamment) pour étoffer son offre (chirurgie, médecine, maternité, addictologie, soins de suite et réadaptation…). L’enjeu pour l’établissement est de conforter sa place de porte d’entrée de proximité, de premier recours, avec des consultations de spécialité, en lien avec le CHU de Rennes vers lequel les cas les plus graves sont réorientés si besoin.

Le directeur se félicite aussi de l’obtention du label Hôpital de proximité pour le centre hospitalier de La Guerche-de-Bretagne (qui dispose aussi d’un site à Availles-sur-Seiche). « Ce label vient renforcer notre logique d’intégration, d’ouverture de l’Ehpad sur la ville, dans le territoire. Il valorise l’offre de soins que l’on développe à l’attention de la population, tant en ville qu’en milieu rural. Il appuie notre stratégie d’aller vers la population locale. » Par exemple, l’établissement met en place des consultations spécialisées qui accueillent, outre les résidents, tous les patients de la ville adressés par leur médecin traitant. Il a aussi créé une équipe mobile constituée d’un éducateur physique, d’une diététicienne et peut-être bientôt d’un ergothérapeute. Sur la demande des médecins, celle-ci peut se rendre au domicile des patients pour repérer des situations de vulnérabilité (fonte musculaire, risque de chute…). À noter que ce label sécurise aussi le financement de l’établissement avec l’apport d’une dotation fixe populationnelle. Un point clé pour renforcer l’image et la visibilité de la structure.

Être lucide et rester proche du terrain

Si, aujourd’hui, le métier de directeur d’hôpital lui semble plus complexe qu’à ses débuts, avec la nécessité de travailler en partenariat, Jean Brignon reste optimiste. « L’hôpital occupe toujours une place importante, mais nous ne pouvons plus le manager de manière autonome, car c’est devenu une composante du maillage territorial. Nous sommes dans un système de santé en crise, il faut donc être ambitieux mais savoir être lucide, se fixer des objectifs réalistes, avancer pas à pas. »

Son passé d’infirmier est une force qui facilite les relations avec les soignants, selon lui. D’ailleurs, il a conservé ce besoin d’être sur le terrain et, dès que l’occasion se présente, il n’hésite pas à aller à la rencontre des soignants… au risque, ,de vivre des situations de confrontations quand les équipes sont en sous-effectif. « En tant que directeur, on s’en prend parfois plein la figure… mais cela permet des échanges francs. Je peux visualiser les situations car j’arrive à me projeter concrètement sur ce que les soignants vivent, conclut-il. Nous travaillons sur des grands concepts de qualité de vie au travail, de réduction des risques psychosociaux, mais cela passe déjà par des effectifs suffisants, constants et normalisés. »