« IL EST IMPORTANT D’EN PARLER, ET D’EN PARLER BEAUCOUP » - Ma revue n° 038 du 01/11/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 038 du 01/11/2023

 

VIOLENCE CONTRE LES SOIGNANTS

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Le gouvernement a présenté fin septembre un plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé. Le point avec Nathalie Nion, cadre supérieure à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris et coauteure d’un rapport présenté en juin* dont le gouvernement s’est inspiré pour élaborer son plan.

Comment accueillez-vous le plan pour la sécurité des professionnels de santé présenté par le ministère de la Santé ?

Nathalie Nion : Tout d’abord, je l’ai attendu avec impatience ! Je suis contente de voir ce plan enfin sortir après les quelques difficultés, dont le remaniement, qui ont freiné sa finalisation. Je trouve qu’il balaie assez largement les propositions que nous avions faites, le docteur Jean-Christophe Masseron et moi-même, dans notre rapport. Le plan est assez représentatif du travail qu’on a fourni, et les propositions faites sont très concrètes. C’est satisfaisant pour nous, car en tant que chargés de mission on n’a pas toujours ce retour.

Quelles sont, selon vous, les mesures proposées qui auront l’impact le plus important sur le terrain ?

N. N. : En termes d’impact immédiat, ce qui me vient en premier, c’est probablement l’évolution législative : l’aggravation des peines à l’encontre des auteurs, la possibilité pour les établissements de déposer plainte à la place du personnel, le fait que les libéraux soient considérés comme des agents de service public, tout cela est assez marquant. Mais pour moi, l’un des points importants est d’en parler, et d’en parler beaucoup : il est crucial de sensibiliser les professionnels, de faire en sorte qu’ils soient attentifs à ces sujets, et tous les dispositifs de formation et de sensibilisation qui doivent être mis en place, auront probablement un impact important.

Peut-on parler d’un changement de culture au sujet de la sécurité ?

N. N. : Je ne sais pas. Mais je pense que même si son impact n’est pas immédiat, ce plan va permettre de penser la sûreté de la même façon que l’on pense, par exemple, la sécurité incendie : en l’intégrant dans l’organisation des locaux, dans l’organisation des soins, en ville comme à l’hôpital. Et la sûreté sera intégrée dans la certification de façon plus prégnante, ce qui permettra notamment de l’évaluer de façon plus précise. Mais le plus important, c’est que tout cela s’additionne à différents niveaux, pour que l’ensemble de la situation s’améliore.

Quand vous parlez de formation et de sensibilisation du personnel de santé, à quoi faites-vous référence ?

N. N. : Il y a selon moi deux orientations principales : la formation initiale et la formation continue ; Tout d’abord il faut être formé pour avoir une communication plus fluide, ce qui permettrait de ne pas générer l’agressivité de l’autre. Et il faut également être formé à détecter les prémisses de la violence afin de se protéger et d’agir. Nos collègues de psychiatrie, par exemple, sont probablement en avance sur le sujet. Il est également important de savoir comment transmettre les informations aux patients, car pour eux, manquer d’information est anxiogène.

Certains trouvent que cette manière d’insister sur la formation des soignants est une façon de les culpabiliser, qu’en pensez-vous ?

N. N. : Je pense qu’il ne faut pas voir les choses comme cela. Se former à la gestion de l’agressivité, retravailler sa posture, ce n’est pas se culpabiliser. Par exemple, quand on est confronté tous les jours à de nombreux passages, il est important de se questionner sans pour autant se dire qu’on est responsable, d’apprendre à gérer ses propres humeurs. Il est normal d’avoir des moments où l’on est plus ou moins réceptif, d’où la nécessité de savoir repérer cela chez soi.

Mais les soignants sont parfois les premiers à se culpabiliser. Vous appelez cela le phénomène de « victimation »…

N. N. : Oui, c’est une réaction de certains soignants. Ils considèrent que le patient, ou son entourage, a peut-être raison de s’énerver, que le fait qu’on ne puisse pas répondre à son problème justifie en quelque sorte sa violence. Cette attitude est exacerbée pour les patients présentant des troubles psychiatriques, pour lesquels on a plus tendance à considérer que les violences sont dues à la pathologie de leur auteur.

De manière générale, on constate que la violence est loin d’être un phénomène réservé au secteur de la santé…

N. N. : En France, les coups et blessures ont augmenté de 15 % entre 2021 et 2022 et les violences sexuelles de 11 % au cours de cette même période. Ce qui se passe dans la santé est donc à l’image de ce qui se passe dans la société. On n’est plus dans un environnement préservé, comme on l’a longtemps pensé. La violence est présente à tous les niveaux, elle touche les professionnels de santé et les autres personnels des établissements, les libéraux, les pharmacies, etc. Et on sait que les chiffres disponibles [voir encadré] sont sous-déclarés.

D’après vos recherches, quelles sont les racines profondes de cette violence ?

N. N. : Comme pour tous les phénomènes, les causes sont multiples. Il y a probablement un changement des mentalités de la part du public. Beaucoup de personnes attendent des résultats immédiats, et cela a certainement été exacerbé durant la crise sanitaire où les soignants ont été placés en situation de devoir répondre à tout. Il y a bien sûr, en parallèle, la crise du système de santé, les difficultés de recrutement, les charges de travail excessives, qui font que les soignants se trouvent dans des conditions mentales difficiles.

Vous parlez de chiffres en augmentation et malgré cela de sous-déclaration. Observet- on une augmentation des violences ou une augmentation des déclarations ?

N. N. : Les deux facteurs influencent probablement les chiffres. On ne peut pas dire qu’il s’agisse uniquement de l’un ou de l’autre. Il est vrai que depuis quelques années, on s’intéresse davantage à ce phénomène dans les établissements et chez les libéraux, les ordres incitent leurs professionnels à déclarer… Mais les violences qu’on appelle « de niveau 1 », c’est-à-dire les injures, les incivilités, qui sont parfois les prémisses d’autres violences, restent probablement très sous-déclarées.

On dit également que les infirmières sont plus touchées par le phénomène, pourquoi ?

N. N. : Si on considère le secteur libéral, par exemple, les infirmières se déplacent au domicile du patient, ce qui est un facteur de risque. Par ailleurs, à l’hôpital, elles sont les plus nombreuses avec les aides-soignantes, et ce sont elles qui sont le plus fréquemment en contact avec les patients. On peut ajouter, sans verser dans l’explication psychologique, qu’il y a probablement une attitude différente envers une infirmière ou une aidesoignante qu’envers un médecin, qui de par son titre conserve une forme d’autorité.

Comment pensez-vous qu’il faut gérer les événements au sein des équipes ?

N. N. : Il faut être capable de verbaliser des choses qui ne sont pas forcément dites. Et il ne faut pas hésiter à débriefer ce genre d’événement, comme on le fait pour les événements indésirables, au besoin en recourant aux services de personnes spécialisées, car on n’a pas forcément toutes les compétences en interne.

La violence à l’encontre des soignants est un sujet dont on parle depuis longtemps, qu’est-ce qui est nouveau aujourd’hui ?

N. N. : Il est vrai que la première circulaire sur le sujet date de 2000. Cela fait donc plus de vingt ans qu’il y a des législations, des actions mises en place, avec par exemple la création de l’ONVS [Observatoire national des violences en milieu de santé, NDLR] en 2005, la création des conventions santé-sécurité dans les établissements, puis des conventions santé-sécurité justice. On ne peut donc pas dire que rien n’a été fait. Mais il est vrai que le phénomène continue d’augmenter.

Quels sont les éléments qui manqueraient au plan gouvernemental pour vraiment faire la différence ?

N. N. : Je n’en ai pas vraiment repéré, mais il est certain qu’il faudra regarder attentivement la façon dont ce plan est mis en place. Certains des dispositifs qui y sont annoncés devront être financés et, pour cela, il sera indispensable de fournir les moyens nécessaires à la bonne mise en place de ces dispositifs.

Pensez-vous, comme semble vouloir le croire le gouvernement, qu’améliorer la sécurité des soignants est une façon de renforcer l’attractivité de leurs métiers ?

N. N. : Le lien entre attractivité et violence n’est pas forcément direct mais il existe. L’attractivité, comme la violence d’ailleurs, est un phénomène multifactoriel. La sécurité peut toutefois être un élément supplémentaire pour que des étudiants s’engagent dans les professions de santé, et cela peut aussi être un facteur de fidélisation de ceux qui sont déjà en poste.

* Masseron J.-C., Nion N., « Rapport sur les violences à l’encontre des professionnels de santé - 44 propositions pour des soins en sécurité », juin 2023. Consultable sur https://urlz.fr/nYG2

Des réactions mitigées

Le plan du gouvernement contre les violences se décline en 42 mesures, parmi lesquelles on peut noter l’organisation d’une campagne nationale de sensibilisation du grand public au respect dû aux soignants et d’une campagne de formation avec un tronc commun dédiée aux agents et à leurs encadrants, la création d’un délit d’outrage sur les professionnels de santé, une aggravation des peines encourues pour des faits de violence au sein des établissements, ou encore une réorganisation de la manière dont agents et établissements peuvent déposer plainte. Ces mesures ont été relativement bien accueillies, notamment par l’Ordre national des infirmiers (ONI). « Ce plan de sécurité pour les personnels soignants était devenu une nécessité absolue et particulièrement pour la profession infirmière - qui est souvent le premier et seul contact avec le patient - et qui est donc la plus exposée face aux violences », a notamment déclaré son président, Patrick Chamboredon. Pour le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) en revanche, certaines mesures restent en travers de la gorge des soignants. Sur le réseau social X (ex-Twitter), l’organisation pointait notamment la mesure 3, celle qui entend « rappeler aux soignants que les principes de base de la politesse sont toujours à observer ». Le SNPI y voit une « insulte envers la bienveillance des soignants », voire une forme de « culpabilisation » visant à chercher ce qu’un soignant a pu faire pour susciter l’agression.

AR

En chiffres

D’après l’Observatoire national des violences en milieu de santé, on a recensé 18 768 signalements dans 368 établissements en 2022. Ce sont en tout 23 489 professionnels qui ont été victimes de ces faits, dont 45 % d’infirmiers. L’Ordre national des infirmiers rappelle par ailleurs que lors d’une consultation organisée par ses soins auprès de plus de 30 000 infirmiers, 66 % d’entre eux déclaraient avoir été victimes de violences dans de le cadre de leur exercice professionnel, et 73 % déclaraient en avoir été témoins.

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