LES SOIGNANTS PERPLEXES FACE À LA LEVÉE DE L’OBLIGATION VACCINALE - Ma revue n° 032 du 01/05/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 032 du 01/05/2023

 

COVID-19

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

La Haute Autorité de santé (HAS) a recommandé fin mars de mettre un terme à la vaccination obligatoire des soignants contre le Covid. Une décision que le gouvernement a annoncé vouloir suivre, mais qui suscite l’incompréhension chez les blouses blanches.

On pourra dire que jusqu’au bout, l’obligation faite aux soignants d’être vaccinés contre le Covid aura suscité la controverse. Quand elle a été instaurée en 2021, cette mesure contraignante a fait l’objet de débats sans fin : si les réfractaires ont finalement été peu nombreux, bien des professionnels n’ont obéi qu’à contrecœur. Et maintenant que le gouvernement s’apprête à la lever, suivant un avis rendu par la Haute Autorité de santé (HAS) le 29 mars, les protestations sont presque encore plus virulentes. Les autorités ont beau mettre en avant la situation épidémiologique, qui ne justifie plus selon elles une telle mesure, les professionnels de santé, infirmières en tête, sont nombreux à considérer que le message qu’envoie cette abrogation est délétère.

« L’obligation vaccinale Covid pour les soignants est un impératif éthique », avait par exemple estimé le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC) dans sa réponse à la consultation organisée par la HAS en amont de la publication de sa recommandation. « Il n’est pas acceptable de confier la santé des patients à des professionnels qui, en refusant la vaccination, expriment une méfiance importante envers la science et la médecine fondée sur des preuves. » Une fois la décision de la HAS rendue, l’organisation n’a pas hésité à manifester son désaccord d’une manière pour le moins emportée. « La mission première de la HAS est d’améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients, pas de faire de la politique, a-t-elle fait savoir dans un communiqué. Sa recommandation sur les obligations vaccinales des soignants porte atteinte à sa crédibilité et à son indépendance. »

VIVES RÉACTIONS

Si les mots peuvent sembler forts, une telle virulence est loin d’être l’apanage du seul SNPI et n’a pas manqué de surprendre la HAS. « Nous avons été un peu étonnés par la vivacité des réactions, reconnaît le Pr Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique vaccination de l’institution. Nous disons simplement que nous ne sommes pas dans une situation qui pousse à contraindre à la vaccination. » Et cette infectiologue de rappeler le contexte dans lequel l’obligation avait été instaurée, à l’été 2021. « La couverture vaccinale des soignants était insuffisante, on était dans une phase de progression épidémique, les hôpitaux étaient sursaturés de cas, etc., énumère-t-elle. On ne souhaitait pas aller à l’obligation, on espérait que la recommandation permettrait d’inciter les soignants à aller se faire vacciner, mais cela n’a pas suffi. »

À l’époque en effet, la situation cochait tous les critères qui justifient une obligation vaccinale pour les professionnels de santé, critères que la HAS rappelle dans son avis de mars dernier en reprenant ceux qui avaient été proposés par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en 2016 : une telle obligation « ne doit s’appliquer qu’à la prévention d’une maladie grave, avec un risque élevé d’exposition pour le professionnel, un risque de transmission à la personne prise en charge, et pour laquelle existe un vaccin efficace et dont la balance bénéfices/risques est largement en faveur », peut-on lire dans le document. Or aujourd’hui, « le virus est toujours là, mais c’est un variant qui est plutôt moins agressif, qui provoque moins de formes graves, la population a déjà été exposée et est fortement vaccinée », argumente Élisabeth Bouvet, qui ajoute que si les vaccins disponibles « protègent très bien contre les formes graves, leur impact sur la transmission est plus faible, et il est limité dans le temps ».

Attention, cependant : la HAS continue à recommander fortement aux soignants d’être vaccinés et de faire les rappels nécessaires, mais elle estime simplement qu’il n’y a plus d’argument scientifique suffisant en faveur d’une obligation, précise l’universitaire. Par ailleurs, l’institution spécifie dans son avis que sa recommandation « ne constitue en rien une remise en question de ses précédents avis et recommandations rendus dans des contextes sanitaires et épidémiques différents », et qu’elle est émise « sans préjuger de l’avis du CCNE [Conseil consultatif national d’éthique, NDLR] sur les aspects éthique et d’acceptabilité sociale ». En effet, un avis de ce conseil sur le même sujet était attendu (et l’est toujours au moment où nous écrivons ces lignes), mais le gouvernement a décidé de ne pas attendre l’avis des sages qui y siègent : à peine le verdict de la HAS connu, le ministère de la Santé a fait savoir que l’avis du CCNE alimenterait sa réflexion, mais qu’un décret serait pris pour respecter celui de la HAS.

UN EFFET AVANT TOUT MORAL

Reste à savoir quelles seront les conséquences de la levée annoncée de l’obligation vaccinale. Et d’abord celles qu’elle n’aura pas : non, il ne faut pas s’attendre à ce que la réintégration des soignants non vaccinés apaise les difficultés que connaissent les établissements sur le front des ressources humaines. « Le nombre de personnels soignants suspendus dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation vaccinale est extrêmement marginal au regard du nombre total de soignants dans les établissements publics de santé (moins de 0,1 % des effectifs soignants), constate Matthieu Girier, président de l’Association des directeurs de ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess). Leur réintégration n’aura aucun effet sur les difficultés de recrutement rencontrées actuellement. » À noter : le chiffre cité par le président de l’Adrhess est encore plus faible que celui qui circule généralement (autour de 0,3 %) et qui inclue « les personnels administratifs, techniques, ouvriers, en plus des personnels soignants et médicaux », précise-t-il. En revanche, la réintégration des non-vaccinés pourrait singulièrement peser sur l’ambiance au sein des collectifs de travail : la question de la vaccination obligatoire a causé des tensions au sein des équipes au moment de son entrée en vigueur, et ces tensions ont laissé des cicatrices qui ne sont pas toujours refermées. C’est en tout cas ce que ressentent de nombreuses équipes, dont celle de Florence Pinsard, cadre de santé au centre hospitalier de Pau (Pyrénées-Atlantiques). « La majorité de mes agents n’étaient pas ravis de se faire vacciner, beaucoup l’ont fait pour garder leur travail, explique cette responsable d’Unité de soins de longue durée (USLD). Ils sont nombreux à trouver cela injuste, ils ont fait cet effort, et disent que la prochaine fois, ils refuseront en bloc. »

UNE QUESTION D’IDENTITÉ ?

Au-delà de ce sentiment d’injustice, c’est l’identité même de la profession infirmière qui, selon certains, semble être attaquée. « En tant que professionnels de santé, nous ne pouvons entrer dans nos formations qu’en ayant satisfait aux obligations vaccinales du calendrier en cours, c’est essentiel pour protéger nos patients vulnérables, rappelle Évelyne Malaquin- Pavan, présidente du Conseil national professionnel infirmier (CNPI). Nos missions infirmières font que nous sommes là pour convaincre en nous servant des données probantes, et nous avons l’impression que la HAS envoie un message très négatif qui va donner de l’eau au moulin de certains détracteurs de la vaccination en général. »

Et du côté des infirmières libérales (Idel), c’est la même préoccupation. « Nous sommes restés un peu scotchés par cette décision, qui pour nous constitue un signal fort pour les antivax, s’indigne Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). En termes de communication, c’est catastrophique, cela revient à hypothéquer les chances d’une vaccination en cas de nouvelle pandémie. Et sur le terrain, cela aura un impact quasi nul. » Car le patron du principal syndicat des libérales le confirme : comme à l’hôpital, le nombre d’Idels qui ont cessé leur activité pour se soustraire à l’obligation vaccinale est minime. « Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais on est dans l’épaisseur du trait », estime-t-il.

Seule certitude : la vaccination Covid est un sujet épidermique pour les soignants, et qui risque de le rester quelque temps encore. Car la profession infirmière n’est pas la seule à avoir réagi fortement à la levée de l’obligation proposée par la HAS. La décision de cette dernière « est une déception », et s’apparente à « un renoncement », avait par exemple estimé le 31 mars sur Franceinfo le Pr Yves Buisson, président de la cellule Covid à l’Académie nationale de médecine. Il faut dire que dans sa réponse à la consultation de la HAS, la vénérable institution avait estimé que les obligations vaccinales qui s’imposent aux soignants « font l’honneur de la profession ». Voilà qui n’est pas pour émouvoir Élisabeth Bouvet. « De toute façon, si nous avions rendu un avis allant dans l’autre sens, nous aurions eu autant de réactions, sourit-elle. Simplement, elles ne seraient pas venues des mêmes personnes. »

Et les autres vaccinations ?

La plupart des commentaires relatifs à l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) se sont concentrés sur la question de la vaccination contre le Covid, mais cette pathologie n’était pas la seule abordée dans cette publication. L’autorité s’est en effet penchée sur le cas de la vaccination contre l’hépatite B, qu’elle recommande de maintenir obligatoire pour les soignants, et de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la polio (DTP). Concernant cette dernière, elle recommande, comme pour le Covid, de lever l’obligation qui s’impose actuellement aux soignants. « La couverture vaccinale DTP (définie comme la proportion de personnes à jour de leur rappel) est très élevée chez l’ensemble des personnels soignants (95,5 %) et étudiants en santé (95,9 %) », argumentent les auteurs. Ceux-ci estiment que « le risque d’apparition de cas, en particulier de cas graves au sein de la population générale française, demeure extrêmement faible, excepté à Mayotte », et qu’en conséquence, la vaccination DTP doit désormais être « fortement recommandée chez les étudiants et professionnels », et non plus obligatoire comme c’est le cas actuellement - sauf à Mayotte où elle devrait rester obligatoire. Et là encore, à la rigueur scientifique de la HAS, bien des soignants opposent le message politique qu’elle semble envoyer à l’encontre de la vaccination en général. « C’est presque pire que pour le Covid, se désole la présidente du Conseil national professionnel infirmier (CNPI), Évelyne Malaquin-Pavan. La couverture vaccinale est bonne, l’adhésion des professionnels de santé est plutôt d’un bon niveau, et je n’ai pas vu de fait nouveau qui permettrait de remettre en cause l’obligation. Encore une fois on risque d’envoyer un contre-message, alors que si nous obtenons les bons résultats que nous avons aujourd’hui, par exemple en santé communautaire, c’est bien en lien avec les campagnes de vaccination. » Et ce n’est pas tout. Car en matière de polémiques, le pire est peut-être encore à venir. Comme le signale le Pr Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique vaccination de la HAS, l’avis rendu en mars n’est que le premier d’un diptyque dont le deuxième opus concernera l’hypothèse d’une vaccination obligatoire des professionnels de santé contre… la grippe. « C’est un travail que nous devons rendre dans un deuxième temps, à l’été », indique-t-elle. Or contrairement au DTP ou au Covid, qui connaissent par nature des taux de vaccination très élevés chez les soignants, la couverture vaccinale de ces derniers contre la grippe laisse à désirer. D’après les dernières données de Santé publique France, qui portent sur l’année 2022, cette couverture était en effet de 22 % chez l’ensemble des professionnels exerçant en établissement de santé, et descendait même à 21 % chez les infirmières. Sans préjuger des résultats du travail de la HAS, Élisabeth Bouvet souligne que la vaccination antigrippale pose des questions différentes de celles que posent les vaccinations DTP ou Covid. « C’est un vaccin qu’il faut refaire tous les ans, et qui est parfois extrêmement efficace, et parfois très peu », indique-t-elle.

L’obligation déjà levée dans les autres pays

La levée de l’obligation vaccinale contre le Covid pour les soignants pourrait bien mettre un terme à ce qui est devenu une exception française. En effet, relève la Haute Autorité de santé (HAS) dans son avis, certains pays européens comme la Suède, la Finlande, la Norvège, l’Espagne, etc., n’ont jamais envisagé d’obligation vaccinale. Dans d’autres, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, des projets de loi sur le sujet n’ont jamais été appliqués. L’Autriche, l’Allemagne, ou encore l’Italie ont quant à elles levé l’obligation qui pesait sur leurs soignants fin 2022. Hors d’Europe, poursuit l’autorité, la tendance est la même : le Québec, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ont également mis un terme à des mesures contraignantes à l’encontre des professionnels de santé.