« RÉDUIRE LE NOMBRE DE LITS A ÉTÉ L’UN DES MOYENS EMPLOYÉS POUR MIEUX SOIGNER » - Ma revue n° 041 du 01/02/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 041 du 01/02/2024

 

Professeur Nicolas Franck

DOSSIER

INTERVIEW

Nicolas Franck  

Porté par les principes de la réhabilitation psychosociale, le psychiatre a complètement transformé le pôle Centre rive gauche du centre hospitalier Le Vinatier à Bron, qu’il dirige depuis 4 ans. Infirmières et patients ont été coacteurs de ces changements.

Qu’est-ce que le rétablissement ?

Nicolas Franck : Il faut distinguer différentes notions. Celle de guérison, d’abord. Elle correspond à une restitution ad integrum, par exemple dans une pathologie infectieuse, la maladie disparaît complètement parce que l’agent infectieux a disparu. En psychiatrie, c’est plus complexe. En général, les difficultés, les manifestations cliniques sont liées à des caractéristiques impliquées dans le fonctionnement de la personne, avec sa personnalité, avec ses modalités relationnelles… On ne peut pas ôter un symptôme, qui serait apparu à un moment donné et qui serait susceptible de disparaître sous l’effet d’un traitement. En revanche, on peut favoriser un nouvel état d’équilibre. Après avoir prôné pendant des années la rémission - c’est-à-dire la disparition temporaire des symptômes sous l’effet du traitement -, nous, professionnels de santé, mais aussi les personnes concernées par les troubles, nous sommes rendu compte que la rémission n’était pas la bonne cible et qu’il était plus pertinent de viser le rétablissement. Ce concept correspond au fait de se sentir suffisamment bien par rapport à ses propres attentes. C’est la personne concernée par les troubles qui définit elle-même ses critères de rétablissement. On doit ainsi distinguer le rétablissement personnel, défini par la personne concernée, du rétablissement clinique défini par les professionnels de santé. Pour favoriser le rétablissement personnel, il faut considérer d’autres dimensions, par exemple la dimension sociale et la dimension fonctionnelle, c’est-à-dire la capacité à faire face aux exigences du quotidien. Or, cette dernière est la cible de la réhabilitation psychosociale : comment la personne peut se concentrer, mémoriser, interagir correctement avec l’autre, s’approprier ses difficultés et ses capacités pour pouvoir travailler, avoir des relations sociales, amicales, intimes satisfaisantes, être autonome en termes de logement, notamment. Avoir introduit cette dimension fonctionnelle dans le discours psychiatrique est favorable au rétablissement des personnes prises en charge.

Avant votre prise de poste à la tête du pôle, qu’observiez-vous ?

N. F. : Il y a 4 ans, j’ai fait le constat que le système était hospitalo-centré et grippé. Il y avait trop de personnes hospitalisées et celles qui voulaient venir consulter en extrahospitalier étaient confrontées à des mois d’attente. Le fait que l’hospitalisation soit au cœur des soins avait des conséquences délétères sur une partie des personnes prises en charge, car être hospitalisé longtemps dans un milieu non stimulant altère la capacité à prendre des initiatives de certaines d’entre elles. Pour d’autres, il fallait recourir à la contrainte, quitte à fermer des portes à clé, pour éviter des ruptures de soin. Il a fallu prendre des mesures drastiques pour changer tout cela. Quand j’ai pris la chefferie du pôle, qui s’est appelé plus tard Centre rive gauche, celui-ci comptait alors 150 lits de secteur. à ce jour, il n’en reste que 63. L’objectif était de mieux soigner ; réduire le nombre de lits était l’un des moyens employés pour y parvenir.

Qu’avez-vous notamment mis en place ?

N. F. : L’une des nouvelles structures proposées dans le projet de pôle est destinée à favoriser l’accès aux soins. Elle a été créée le 3 juin 2020. Il s’agit du centre d’accueil, d’évaluation et d’orientation en santé mentale ou CAdEO. Celui-ci accueille très rapidement (en quelques jours) celles et ceux qui ont un besoin en santé mentale, quel qu’il soit. Ils y sont reçus par un psychiatre qui les oriente vers le libéral, l’associatif aussi bien que vers les dispositifs du secteur de psychiatrie générale. Des équipes mobiles ont également été créées progressivement, dès le printemps 2020. Elles comprennent maintenant entre 35 et 40 professionnels. Nous nous sommes inspirés du modèle FACT (Flexible Assertive Community Treatment) mis en œuvre aux Pays-Bas. Dans l’ensemble des dispositifs, nous avons appliqué les principes de l’approche orientée rétablissement et mis à la disposition de toutes les personnes prises en charge, les outils d’évaluation et de soins de la réhabilitation psychosociale. Pour faire évoluer les pratiques, il a fallu agir sur les mentalités en parlant beaucoup, en menant des sensibilisations, des initiations, des formations pour tous les professionnels, par centaines au total. Tout a été mis à plat, nous avons recréé un fichier structure et réaffecté chacun sur un nouveau poste selon ses propres vœux.

Quelle est la place des infirmières ?

N. F. : Depuis plusieurs décennies, je travaille de manière très horizontale avec les infirmières et infirmiers. Les tâches et les responsabilités qui leur sont confiées ne dépendent pas seulement de leur métier mais surtout de leurs compétences. Très tôt, certains d’entre eux qui travaillaient avec moi dans une structure précédente ont publié des articles scientifiques, les écrivant eux-mêmes, d’autres ont élaboré des protocoles scientifiques. Bien traiter les personnes et valoriser leurs capacités est une œuvre collective. Les infirmiers représentent la catégorie professionnelle la plus nombreuse, la force vive de toute structure de soins en psychiatrie et, plus largement, en médecine. Il faut travailler dans la confiance pour leur permettre d’exercer leur art, en les faisant monter en compétence. Dans l’approche orientée rétablissement, on prône l’autodétermination pour les patients qu’on accompagne, ce qui incite à recourir aux mêmes principes avec ses collègues. Il faut mettre au centre de nos organisations la motivation, l’investissement personnel et l’engagement.

Comment avez-vous vu évoluer l’état de la psychiatrie en France ?

N. F. : Les principes de prise en charge se sont considérablement améliorés en 15 à 20 ans. La politique de santé, telle qu’elle est annoncée sur la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie, repose sur le recours à la réhabilitation psychosociale. Pour surmonter la crise de la psychiatrie actuellement à l’œuvre, il faut un projet fédérateur, mobilisateur, plus inclusif. Une organisation basée sur les principes de la réhabilitation psychosociale tels qu’ils ont été énoncés pourrait servir de base pour restructurer l’offre de soins publique française.