« IL FAUT REDONNER DU POUVOIR AUX SOIGNANTS » - Ma revue n° 044 du 01/05/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 044 du 01/05/2024

 

Alexis Bataille-Hembert

DOSSIER

BURN-OUT

Éléonore de Vaumas  

Dans un rapport des professionnels du secteur remis au ministère de tutelle, en octobre 2023, et dont il est co-auteur, Alexis Bataille-Hembert dresse un état des lieux de la santé des soignants. Et, sans surprise, celle-ci n’est pas au beau fixe. Tour d’horizon avec cet infirmier militaire reconverti en conseiller paramédical de la mutuelle nationale des hospitaliers (MNH).

Quel est le moral des troupes ?

Alexis Bataille-Hembert : Les soignants ne vont pas bien, c’est un constat assez unanime. Parmi les quelque 50 000 répondants de notre consultation nationale, 55 % déclarent avoir connu un ou plusieurs épisodes d’épuisement professionnel récemment, avec une forte prévalence chez les infirmiers (61 %) ! Entre autres chiffres, nous avons constaté que 60 % des professionnels disent souffrir de douleurs chroniques régulières (contre 30 % des adultes dans la population générale). En matière de sommeil, 77 % des sondés estiment qu’ils ne dorment pas suffisamment. Un chiffre qui s’élève à 81 % pour ceux ayant des horaires atypiques. Fatigue, problèmes de concentration, stress élevé… la dégradation de leur état général s’accompagne aussi d’une augmentation de comportements à risques (consommation régulière d’alcool, tabac, médicaments). Bien que le sujet de la santé des soignants ne soit pas nouveau, il a été particulièrement mis en exergue lors de la crise sanitaire et demeure aujourd’hui prégnant. La situation n’est d’ailleurs pas uniquement franco-française.

Justement, quel est le panorama chez nos voisins ?

A. B. H : À l’échelle européenne, et même internationale, la santé des professionnels du secteur est régulièrement identifiée comme une thématique à part entière, érigée comme une priorité par les gouvernements, à l’instar de la France. En dépit de cela, les soignants restent soumis à des contraintes similaires aux nôtres. En Espagne, par exemple, plus de la moitié des médecins ont signalé un épuisement professionnel, et 14 % souffrent de dépression. Idem en Italie, où près de la moitié des répondants déclarent un état de stress post-traumatique consécutif à la crise sanitaire. Chaque nation a mis en place une stratégie pour tenter d’améliorer la santé de ses professionnels. Nous avons pu les classer dans cinq domaines : la prévention des risques professionnels et psychosociaux, la santé mentale, l’éducation et la promotion de la santé, l’amélioration de l’offre de soins et la formation.

Vous êtes-vous inspirés des stratégies de nos voisins pour formuler vos recommandations ?

A. B. H : Effectivement, la mission s’est également appuyée sur des comparaisons internationales afin de mieux qualifier nos actions. Mais notre rapport est surtout fondé sur des rencontres de terrain, des auditions d’acteurs publics et privés et des témoignages de professionnels de santé qui ne nous ont pas attendus pour mettre des solutions en place. Au cours de nos déplacements, nous avons observé une multitude d’initiatives visant à favoriser la santé et le bien-être des soignants. Ces efforts proviennent de divers secteurs (associatifs et institutionnels) et échelons géographiques (souvent régionaux ou locaux). L’un des problèmes constatés est un manque de coordination et de visibilité au niveau national. Il fallait donc une mission comme la nôtre pour mettre l’accent sur ces solutions de façon à prendre en charge cette problématique de manière durable.

Quelles bonnes pratiques avez-vous repéré sur le territoire ?

A. B. H : Sur le volet préventif, il existe des plateformes d’écoute dédiées. Il s’agit là d’un premier levier qui fonctionne très bien et qui est pris à bras-le-corps par les soignants. Cela signifie donc qu’il y a un réel besoin d’être écouté et accompagné. Nous pensons aussi que de nouveaux acteurs, tels que les « bridages de prévention », gagneraient à être déployés. En outre, il apparaît aussi indispensable de s’appuyer sur une offre de santé dédiée aux professionnels de santé en dehors du lieu de travail ; et ce, afin de préserver l’anonymat auquel tiennent les soignants. En ce sens, les modèles comme celui de la maison de santé prévention, inaugurée en juin 2023 à l’hôpital Foch, ou de la maison des soignants de l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS) représentent des initiatives intéressantes. Elles proposent des programmes complets de prévention et de promotion de la santé, réalisés et animés par une équipe pluridisciplinaire, adaptés aux besoins spécifiques des soignants.

L’un des axes d’amélioration de la santé se situe au niveau de la formation des futurs soignants. Pouvez-vous en dire plus ?

A. B. H : Actuellement, les étudiants en santé n’apprennent pas, durant leur formation initiale, à prendre soin d’eux-mêmes. Ce sujet-là est même tabou. L’idée est d’inverser la tendance en renforçant les actions de prévention et de promotion de la santé. Pourquoi ne pas créer un module de préparation incluant des techniques d’optimisation du potentiel (TOP) enseignées aux militaires, dans une logique de résilience améliorée ? Aujourd’hui, on parle aussi beaucoup de simulation en santé. Peut-être qu’elle peut permettre aux futurs soignants de se préparer à leur métier. De même, le sport santé a démontré un rôle déterminant dans la gestion du stress et de l’équilibre émotionnel. La pratique d’une activité physique ou sportive gagnerait donc à être systématisée dans tous les cursus de formation.

Comment les employeurs peuvent-ils se saisir de ce sujet ?

A. B. H : Certains établissements s’en emparent en réorganisant leur offre de médecine de santé au travail. D’autres misent plus sur l’intelligence collective en pensant des dispositifs avec et pour les soignants. En pratique, cela peut se traduire sous forme de groupes de travail ou d’idéation à l’échelle d’un service. De façon générale, nous avons noté un vrai retour à la vie de services. Je pense pour ma part qu’il faut redonner du pouvoir aux soignants. Aujourd’hui, l’expérience usager du soignant doit être remise au centre du dispositif. Qui mieux qu’un soignant pour identifier des axes d’amélioration dans sa pratique quotidienne ? Par ailleurs, il est indispensable de souligner le rôle des soignants devenus patients, et ils sont nombreux dans le champ de la santé mentale, afin d’élaborer des parcours de prévention optimaux. C’est un champ dans lequel l’employeur, en relation avec la politique de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), doit investir en priorité. En parallèle, on doit également s’intéresser à la santé mentale de tous les cadres, directeurs et encadrants qui, eux aussi, sont soumis à un certain nombre de pressions. Or, un manager bien soigné est un manager qui soigne bien son équipe. Ainsi, dans notre rapport, nous préconisons d’inclure dans leur formation initiale une unité d’enseignements dédiée à la santé des professionnels de santé. Au-delà des employeurs, c’est notre société tout entière qui doit apprendre à mieux considérer nos professionnels de santé. Leur santé doit être un engagement collectif qui repose autant sur les organisations que sur les individus, qu’ils soient soignants soignés, usagers ou citoyens. Car le jour où il n’y a plus de soignants, il n’y aura plus de santé.

Alexis Bataille-Hembert, conseiller paramédical de la mutuelle nationale des hospitaliers (MNH).